Voilà plus d’une semaine aujourd’hui depuis que le cadavre d’un homme est en décomposition sur le Chemin des Dalles, à l’entrée Est de la rue Romulus, Martissant 7. Tué au cours des récents affrontements entre les bandes armées rivales de Grand Ravine, Ti Bois et de 2e avenue, ce sont finalement les cochons et les chiens qui ont mangé le corps non identifié.
« Je vis à Ti Bois depuis tellement longtemps que je ne sais plus à quand cela remonte. C’est pourtant la première fois que je vois une telle chose.» La voix mesurée et résignée, Joe, septuagénaire, témoigne de l’horreur, le samedi 7 juillet dernier. Il a assisté à la scène comme à une pièce de théâtre macabre qui lui est imposée. Il confirme les dires de Denise, une habitante de la rue Romulus, qui nous a appris la nouvelle.
La conversation avec Denise démarre pourtant sur un ton badin, ce samedi-là, durant une visite du quartier. Les tirs nourris qui pleuvent sur cette partie de la 3e circonscription de Port-au-Prince (estimée à plus de 295 000 habitants, IHSI 2015) depuis près de trois mois viennent tout juste de cesser. Tous en profitent pour sortir se dégourdir les jambes. Arrivée à ce qui représente une distance de cinq minutes de marche de l’entrée de Grand Ravine et Ti Bois, Denise refuse d’aller plus loin. C’est là qu’elle nous parle du cadavre. A la limite de cette frontière, le marché Juan Vasquez construit sous Préval est occupé uniquement par les grossistes de charbon de bois. Les autres commerçants, comme à l’accoutumée, préfèrent rester dans la rue.
Depuis que la guerre a dégénéré à Grand Ravine avec le retour puis la mort (non confirmée par la PNH) du chef de gang Tèt Kale, le marché a été délocalisé. Les marchandes se sont installées plus bas sur la rue Romulus pour écouler leurs denrées. L’une d’entre elles débarque justement le jour de notre visite, une brouette remplie de bananes complètement pourries. «Nous devons malheureusement accepter qu’elles s’installent ici le temps que les choses se calment. Elles ne vivent que de ce qui est vendu au quotidien » a expliqué Marcel, un autre habitant de la rue Romulus. « Nous craignons déjà cependant que le marché ne reste définitivement dans notre rue. Ce sera un gros problème de plus à gérer » poursuit-il.
« Pour l’instant, nous sommes compréhensifs et solidaires. Mais il faudra bien que l’État règle le problème Grand Ravine et Ti bois. Nous ne pourrons plus tenir longtemps dans ces conditions » se plaint Carlos, ancien superviseur au lycée Jacques Roumain de Grand Ravine. Il nous raconte que rançonnées, brutalisées et menacées, ces marchandes sont tous les jours contraintes de braver la mort. Pour elles, tout se joue entre crever de faim ou crever d’une balle perdue.
Plus que cette dernière fatalité, c’est surtout la puanteur du cadavre en putréfaction qui avait poussé les commerçantes à évacuer le marché. La vision d’une dépouille livré, à ciel ouvert, aux crocs des chiens et des porcs, n’a sans doute rien de réjouissant. Un chauffeur de moto, habitant non loin de Grand Ravine, nous a assuré que les restes (les os) laissés par ces animaux ont été balancés dans la ravine par des portefaix.
Plus loin sur le Chemin des Dalles, un autre cadavre, a été découvert, encore en stade de putréfaction, nous a appris le chauffeur de moto. Ce corps non plus n’a pas été identifié. Aucun juge de paix n’est venu, jusqu’à maintenant, faire le constat. Si le corps n’est pas levé, il pourrait subir le même sort.
Peguy Flore Pierre
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