ÉCONOMIESOCIÉTÉ

CPS obtient un contrat controversé pour le port public de Port-au-Prince

0

Le contrat reste inhabituel par sa durée, soulignent des spécialistes et des investisseurs du secteur portuaire

Caribbean Port Services avait déjà une main dominante sur le port public de Port-au-Prince sans avoir dû débourser les 80 millions de dollars américains investis pour la reconstruction d’une partie de ses infrastructures après le tremblement de terre de 2010.

Quand ses rivaux dénoncent un quasi-monopole de fait sur le port public, nuisible à la concurrence : CPS affirme être en conformité avec la loi.

Mais un contrat controversé signé par le directeur de l’Autorité portuaire nationale (APN) avec cette entreprise privée, présidée par Philippe Coles et Édouard Baussan, vient cimenter leur position dominante au principal port public international du pays potentiellement jusqu’en 2059.

Le contrat, officiellement paraphé en décembre 2023 sous le gouvernement d’Ariel Henry, demeure inhabituel dans le secteur par sa très longue durée, selon des sources contactées par AyiboPost.

Un récent avis non public écrit pour une autorité soulève plusieurs questions sur le document, notamment l’absence d’appel d’offres ou l’absence du visa de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, obligatoire pour les contrats engageant le domaine public.

« Ces éléments laissent apparaître une gestion orientée au bénéfice exclusif d’un opérateur unique — en l’occurrence CPS — au détriment d’une politique portuaire nationale fondée sur la transparence, la libre concurrence et l’ouverture à des investissements alternatifs », conclut l’avis obtenue par AyiboPost.

Contacté par AyiboPost, Jocelyn Villier, le directeur général de l’APN, dont le nom se retrouve apposé à la fin du contrat, déclare qu’il s’agit d’un document fait en toute légalité en 2023.

Légalement, le conseil d’administration de l’APN doit donner son aval pour la signature d’un contrat de bail. C’était le cas d’un précédent accord signé avec le CPS en 2015, selon le document obtenu par AyiboPost. Mais selon Villier, le conseil d’administration n’avait pas à intervenir en 2023 puisqu’il s’agissait d’un renouvellement.

Malgré la position de Villier, une comparaison avec le précédent document dont l’expiration arrive cette année semble faire émerger des éléments nouveaux, comme le renouvellement automatique chaque neuf ans et pendant trois fois, la consolidation de précédents arrangements ou l’obligation pour l’État de payer une partie des coûts associés au dragage.

« C’est aux hommes de droit de dire si le contrat est illégal », dit Jocelyn Villier dans un échange avec AyiboPost, arguant que le contrat a été préparé par le conseil juridique de l’APN et les avocats de la CPS.

Selon le directeur général Villier, la signature du ministre des Finances de l’époque ou l’aval de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) n’étaient pas nécessaires, puisque l’APN est une institution autonome.

Jocelyn Villier est titulaire d’une maîtrise en gestion de projet. Il a été directeur de la sécurité de l’APN de 2011 jusqu’à son installation comme directeur général fin juillet 2023.

Plusieurs spécialistes contactés par AyiboPost contestent la possibilité pour le directeur général de l’APN d’engager l’État haïtien unilatéralement sur un temps aussi long, sans passer par son conseil d’administration, pour une infrastructure aussi importante. Ils refusent de commenter publiquement pour des raisons de sécurité.

Le directeur général de l’APN soutient que d’autres contrats dans le secteur ont été signés de façon similaire. AyiboPost n’a pas ces contrats en sa possession. Il les rendra public s’il les obtient.

Opérations à la CPS en 2023

Créé en 2015, le CPS résulte de la fusion de plusieurs anciens opérateurs privés du port dans le but de rationaliser les opérations portuaires. Lafito et CPS restent les seuls ports débarquant régulièrement des conteneurs dans la région métropolitaine.

Bien que le port public de Port-au-Prince reste la propriété de l’État haïtien, à travers l’APN, le CPS détient des contrats de bail à ferme lui conférant des droits sur l’infrastructure.

Ce modèle donne à CPS un rôle central dans la logistique maritime du pays puisque la grande majorité de la consommation interne est importée.

En réalité, jusqu’à 80 % des conteneurs livrés passent par moment par le CPS (2017), dans un contexte où Haïti demeure le pays aux frais maritimes les plus élevés de la région.

Le contrat de 2023 porte notamment sur 460 944 m², soit 35,7 carreaux, loués à 1,50 dollar américain le m² l’an. Techniquement, l’État doit recevoir 691 416 dollars l’an pour ce terrain. Une autre parcelle de 65 756 m² est donnée à 4 dollars le mètre carré l’an, soit 263 024 dollars l’an.

Le CPS paie à l’État depuis juillet 2016 quinze dollars américains par conteneur de vingt pieds, selon des documents obtenus par AyiboPost.

Haïti importe autour de 100 000 conteneurs par année (un chiffre probablement en baisse substantielle à cause de l’insécurité), selon des acteurs du secteur.

Les factures de conteneurs demeurent personnalisées, et plusieurs facteurs peuvent influencer le coût final quand on inclut les redevances envers l’État et les lignes maritimes.

Mais à titre d’exemple, plusieurs factures révisées par AyiboPost évoquent des montants de plusieurs centaines de dollars américains par conteneur de vingt pieds demandés aux importateurs par le CPS. Ces montants peuvent même avoisiner les 1 000 dollars par conteneur, selon son type, d’après des entrepreneurs.

« On ne peut pas parler de concurrence loyale quand le CPS utilise les infrastructures de l’État pour un prix aussi dérisoire alors que ses concurrents ont dû beaucoup investir pour construire les leurs », dénonce une source impliquée dans la question portuaire en Haïti. Comme les autres intervenants dans cet article, cette source demande l’anonymat pour des raisons de sécurité.

« De manière simple, l’État a un bien, c’est le port public de Port-au-Prince. Il l’a donné à un groupe de façon arbitraire, de gré à gré, sans le respect des lois en vigueur », critique une autre source au sein d’une compagnie compétitrice. (CPS conteste cette description).

Mais au ministère de l’Économie et des Finances, aucune position rigide ne semble émerger, selon un haut cadre contacté : certains pensent qu’il fallait faire un appel d’offres ouvert ou restreint, ce qui aurait pris du temps, ou qu’il faut simplement privatiser le port… L’APN, comme entité juridique, peut contracter, rechercher un opérateur — c’est ce qui a été fait, déclare la source. C’est un contrat d’ordre administratif, les autres démarches ne sont pas nécessaires, selon le cadre contacté.

Cet avis du ministère ne fait pas l’unanimité.

Un autre spécialiste contacté par AyiboPost conteste la legalité du contrat de 2023. « Les bonnes pratiques internationales demandent un processus transparent et compétitif pour ces types de contrats de longue durée afin de protéger les intérêts de la collectivité », ajoute-t-il.

AyiboPost a contacté Philippe Coles, président-directeur général de la CPS. Il n’a pas fait de commentaires publics, mais cet article sera mis à jour s’il réagit.

Téléchargez ici et ici, certains des documents PDF relatifs à ce dossier plus bas. AyiboPost les diffuse parce qu’ils sont pertinents pour le débat public.

Accord de 2015

Ammendement de l’accord de 2015

Par :

La photo de couverture a été prise en juin 2023 au port de Port-au-Prince. Elle illustre les opérations de la CPS.

► AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com


Gardez contact avec AyiboPost via :

► Notre canal Telegram : cliquez ici

►Notre Channel WhatsApp : cliquez ici

►Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

Comments