POLITIQUE

Delphine Gardère accusée de « coup d’État » à la CFHCI

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La cheffe du Rhum Barbancourt prend la tête de la chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’industrie, en marge d’une lutte acharnée pour le contrôle de la société familiale

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Pour Delphine Nathalie Gardère, les victoires spectaculaires se succèdent. Les complaintes aussi.

Le triomphe, peut-être le plus important, date de trois ans, lorsqu’elle obtient, contre des membres de sa famille, le contrôle de la société du Rhum Barbancourt.

Delphine Gardère a remporté ce succès à l’issue d’une bataille sans merci. Sa mère, Muriel Lamour Gardère, s’est formellement plainte d’avoir été frappée par Delphine lors d’une altercation. Sa plainte sera classée sans suite pour « inopportunité des poursuites ».

L’autre triomphe spectacle remonte au 29 mars 2023.

En ce mercredi, une partie de l’élite du secteur privé traverse la végétation luxuriante du restaurant La Réserve de Pétion-Ville, pour prendre part à l’assemblée générale de la Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie (CFHCI).

Au terme d’un processus empreint d’intrigues, Delphine Gardère évince l’ancien leadership pour se faire élire présidente du conseil d’administration de la chambre.

Pour Delphine Nathalie Gardère, les victoires spectaculaires se succèdent. Les complaintes aussi.

Parmi les onze membres du nouveau conseil, au moins six travaillent pour la société Barbancourt ou ont entretenu des liens avec cette entreprise et sept d’entre eux n’étaient pas membres de la CFHCI deux jours avant les élections, selon un membre de l’ancien conseil.

« C’est un coup d’État réalisé avec des inscriptions frauduleuses », accuse un ancien membre du Conseil d’administration de la chambre. « Delphine Gardère aurait pu être élue sans le bourrage des urnes », affirme-t-il. « Mais cette opération lui assure un contrôle total sur la chambre. »

Selon des personnes directement impliquées, « l’opération » pour élire Gardère a obtenu le support de Grégory Morissette, directeur exécutif de la Fondation Barbancourt, également responsable de la commission chargée du processus d’adhésion au sein de l’ancien conseil de la CFHCI. Morissette qui siège au nouveau conseil d’administration dirigé par Delphine Gardère était lui-même candidat.

Parmi les onze membres du nouveau conseil, au moins six travaillent pour la société Barbancourt ou ont entretenu des liens avec cette entreprise.

Morissette a invité Carel Pedre à rejoindre le Conseil. Ce dernier s’est inscrit et a donné au cadre de la Fondation Barbancourt mandat pour voter à sa place, parce que le responsable de média n’était pas présent à l’assemblée générale.

« Lorsque je me suis entretenu avec Gregory [Morissette], je voulais savoir de quoi il en était », déclare à AyiboPost l’initiateur de Chokarella, élu membre du nouveau conseil et qui travaille comme ambassadeur du rhum Barbancourt.

« Ce sont des gens que je connais, j’adhère à ce qu’ils disent, je crois dans leur vision », soutient Carel Pedre.

Un membre de l’ancien conseil rapporte qu’à peine deux jours avant les élections, la CFHCI, qui comptait une soixantaine de membres, reçoit soudainement environ 70 nouvelles demandes d’intégration. De plus, plus d’une quinzaine de chèques de direction, tous reçus par AyiboPost, portent la même date du 24 mars 2023. Ces chèques présentent des numéros successifs et proviennent de la même succursale de la Sogebank.

Carel Pedre […] s’est inscrit et a donné au cadre de la Fondation Barbancourt mandat pour voter à sa place, parce que responsable de média n’était pas présent à l’assemblée générale.

Contacté par AyiboPost, l’avocat de Barbancourt et nouveau trésorier à la CFHCI, Paul Édouard Ternier, explique que le conseil veut aller vers les hommes d’affaires de la province pour donner à la chambre une plus grande envergure. « Si c’est cela qu’on appelle bourrage d’urnes, dans ce cas nous assumerons qu’il y a eu bourrage d’urnes », déclare Ternier.

Cependant, le nouveau conseil d’administration compte fermer la brèche qui a contribué à son élection. « On travaille sur une modification des statuts, dit maitre Ternier. Désormais, si la modification est votée, un membre ne pourra être porteur que d’un seul mandat. Pour être candidat [l’intéressé] devra être membre de la CFHCI depuis au moins un an. »

L’adhésion à la dernière minute ne contrevient pas aux statuts de la chambre. Mais « c’est inhabituel qu’on ait plus de 70 nouveaux membres inscrits 48 h avant les élections et autant de chèques de direction émanant de la même banque et de la même succursale », déclare Gregory Brandt, président du conseil sortant. « C’est une grande première », dit-il.

