« C’est une arrestation illégale, tempête Wilner Morin. En tant que juge à la Cour de cassation, Ivickel Dabrésil a une immunité. Il ne peut pas être appréhendé s’il n’y a pas flagrant délit. C’est une séquestration »
Dans une communication diffusée en direct sur Facebook ce matin, alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion pour « aller ouvrir le carnaval de Jacmel », le président de la République, dont le mandat est arrivé à terme aujourd’hui 7 février, selon des constitutionnalistes, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et l’opposition, a annoncé que les agents de sécurité du Palais National ont procédé à l’arrestation d’une vingtaine d’individus qui auraient comploté contre la sureté de l’État. Parmi les personnes appréhendées, on retrouve un juge à la Cour de cassation, Ivickel Dabrésil, et Marie-Louise Gauthier, inspectrice générale de la Police.
Selon Wilner Morin, président de l’Association nationale des magistrats haïtiens, l’arrestation aurait eu lieu vers 3 h du matin, heure à laquelle le juge a eu les derniers contacts avec ses proches. « C’est une arrestation illégale, tempête Wilner Morin. En tant que juge à la Cour de cassation, Ivickel Dabrésil a une immunité. Il ne peut pas être appréhendé s’il n’y a pas flagrant délit. C’est une séquestration. »
Cela fait neuf heures que personne ne sait où se trouve le juge Dabrésil, selon Wilner Morin, et Jacques Letang, président de la Fédération des Barreaux d’Haïti. Ce dernier aussi condamne l’arrestation. « Je ne sais pas pourquoi on l’a arrêté, je suis en train de me renseigner. »
D’après Jacques Letang, les juges bénéficient d’une clause de protection, encore plus ceux de la Cour de cassation. « Ce sont des juges qui font partie de la plus haute institution judiciaire du pays. Par conséquent, ils ne peuvent faire l’objet de poursuites pénales, en dehors des procédures mises en place par la loi. Il y a une procédure spéciale. Ces juges sont passibles de la haute cour de justice, tout comme le président, les ministres, les parlementaires en fonction. S’il n’est pas surpris en flagrant délit, on ne peut pas l’arrêter. Sinon, l’arrestation est illégale. »
Une accusation rare
Il n’est pas courant d’accuser quelqu’un de complot contre la sûreté de l’État, en Haïti. Cette infraction est punie de dix ans d’emprisonnement au moins et de quinze ans au plus. Il s’agit d’un complot contre la vie ou contre la personne des membres du pouvoir exécutif, notamment le chef de l’État. Il peut aussi désigner l’intention de détruire ou de changer le gouvernement ou toute incitation à s’armer contre l’autorité du chef de l’État.
Ainsi plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Si le complot est dirigé contre la vie d’un membre du pouvoir exécutif, la loi prévoit une peine de quinze ans d’emprisonnement. S’il s’agit de porter atteinte à la vie d’un membre du pouvoir d’État, la peine est de dix ans minimum et de douze ans maximum.
Selon les articles 66 et 67 du Code pénal, « il y a attentat, dès qu’un acte est commis ou commencé pour parvenir à l’exécution de ces crimes, quoiqu’ils n’aient pas été consommés. Il y a complot, dès que la résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux conspirateurs, ou un plus grand nombre, quoiqu’il n’y ait pas eu d’attentat. »
D’après Rosy Auguste, responsable de programmes au Réseau national de défense des droits humains, « pour arrêter une ou plusieurs personnes pour complot contre la sûreté intérieure de l’État, il faut les éléments constitutifs de l’infraction qui doivent clairement démontrer l’objectif de cette résolution ainsi que les moyens qui avaient été mobilisés pour sa mise en œuvre ».
Sous la dictature
Les événements de ce 7 février ne sont pas nouveaux pour autant. Haïti a une longue histoire de coup d’État ou d’accusations contre des personnalités, dénoncées comme agitateurs. Sous la dictature des Duvalier, les opposants n’avaient pas voix au chapitre.
« C’est une copie conforme de la dictature. Cette répression est tout à fait identique à ce que nous avons vécu en 1957, 1958 ou 1960. Il y a déjà longtemps qu’on voit les signes de la dictature, il n’y a aucune raison de douter depuis le temps que Jovenel Moïse opère avec ses gangs à la façon des Tontons Macoutes. En ce qui me concerne, cette machine à fabriquer les nouvelles pour induire le peuple haïtien en erreur est déjà un acte terrifiant de dictature », déclare Guylène Bouchereau Sales, secrétaire exécutive de la Fondation Devoir de mémoire.
Arrestations arbitraires, disparitions forcées, emprisonnement et torture étaient des instruments utilisés par le régime des Duvalier. Les exemples sont légion.
François Duvalier a ainsi expulsé des prêtres jésuites, sous prétexte de complot. Ceux-ci avaient de bonnes relations avec le président, qui venait parfois assister à la messe dans leur maison de retraite. Croyant que cela serait sans conséquence, les prêtres ont voulu augmenter la puissance de l’émetteur d’une radio qu’ils dirigeaient, afin de couvrir tout le pays. Duvalier père ne pouvait laisser passer cette potentielle menace. Ils furent expulsés, et le grand séminaire de Port-au-Prince qu’ils avaient construit fut saccagé.
Le 1er novembre 1984, l’ancien sénateur de la République, feu Turneb Delpe, a ainsi été arrêté. Il a été appréhendé dans la ville de Port-de-Paix, en même temps qu’Esteve René, Joseph Mirtilien, Jean Paul Duperval et Paulux St Jean, révèle un rapport d’Amnesty International. Les policiers les ont arrêté sans mandat d’arrêt, et sans leur dire le motif de l’arrestation.
Turneb Delpe apprend quelque temps après qu’il est accusé de complot contre la sûreté de l’État. Il était membre fondateur du Parti national démocratique progressiste haïtien. Après différents types de torture physique et psychologique, il a été relâché en 1985 à la faveur d’une amnistie générale proclamée par Jean Claude Duvalier.
Plus près de nous
En 1996, sous la Présidence de René Préval, alors que le souvenir du coup d’État contre Jean Bertrand Aristide était encore vif, des opposants ont été aussi accusés de complot. Carmen Christophe, ancienne mairesse de Port-au-Prince sous le régime de Prosper Avril, a été accusée de mener des actes subversifs, et de complot contre la sûreté de l’État.
Plus proche de nous, le 3 octobre 2012 l’ancien sénateur Jean Renel Sénatus, a dénoncé devant la commission justice du sénat, des pressions dont il avait été victime, lors de sa fonction de commissaire du gouvernement de Port-au-Prince.
Dans un rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, et de l’organisation mondiale contre la torture, il est révélé que Jean Renel Sanon, ministre de la Justice, enjoignait le commissaire à arrêter 36 individus, opposants au régime Tèt Kale, pour complot contre la sureté de l’État. Parmi ces personnes, on compte Mario Joseph, André Michel et Newton St-Juste.
Jameson Francisque & Widlore Mérancourt
Une erreur s’est glissée dans le nom du juge Yvickel Dabrésil dans une première version de cet article. 7.2.2021 13.45
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