L’État haïtien n’a rien à voir avec ces initiatives, cependant
En avril 2020, l’Électricité d’État d’Haïti entamait une campagne d’installation de compteurs prépayés. En principe, l’électricité devrait désormais être achetée par un consommateur avant sa consommation. Tout comme les minutes téléphoniques.
Les compteurs prépayés introduits par l’EDH ne servent cependant à rien sans la disponibilité du courant 24/24 dans le pays.
Alors que l’État rentre tardivement dans le domaine, certaines initiatives locales qui évoluent totalement en dehors de l’EDH affichent du succès grâce à la solution avancée de comptage à prépaiement intelligent.
En 2015, une entreprise américaine du nom de SIGORA international a décidé d’installer une filiale en Haïti. Depuis, l’institution expérimente à travers SIGORA Haïti un système de compteur prépayé. « 95 % de nos clients détiennent un système de courant prépayé. On n’a pas de souci pour le taux de facturation, car le consommateur doit prépayer l’électricité pour activer la charge dans son compteur », fait savoir l’ingénieur en électromécanique Léslie Vaval, responsable du développement du projet.
Le projet SIGORA Haïti a une capacité de production de 1300 kilowatts, dont 200 kilowatts en énergie solaire. « Le courant est disponible 24/24 et alimente plus de 10 000 ménages dans le département du Nord’Ouest. Les communes de Môle Saint-Nicolas, de Jean-Rabel et de Bonbardopolis en sont les bénéficiaires », relate l’ingénieur qui travaille actuellement sur l’extension du projet.
Le soutien de la Banque interaméricaine de développement (BID) et les dons de SIGORA international vont permettre à SIGORA Haïti d’augmenter la capacité de production du projet. « Ainsi, les communes de Côtes de fer, Dame Marie bénéficieront sous peu de l’énergie de SIGORA Haïti », dit Léslie Vaval.
Faible capacité économique
La Coopérative électrique de l’arrondissement des Coteaux se trouvant dans le département du Sud fournit aussi des efforts pour offrir un courant stable. Avec l’initiative, les communes de Roche-à-bateau, de Coteaux et de Port-à-Piment bénéficient aujourd’hui de quinze heures d’électricité par jour. La coopérative utilise depuis sept ans les nouveaux compteurs prépayés.
Le projet de l’électrification des Côteaux s’est réalisé avec l’aide d’une ONG américaine qui intervenait dans cette zone. L’organisme américain National Rural Electric Cooperative Association (NRECA) avait demandé aux habitants de la zone de monter une coopérative électrique. D’où la naissance de ce projet d’électrification rural en 2013.
« Grâce à ce projet, 1 512 personnes au total ont accès à l’électricité, dit Adley Charlot, coordonnateur du projet. On a un système de courant prépayé et nos clients ont droit à l’électricité avec, au minimum, un prépaiement de 50 gourdes. »
Une contribution est requise des coopérants afin de recevoir les matériels nécessaires pour leur embranchement. « L’abonné détient une carte rechargeable et peut, à tout moment, vérifier de combien d’argent il dispose dans son compteur, poursuit Charlot. Dès lors, il peut planifier l’utilisation de sa ressource énergétique à sa guise. »
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À la CEAC, l’électricité est fournie à partir de deux sources d’énergie. « On a une minicentrale électrique hybride qui fonctionne à la fois à l’énergie solaire et au diesel. On dispose de 426 kilowatts d’énergie. L’énergie solaire installée en fournit 26, on obtient le reste à partir d’un groupe électrogène diesel », dit Charlot qui précise que le courant peut alimenter même des ateliers de soudure. « D’ailleurs on enregistre plus d’une dizaine d’ateliers. »
Le plus grand handicap du projet est le fait que sa survie dépend en majeure partie des subventions de ses partenaires. Parce qu’en réalité, il est difficile pour la CEAC d’avoir beaucoup plus d’abonnés en raison de la faible capacité économique des gens résidant dans la communauté où le projet est implanté. « On est en train de préparer un plan de survie pour les trois prochaines années confie, Charlot. Ce, pour pouvoir nous libérer des subventions de nos partenaires. »
Problème de facturation
L’État haïtien veut profiter de la technologie prépayée, mais il fait face à deux problèmes majeurs : l’indisponibilité du courant, mais aussi le niveau économique faible de la majeure partie des consommateurs.
Grâce à ce projet, 1 512 personnes au total ont accès à l’électricité
« Plus de 500 ménages disposent déjà d’un compteur prépayé », selon les chiffres fournis par Evenson Calixte, directeur de l’Autorité nationale de régulation du secteur énergétique en Haïti (ANARSE).