Si c’est cela qu’on appelle bourrage d’urnes, dans ce cas nous assumerons qu’il y a eu bourrage d’urnes.

Avant ces élections, Gregory Brandt a entrepris ses propres démarches pour ralentir la nouvelle coalition. Salim Succar, un avocat sous sanction du Canada, a été contacté par Brandt — membre du conseil pour la première fois en 1996 — pour devenir membre, selon des courriels et une interview menée par AyiboPost. L’avocat a effectivement inscrit son cabinet.

Le 27 mars 2023, Brandt aurait proposé au clan Delphine Gardère, d’après maitre Ternier qui dit en avoir été témoin, un accord en dehors des statuts selon lequel ils prendraient « cinq membres déjà inscrits parmi ceux qui avaient accepté de faire partie du Conseil avec Madame Gardère. Ces cinq membres devaient s’associer avec trois membres du conseil sortant pour former un nouveau conseil de huit membres. » Aussi, « ce nouveau conseil devait valider les nouveaux membres et organiser une élection pour compléter le conseil », continue Ternier qui dit avoir rejeté l’offre.

Gregory Brandt affirme n’avoir jamais fait une telle offre. « C’est faux, dit l’homme d’affaires. J’ai simplement demandé d’arrêter de faire ces manœuvres borderline et de laisser l’assemblée voter normalement et compte tenu des membres dans l’ancien conseil qui ne voulaient pas se présenter aux élections, il est fort possible que [le clan Gardère] aurait cinq ou six membres de leur groupe. Et c’est très bien pour la pluralité. »

Avant ces élections, Gregory Brandt a entrepris ses propres démarches pour ralentir la nouvelle coalition.

Deux autres irrégularités viennent éclabousser le processus ayant abouti à l’élection de Delphine Gardère. Le comité d’adhésion constitué de trois membres devait normalement se réunir, et donner ses recommandations sur les nouveaux membres. Mais c’est uniquement Grégory Morissette qui a signé le rapport d’adhésion, selon les témoignages d’un membre de l’ancien conseil et des documents consultés par AyiboPost.

Le conseil d’administration de la chambre devait aussi ratifier le rapport du comité d’adhésion. Cette étape n’a pas non plus été suivie, selon une personne directement au courant du processus.

Gregory Brandt — qui reconnait avoir accusé la réception des demandes d’inscription — révèle avoir soulevé les irrégularités dans son discours à l’assemblée générale. Mais le groupe a décidé de poursuivre avec les élections.

Cette décision de poursuivre intervient dans un contexte particulier : pour la première fois dans l’histoire de la chambre, l’ambassadeur de France, membre d’honneur de la CFHCI, a personnellement fait le déplacement pour assister aux élections.

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En réalité, l’ambassadeur Fabrice Mauries était mal à l’aise avec l’ancien conseil de la CFHCI, selon des témoignages recueillis par AyiboPost.

Lorsque le New York Times sort en mai 2022 son projet éditorial qui soulignait comment la France avait injustement soutiré jusqu’à 115 milliards de dollars à Haïti, le représentant de l’Hexagone dans le pays a demandé autour de lui si l’administration d’Ariel Henry comptait rouvrir le dossier des réparations, introduit avec fracas sous la présidence de Jean Bertrand Aristide au début des années 2000. Le diplomate sollicite la chambre pour la sortie d’une note contre le projet du journal étasunien. Cette demande lui a été refusée, selon la personne qui dit l’avoir directement reçue.

Pour la première fois dans l’histoire de la chambre, l’ambassadeur de France, membre d’honneur de la CFHCI, a personnellement fait le déplacement pour assister aux élections.

Le 8 septembre 2022, le diplomate demande à la chambre de sortir une note pour demander une intervention militaire en Haïti. Selon un membre de l’ancien conseil, cette requête faite au téléphone lui a aussi été refusée. L’ancien conseil n’a pas non plus intégré l’accord du 21 septembre porté par le Premier ministre Ariel Henry et « accueilli avec intérêt » par la délégation de l’Union européenne, dont fait partie la France.

