Les habitants exténués par la violence de la commune et l’abandon des autorités lancent un appel au secours
La situation à Cité Soleil s’apparente à ce qu’on observe dans des territoires en guerre.
« Toutes les ruelles menant à mon quartier sont barricadées avec des sacs de sable, servant de cachettes aux gangs rivaux qui tirent en toute quiétude sur tout ce qui bouge chez l’autre gang », rapporte avec frayeur une jeune fille de la Cité. Ces espaces, continue-t-elle, sont nommés « VAR ».
Au début du mois de mai, les hommes de Boston et Belekou — deux quartiers alliés de la zone — ont entrepris de couper les lignes qui alimentent Brooklyn et ses environs en électricité.
Ils interdisent même aux camions d’approvisionner l’espace en eau et en produits alimentaires.
« Nous sommes pris au piège et les rares boutiques de la zone qui ont encore des produits augmentent les prix », se plaint une autre habitante qui préfère elle aussi ne pas dévoiler son identité, par crainte de représailles.
Ainsi, sans eau, sans électricité et avec peu de nourriture, les quartiers contrôlés par le gang de « Ti Gabriel » deviennent une « prison à l’air libre » regrette une autre jeune femme qui ne parvient même pas à se rendre au travail.
Des territoires sous contrôle
C’est au début du mois de janvier 2021 qu’une guerre sans merci éclate entre le quartier de Brooklyn dirigé par le chef de gang Gabriel Jean Pierre, alias « Ti Gabriel » et une coalition d’autres gangs réunissant Mathias Saintil de Boston et Iscar Andris de Belekou.
Requérant l’anonymat, des habitants de Cité Soleil racontent que « Ti Gabriel » fait mainmise sur le quartier de « Sou Waf ». Il aurait provoqué le courroux des autres chefs de gangs de la Cité pour avoir refusé d’intégrer le « G9 an fanmi e alye » une coalition de gangs mis en place par le pouvoir de Jovenel Moise pour ceinturer Port-au-Prince et mater tout mouvement de revendication populaire », selon des organisations de défense des Droits humains dont le Réseau national de défense des Droits humains et la Fondation Je Klere.
Depuis le déclenchement de la guerre en janvier 2021, les victimes se comptent par dizaines au sein de la population civile, prise en otage.
Selon un rapport du RNDDH, de janvier à mai 2021, les violences ont déjà fait 44 morts, sept disparus et quinze blessés.
Des civils pris en sandwich
La configuration de Cité Soleil donne à la coalition de gangs de Boston et de Belekou un avantage sur leur adversaire de Brooklyn, situé au fond du bidonville, près de la mer.
De ce fait, sortir de Brooklyn ou de tout autre quartier avoisinant et contrôlé par le gang de « Ti Gabriel » constitue un véritable risque pour la population civile qui doit impérativement traverser un territoire ennemi.
Pire, le fait d’habiter dans un quartier ennemi fait du simple citoyen un adversaire à abattre.
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Le 26 avril dernier, postés sur le toit d’un orphelinat, les hommes de Boston ont ouvert le feu sur des camionnettes revenant du centre-ville de Port-au-Prince à destination de Brooklyn.
Des habitants de la Cité rapportent que cette attaque a fait trois morts et une dizaine de blessés.
Selon le rapport du RNDDH, le même jour du 26 avril, une autre camionnette revenant de Brooklyn a été détournée par des hommes armés. Les victimes ont été conduites à « Pye 6 » pour être interrogées et mutilées. Selon le RNDDH, les femmes ont été autorisées à rentrer chez elles.
Complicités de la police ?
La population est livrée à elle-même face à cette situation difficile. La police nationale est aux abonnés absents dans le plus grand bidonville du pays fondé dans les années 1960 et autrefois appelé Cité Simone, pour honorer Simone Ovide Duvalier, l’épouse du dictateur meurtrier François Duvalier.
La tuerie du 26 avril 2021 qui a fait trois morts et une dizaine de blessés a eu lieu à Carrefour Boston, devant un sous-commissariat de police.
Samedi 22 mai dernier, un chauffeur de taxi moto a été tué devant ce même sous commissariat de police. L’homme transportait une passagère qui venait de boucler une journée de travail dans une « factory » de la capitale. Ils tentaient de rejoindre le quartier de Brooklyn quand ils ont reçu l’ordre des bandits du G9 de s’arrêter non loin de ce sous-commissariat. Pris de panique, l’homme a mis les gaz et s’est réfugié au sein du sous-commissariat avec la passagère.
Arrivés dans l’enceinte de l’espace des forces de l’ordre, les passagers de la moto auraient été livrés aux gangs par les policiers. L’homme a été exécuté et brulé non loin du sous-commissariat et la passagère qui revenait de son travail a été sévèrement tabassée puis libérée.
Sous couvert d’anonymat, une jeune femme de la Cité confirme une pratique dégradante dont sont victimes les femmes et jeunes filles : « Quand on vous intercepte, on vous appelle Madan Gabriel pour suggérer que vous êtes de connivence avec le gang ennemi. On vous fait des remarques déplacées sur votre corps, arguant qu’avec de si grosses fesses, vous ne pouvez être autre que l’une des concubines de Gabriel. Les jeunes filles sont ainsi humiliées et parfois violées alors que les hommes sont contraints de se jeter sur le bitume sous un soleil de plomb avant d’être exécutés, dans la majeure partie des cas. »
Dans le cadre du travail réalisé par le RNDDH, le responsable de la PNH à Cité Soleil avait mis l’impuissance de la police sur le compte d’un manque de matériels et d’effectif. Sur ce point, le nouveau directeur départemental Ouest 2 de la police, Clervens Cetoute promet que l’institution fera régner l’ordre, sous peu, à Cité Soleil.
Le message de paix attendra
Daniel Tillias est l’un des citoyens de Cité Soleil ayant participé au projet très médiatisé de l’implantation d’une bibliothèque dans la zone appelée : « Konbit Bibliyotèk Site Solèy ».
Tillias révèle que toutes les activités de la bibliothèque se situant à la frontière des quartiers ennemis sont au point mort à cause de la violence.
Or, la construction de cette bibliothèque a bénéficié du support de tous les groupes qui sont en guerre aujourd’hui, dit Daniel Tillias. Ses tentatives pour instaurer un cessez-le-feu restent vaines.
« Les enjeux sont si importants pour les groupes rivaux qu’ils laissent de côté l’intérêt commun qui est la bibliothèque, symbole du renouveau de la Cité », regrette Daniel Tillias qui dit attendre le moment opportun pour revenir avec le message de paix dont Cité Soleil a tant besoin.
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