À Pétion-ville, une des premières villes bénéficiaires, la quasi-totalité de ces compteurs ne sont pas opérationnels. « Les compteurs activés ne sont pas nombreux, dit un responsable de la filiale de l’EDH de Pétion-ville. En plus, le processus d’installation est interrompu à cause d’une rupture de stock. »
L’arrivée de ces outils devrait mettre progressivement fin à la subvention de l’EDH qui s’empare d’une grande partie du budget national. Par exemple, seize milliards de gourdes soit 6,3 % du budget total 2020-2021 sont accordées à l’EDH dans la rubrique Dotations spéciales subvention à l’énergie.
Malgré son énorme poids sur l’économie, l’EDH ne produit pas les résultats escomptés en matière d’énergie. En 2017, le taux de couverture électrique du pays était estimé à moins de 25 % et près de la moitié des ménages qui en avaient accès étaient illégalement branchés. À cet effet, certains experts en énergie croient que la seule solution possible pour pallier le problème du taux de facturation des abonnés de l’institution reste l’alternative des compteurs prépayés.
« Les nouvelles technologies de ces appareils permettent d’alimenter en énergie la demeure du client à concurrence du montant payé à l’avance, dit René Jean Jumeau, ex-ministre chargé de la sécurité énergétique. Ces compteurs intelligents sont nettement différents de ceux traditionnels qui nécessitent un personnel pour les manœuvrer manuellement. »
Pourtant, la totalité des compteurs prépayés installés par l’EDH dans la région métropolitaine de Port-au-Prince n’est pas encore activée en mode prépaiement. Ce, en raison du manque drastique d’énergie. « On est en train de travailler pour augmenter de manière satisfaisante le nombre d’heures [par jour] en électricité que fournit l’EDH. Sans quoi, le programme de courant prépayé n’aura pas de sens », souligne l’ingénieur Evenson Calixte.
Fuite en avant
Les promesses du nouveau système de tarification ne pourront atterrir sans un changement de stratégie dans la production et l’alimentation du pays en courant électrique. Même avec un compteur prépayé, l’abonné ayant la capacité de payer n’aura pas de l’énergie à sa guise. « L’usager recevra l’électricité lorsque L’EDH alimente sa zone, précise le directeur général de l’ANARSE. Ce, à cause de la capacité limitée de production d’énergie de l’EDH. »
Ces compteurs sont à la fois « postpayés et prépayés », clame l’ingénieur Evenson Calixte. « Ils seront programmés en mode prépaiement lorsqu’on aura la capacité de fournir un nombre d’heures suffisantes. Entre-temps, l’État est en train de faire des efforts pour augmenter ses capacités de production et fournir près de dix-huit heures de courant par jour », dit-il.
L’ingénieur en électromécanique Léslie Vaval croit que la réalisation du courant prépayé en Haïti ne pourra pas être entreprise sans la disponibilité de l’énergie 24/24.
Une théorie postule une augmentation progressive de la production de l’EDH, avec l’installation du nouveau système. « Le plus grand défi du système énergétique du pays est sa commercialisation analyse le directeur de l’ANARSE, Evenson Calixte. Avec l’installation des compteurs prépayés, on obtiendra les moyens pour continuer d’augmenter nos capacités productives », croit-il.
Le problème de facturation de l’EDH ne touche pas que les simples abonnés. Les institutions étatiques en Haïti sont aussi réticentes à s’acquitter de leur dette envers l’EDH. En 2017, les factures à l’EDH pour les différentes institutions publiques s’élevaient à cinq milliards de gourdes.
Des initiatives locales ont vu le jour pour augmenter les recettes de l’EDH, avec plus ou moins de succès. Elles sont souvent menées sous le leadership d’une organisation ou association communautaire dans certaines zones.
10 % du montant facturé revient au comité qui gère la facturation. « Le hic, c’est que les gens refusent de payer, dit Kenley Fortuné, responsable d’un comité de gestion de courant électrique à Carrefour-feuilles. Ils le font généralement après quatre ou six mois lorsqu’on procède à leur débranchement. »
L’initiative du courant projet ne fait, en ce sens, que creuser davantage le déficit de l’EDH. Fort souvent, leur gestion dans certaines zones se fait par des hommes armés qui soutirent les profits réalisés au détriment de l’EDH. L’installation des compteurs prépayés ne peut résoudre les problèmes de facturation en cas où la disponibilité de l’énergie électrique n’est pas garantie.
Emmanuel Moise Yves
Photos: Carvens Adelson / Ayibopost
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