« Fabrice Mauries détient une arme redoutable qui est le droit d’accorder les visas pour l’Europe », commente un membre de l’ancien conseil qui estime que la présence du diplomate à l’assemblée générale « a intimidé les gens ».

Selon quatre professionnels qui interagissent directement avec lui depuis sa prise de fonction en septembre 2021, l’ambassadeur traine la réputation d’un personnage « colérique et d’humeur changeante ». Son attitude, décrite par deux personnes comme « condescendante », ainsi que la place de la France sur l’échiquier politique actuel, conduit certaines personnalités à refuser de le rencontrer. « J’ai décliné les invitations de [Fabrice Mauries] à trois occasions, déclare à AyiboPost une experte haïtienne en relations internationales. Sur le plan géopolitique, Haïti est une province des États-Unis et je ne pense pas que la France est pertinente dans le pays aujourd’hui. »

Fabrice Mauries détient une arme redoutable qui est le droit d’accorder les visas pour l’Europe

Un témoin révèle que lors d’un diner l’année dernière, Fabrice Mauries choque des professionnels haïtiens en déclarant qu’ils ne sont intéressés que par « les visas ». Des assistants d’une conversation déroulée à la Nonciature apostolique de Pétion-Ville ont également été surpris d’entendre le diplomate déclarer qu’une personne ayant eu des propos qu’il estime déplaisant sur Twitter allait « payer » pour son discours impertinent. Il n’est pas clair si le diplomate faisait référence à la question des visas.

Obtenir la direction d’une chambre de commerce permet de prendre des positions au nom d’un groupe large d’entreprises, d’établir des contacts avec d’autres chambres locales et internationales et de s’assurer une place de choix dans les grands débats et négociations économiques et politiques du pays, selon des analystes.

« [Fabrice Mauries] voulait prendre le contrôle de la chambre pour casser sa ligne d’indépendance et la soumettre à ses désidératas », analyse un membre de l’ancien conseil.

Quoiqu’il en soit, l’ambassadeur de France entreprend des initiatives pour défendre les intérêts économiques de son pays en Haïti.

Le groupe français Bolloré avait investi 40 millions de dollars dans les installations portuaires du terminal Varreux en 2014, selon une note du Centre de facilitation des investissements. Ce terminal reçoit actuellement des marchandises en vrac, mais pas des conteneurs. Or, il s’agit d’un marché jugé lucratif dans un pays où 70 % des biens marchands sont importés. Une bonne partie de ces biens arrive à travers des conteneurs.

La construction des infrastructures nécessaires pour recevoir des conteneurs au Terminal Varreux a été finalisée en 2020. Photo : TVB

Pour le moment, seul le regroupement d’opérateurs au sein du « Caribbean Port Services », présidé par Philippe Coles, et le Port Lafito de GB Group, un conglomérat fondé par le riche homme d’affaires Gilbert Bigio, sont habilités à recevoir des conteneurs à Port-au-Prince dont la baie concentre 80 % de l’activité portuaire d’Haïti.

Selon son directeur, Guy William, le port Lafito est opérationnel, mais ne reçoit pas de bateau « pour le moment » à cause d’un naufrage enregistré en janvier 2023. « Nous sommes en train de faire le nécessaire pour retirer le bateau et recommencer les activités », rapporte William.

La construction des infrastructures nécessaires pour recevoir des conteneurs au Terminal Varreux a été finalisée en 2020 après un investissement d’environ 40 millions de dollars fait par la Citibank des États-Unis et Proparco, une filiale de l’Agence française de Développement (AFD), d’après les déclarations à AyiboPost de Richard Lebrun, un membre du conseil d’administration de la société également appelée TVB Port-au-Prince Terminal S.A.

Quoiqu’il en soit, l’ambassadeur de France entreprend des initiatives pour défendre les intérêts économiques de son pays en Haïti.

Fabrice Mauries vient donc à la rescousse. Une source du secteur révèle à AyiboPost avoir rencontré l’ambassadeur dans le cadre de ce dossier. Avec le diplomate, elle a discuté de l’attribution à TVB par l’État d’une autorisation de débarquer des containeurs devant se traduire notamment par l’envoi de douaniers dans l’institution.

En mars de cette année, les 50 % de Bolloré dans TVB ont été vendus à la Mediterranean Shipping Company (MSC), révèle à AyiboPost Richard Lebrun.

Figurant dans le top trois mondial, MSC est une ligne maritime qui transporte ses propres conteneurs et elle voudra utiliser son propre terminal pour les débarquer. « On est positifs », déclare Richard Lebrun. « On pense que le gouvernement fera ce qui est nécessaire », rajoute l’entrepreneur qui parle d’une situation de « monopole » qu’il faut casser.

Ceux qui s’opposent à l’idée pour TVB de recevoir des conteneurs mettent en avant une étude commanditée par l’État sous le gouvernement de Jean Max Bellerive, ancien premier ministre. Cette étude avait à l’époque découragée la venue de nouveaux acteurs à cause notamment de la taille du marché. Malgré cela, le droit de recevoir des conteneurs a été accordé subséquemment au Port Lafito.

Cette étude avait à l’époque découragée la venue de nouveaux acteurs à cause notamment de la taille du marché.

Une source bien au courant du dossier commente les demandes de TVB. « C’est ça le problème d’Haïti : il y a des gens qui refusent de respecter les règles qui savent qu’ils ont la capacité, la force et les réseaux pour pouvoir résoudre leurs problèmes hors de l’autorité institutionnelle de l’espace dans lequel ils ont décidé d’investir. »

Selon cette source, « les opérateurs dans le quai public qui respectent scrupuleusement les règles de l’APN sont frustrés quand quelqu’un s’arroge le droit de défier l’autorité de l’APN et d’aller régler le problème à un niveau politique. » Elle continue : « Quand quelqu’un décide de bruler les étapes et de ne pas respecter les règles établies par l’autorité institutionnelle qui est l’APN et par la suite, ils construisent envers et contre tous, en ne respectant pas les injonctions d’attendre et de présenter les chiffres, je ne peux être d’accord avec ça ».

Contacté par AyiboPost, l’ambassadeur Mauries a rappelé que « les statuts de la Chambre de commerce franco-haïtienne prévoient que l’ambassadeur de France en Haïti en est président d’honneur. »

Le diplomate qui, dans un tweet sorti le 31 mars, a félicité la nouvelle équipe « diversifiée et paritaire » de la chambre n’a pas fait de commentaires supplémentaires sur les autres faits mentionnés dans cet article.

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Delphine Gardère cimente son entrée sur la scène économique du pays, dominée par des hommes souvent sexistes, à la mort de son père, Thierry Gardère, en 2017.

Sa femme, Muriel Lamour Gardère et leur fille unique, Delphine, récupèrent ensemble les 37,25 % que détenait le défunt dans l’entreprise au capital social de 275 millions de gourdes. Deux autres membres de la famille Gardère, Jean-Marc et Françoise possédaient chacun 24,75 % de la société. Michel Gardère contrôlait les 13,25 % restant.

Un audit du cabinet Mérové-Pierre en septembre 2017 expose une situation financière catastrophique à Barbancourt, selon des informations collectées par AyiboPost. La société avait quinze millions de dollars américains de dette pour un chiffre d’affaires similaire. L’usine était intégralement sous hypothèque et l’entreprise affichait un cash-flow négatif sur les six dernières années.

Un audit du cabinet Mérové-Pierre en septembre 2017 expose une situation financière catastrophique à Barbancourt.

La gestion administrative de Barbancourt qui écoulait 80 % de sa production en Haïti posait aussi problème, selon l’audit. Entre autres, étaient relevés une société en « sur effectif » et des comptes associés en négatif à cause d’une confusion entre dépenses personnelles et dépenses professionnelles.

Grâce à des interviews de personnes impliquées dans le dossier et à des documents confidentiels obtenus, AyiboPost parvient à documenter pour la première fois l’ascension de Delphine Gardère à la tête de l’entreprise de 161 ans — une des plus vieilles d’Haïti — dont la technique de production traditionnelle de rhum prend place au registre national du patrimoine culturel et fait la fierté d’Haïti.

Le 29 septembre 2017, Delphine Gardère et sa mère signent dans un climat relativement calme une convention de partage qui fait de l’héritière unique la propriétaire de 37,25 % de la société du rhum Barbancourt.

En novembre 2017, la question de l’assurance vie de Thierry Gardère, perçue par son épouse Muriel Lamour, fait dérailler la relation de cette dernière avec sa fille. Delphine Gardère soutient que « certaines primes » avaient été payées par Barbancourt, et de ce fait, c’est l’entreprise qui devait percevoir l’assurance.

Entre autres, étaient relevés une société en « sur effectif » et des comptes associés en négatif à cause d’une confusion entre dépenses personnelles et dépenses professionnelles.

Le différend vire au conflit physique le 23 novembre 2017, selon un document confidentiel. Ce jour-là, Delphine et une cousine se rendent au domicile de Muriel Gardère qui « enregistre » cette rencontre. « Le ton monte rapidement jusqu’à en venir aux mains », lit-on. Un juge de paix est appelé pour constater les faits et dresser un procès-verbal. Muriel Gardère s’est plainte d’avoir subi une agression physique et verbale de la part de sa fille.

Tout de suite après, la mère conteste la convention de partage signée quelques mois plus tôt. S’en suit une saga familiale de plusieurs années où avocats et conseillers ont tenté de départager les belligérants. En mars 2020, Delphine Gardère crie victoire à la faveur d’une sentence arbitrale ! Elle retient les 37,25 % de la société du Rhum Barbancourt et fait condamner sa mère à verser la somme symbolique de « un dollar américain ».

La plainte de Muriel Gardère pour voie de fait sera classée « sans suite pour inopportunité des poursuites » par décision de Norgaisse B. Gerald, substitut commissaire du gouvernement, selon un certificat de greffe daté du 22 mars 2018 du parquet près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, signé par le commis-greffier en chef de l’époque, Wilbert Rhau.

Muriel Gardère s’est plainte d’avoir subi une agression physique et verbale de la part de sa fille.

La mère de Delphine Gardère n’avait ensuite pas souhaité mener le conflit sur d’autres fronts, selon une source au courant de sa volonté. Cette décision fait écho à un autre clash familial remontant à 2016, lorsque Delphine Gardère avait produit une « analyse des marges et des rentabilités » de l’entreprise sur demande de son père, Thierry Gardère. Selon un document confidentiel qui cite la mère obtenu par AyiboPost, Delphine avait qualifié la gestion de Barbancourt par son père « d’exécrable ». Cette analyse des marges a contribué à la dégradation des relations entre la fille et son père. Ce dernier avait accepté la démission de Delphine Gardère la même année.

Contactée par AyiboPost, Delphine Gardère a posé quatre conditions pour accepter d’être interviewée. Elle a voulu « voir la première ébauche écrite, savoir avec qui AyiboPost s’est entretenu et avoir un droit de relecture et d’approbation sur le contenu. » AyiboPost a refusé ces conditions qui contreviennent aux principes de base du journalisme et à ses règlements internes. Les faits rapportés dans cet article lui ont aussi été communiqués par courriel pour avoir sa réaction. Elle a persisté dans son refus. Mais son avocat, maitre Paul Édouard Ternier, a pris contact avec AyiboPost. Réitérant le refus de son client de donner réponse aux faits transférés par courriel, le représentant légal a proféré des menaces de poursuites judiciaires contre le média et son journaliste si l’article contenait des allégations diffamatoires.

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En novembre 2020, Delphine Gardère annonce lors d’une conférence de presse le rachat de 100 % du capital de Barbancourt à travers une holding et un financement d’endettement.

En marge de cette annonce, elle et son mari, un citoyen français dénommé Martin Paul Marie Molère, lancent des travaux de rénovation dans l’usine de Barbancourt.

Réitérant le refus de son client de donner réponse aux faits transférés par courriel, le représentant légal a proféré des menaces de poursuites judiciaires contre le média et son journaliste si l’article contenait des allégations diffamatoires.

Jonathan Dutour a été architecte et responsable du projet de rénovation. Deux affaires soldent sa séparation avec le clan Gardère. La première porte sur une dette 12 618 dollars américains sur ses honoraires, pour la rénovation de l’usine. L’entreprise refuse de verser la somme, et affirme que c’est l’architecte qui lui doit 23 737 dollars, selon un document de justice obtenu par AyiboPost.

Exténué, Jonathan Dutour introduit en mai une action en justice pour recouvrer son dû. Sa plainte pour « abus de confiance, escroquerie » est classée sans suite le 22 mai 2023 parce que les faits présentés ne constituent pas une « infraction pénale », d’après un document du dossier obtenu par AyiboPost.

« L’avocat [de Dutour] n’avait en effet pas emprunté la bonne voie dans cette affaire soit par incompétence ou manque de maitrise du droit du travail », déclare à AyiboPost un représentant légal d’expérience, mis au courant du dossier. Cependant, « rien n’empêche le plaignant de réintroduire correctement sa requête. »

Exténué, Jonathan Dutour introduit en mai une action en justice pour recouvrer son dû.

La deuxième affaire concerne un investissement de 74 000 dollars américains réalisé pour Dutour par sa mère dans une entreprise immobilière de Martin Molère aux États-Unis en janvier 2021.

Selon des échanges de courriels et des messages WhatsApp obtenus par AyiboPost dans ce dossier, Martin Molère avait promis à Dutour 47,5 % de la firme Chaillot 1 LLC qui détient deux maisons à Detroit aux USA.

Des recherches effectuées par AyiboPost confirment l’enregistrement de deux maisons dans le Michigan aux États-Unis au nom de Chaillot 1 LLC. Au 25 mai 2023, ces immeubles avaient un statut de « délinquant » pour taxes non payées. Il n’est pas clair si ces maisons appartiennent à Martin Molère ou s’il est effectivement propriétaire de la firme Chaillot 1 LLC.

Plus de deux ans après le transfert de plusieurs dizaines de milliers de dollars américains, Jonathan Dutour dit n’avoir reçu aucun titre de propriété ni un document pour attester sa participation dans la société : il exige alors le remboursement de la somme initiale et des « intérêts promis ».

Au 25 mai 2023, ces immeubles avaient un statut de « délinquant » pour taxes non payées.

Lorsque le clan Dutour presse Molère en mars 2023, le citoyen français les demande de contacter son avocat, maitre Paul Édouard Ternier, trésorier à la CFHCI, selon des échanges WhatsApp obtenus par AyiboPost.

« Il y a beaucoup de mensonges derrière », déclare Dutour. « Il avait ma confiance. » Mais maintenant, « je ne sais pas ce qui est vrai [ni] ce qui n’est pas vrai. Plus de deux ans après, je ne sais toujours pas qui est propriétaire de la société. Et quand j’essaie de récupérer mon argent, il m’envoie vers un avocat. »

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La Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie présidée par Delphine Gardère prend le pouvoir dans un contexte où le pays se trouve dirigé depuis près de deux ans par un Premier ministre non élu, concentrant entre ses mains presque tous les pouvoirs.

Le 24 avril 2023, l’ambassadeur de France en Haïti Fabrice Mauries rencontre le nouveau conseil d’administration de la CFHCI. Le lendemain 25 avril, — un jour avant une réunion sur Haïti au Conseil de sécurité de l’ONU — la CFHCI pose sa première action politique en signant avec d’autres organisations patronales une note invitant les acteurs politiques du pays à « résoudre leurs différends » et à se « rallier, s’ils ne l’auraient déjà fait, aux signataires de l’accord politique du 21 décembre 2022 dont l’objectif ultime est de conduire à la tenue d’élections honnêtes, transparentes et équitables. »

L’ambassadeur de France en Haïti Fabrice Mauries rencontre le nouveau conseil d’administration de la CFHCI

Il n’est pas clair si cette nouvelle orientation trouve approbation au sein de la majorité des membres de la CFHCI.

« Je crois que tout le monde dans la chambre, pour ne pas dire la majorité, ne veut pas rentrer en politique », déclare à AyiboPost, Carel Pedre, membre du nouveau conseil aux côtés de Delphine Gardère. « D’ailleurs, renforce le responsable de média, la chambre était en dehors de toutes les négociations politiques ces dernières années, et on souhaite continuer ainsi. »

Comme une association patronale, nuance le responsable de média, « si des mouvements se font dans le secteur privé, nous avons notre mot à placer puisque nous représentons des membres qui ont des positions. »

Questionné sur le risque d’un manque de démocratie dans une institution totalement contrôlée par Delphine Gardère, Pedre déclare : « Je ne suis pas préoccupé par cela parce que j’ai participé à plusieurs réunions et je trouve que les gens s’expriment de façon assez indépendante. »

Au lendemain de la publication de cet article, Delphine Gardère a sorti une note sur Twitter où elle dit faire l’objet d’une campagne médiatique. « Je note, écrit Gardère, que [les] attaques ont commencé après que j’ai appelé sans ambiguïté le secteur privé à assumer sa part de responsabilité dans le drame que connait notre pays, une responsabilité mise en évidence par les sanctions internationales qui n’épargnent pas, hélas, le monde des affaires haïtien. »

AyiboPost continue d’enquêter. Si vous avez des informations, contactez confidentiellement la rédaction à : hey@ayibopost.com

PaWidlore Mérancourt

Cet article a été mis à jour avec une note de Delphine Gardère et une précision sur la provenance d’une déclaration.  17.14 9.6.2023 / 5.7.2023


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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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