Malgré l’interdiction du Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP), certains hôpitaux et laboratoires utilisent des tests anticorps pour dépister le nouveau Coronavirus. Les citoyens ne savent pas que ces tests sont inefficaces pour révéler si le virus est actif dans l’organisme ou pas
Quand il s’agit du nouveau Coronavirus, deux catégories de tests sont pratiqués, généralement.
Très fiable, la première implique des prélèvements nasaux et une attente de plusieurs jours. Il s’agit du test d’identification direct, utilisé par le MSPP.
La seconde est un test sérologique ou un test antigénique qui ne détecte pas le virus actif, mais permet de déceler les anticorps qui démontrent qu’une personne fut exposée ou pas au Covid-19, à un certain moment de la durée. Ce test inefficace, acheté pour peu d’argent, est offert à des prix exorbitants, allant jusqu’à 12 000 gourdes, par des laboratoires à Port-au-Prince.
Or, seul le MSPP à travers son laboratoire national de santé publique, le laboratoire du centre GHESKIO et bientôt, celui de l’hôpital Universitaire de Mirebalais sont habilités à réaliser des tests de dépistage du Covid-19 sur le territoire haïtien, selon le directeur général du MSPP, le docteur Lauré Adrien.
Aux dires du directeur général du ministère, seules ces institutions ont « la capacité technique » de réaliser les tests de PCR (Polymerase Chain Reaction) jusque-là, admis en Haïti. Lauré Adrien précise que les autres hôpitaux et laboratoires ne sont autorisés à procéder qu’à des prélèvements qu’ils doivent ensuite envoyer à l’un de ces laboratoires pour les analyses nécessaires.
Ces mises en garde ne retiennent pas les laboratoires privés. Malgré un protocole signé par le directeur général du MSPP Lauré Adrien et le directeur du laboratoire national de santé publique, Jacques Boncy, rappelant la non-efficacité « des tests rapides IgG et IgM de COVID-19 », partout dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, des hôpitaux et laboratoires ne cessent de réaliser ces tests visant à dépister le Coronavirus.
MedLab est parmi ces structures. Lors d’une visite dans ce laboratoire, Ayibopost a appris qu’un test de dépistage du Covid-19 peut coûter jusqu’à 11 250 gourdes. « C’est le plus cher des tests disponibles dans ce laboratoire », révèle un employé, sous couvert d’anonymat.
Le directeur du laboratoire national de santé publique, Jacques Boncy, indique que les « tests rapides » proposés par les laboratoires privés sont achetés pour une somme ne dépassant pas 15 dollars américains, soit moins de 2 000 gourdes.
Payer cher pour un test peu fiable
Prenant un journaliste d’Ayibopost pour un client le mercredi 17 juin 2020, un employé de Medlab explique que moyennant la prescription d’un médecin, le laboratoire opère deux types de prélèvements sur le client. « Si vous êtes au début de l’infection, avec une petite fièvre, il vous faut une prise nasale. Cependant si votre malaise s’étend déjà sur 10 à 15 jours, il vous faut alors une prise de sang pour des analyses », lance un monsieur vêtu d’une blouse blanche, sortant de la salle de conférence du laboratoire pour répondre au questionnement de cet éventuel client.
Le monsieur avise qu’en cas de non-respect de ces instructions, le patient peut avoir « un faux négatif ou un faux positif » comme résultat.
Sam se demande s’il n’a pas fait l’expérience du manque de fiabilité de ces tests. Pour avoir été en contact avec un proche-parent testé positif, il dit s’être rendu à MedLab le 9 juin dernier pour effectuer un diagnostic dont le résultat s’est révélé positif. Cependant, contacté ce jeudi 25 juin, il dit n’avoir jamais ressenti un des symptômes liés au Coronavirus. Il va reprendre ses activités rapidement.
Sam dit avoir déboursé 6250 gourdes. «Le laboratoire n’a fourni aucune information sur la fiabilité du test».
L’affaire des faux résultats
À Port-au-Prince, le médecin et épidémiologiste Jean Hugues Henrys siège au comité scientifique qui gère la pandémie. Il confie que ces genres de tests, basés sur la recherche d’anticorps sont peu fiables parce qu’en cas d’infection, ils ne donneront de résultats positifs « qu’à partir du 5e jour de l’infection ».
Plus encore, selon Dr Henrys, « les tests d’anticorps permettent seulement de savoir si une personne a été en contact avec le virus ou non. Ils ne sont pas en mesure de confirmer si le virus est actif ou inactif ». Donc, l’utilité de ce genre de tests est de déterminer la quantité de citoyens ayant été en contact avec le virus dans une population donnée, mais pas de savoir si une personne est positive ou pas.
Aux dires de l’épidémiologiste, seuls les tests PCR (Polymerase Chain Reaction), réalisés à l’aide de la biologie moléculaire, permettent d’avoir les « réponses les plus justes » quant au coronavirus. « Quel que soit soit le résultat obtenu à partir d’un test aux anticorps, il vous faut un deuxième test de PCR pour vérifier que le résultat est correct », rappelle-t-il, soutenant que le test d’anticorps n’est pas un test diagnostique.
Comme lui, le directeur du laboratoire national de santé publique, Jacques Boncy, rapporte que payer des laboratoires pour réaliser des tests ne pouvant pas confirmer vraiment si le coronavirus est présent ou non dans l’organisme au moment du test, est « un gaspillage de temps et d’argent ».
Les autorités jouent à l’autruche
Dans le protocole publié à l’intention « des laboratoires de biologie clinique et les institutions de soins », le MSPP exprime clairement son inquiétude face à la volonté de certains laboratoires et hôpitaux d’effectuer des tests d’anticorps dans le pays. « Une préoccupation particulière concerne les patients qui présenteraient de faux résultats négatifs et seraient autorisés, sur base de ces résultats, à aller librement dans la communauté ou sur un lieu de travail pour infecter de nombreuses personnes ».
Malgré ces menaces, des hôpitaux et laboratoires continuent à proposer des tests d’anticorps aux citoyens haïtiens, sans tenir compte du protocole du ministère qui mentionne qu’il y a seulement quatre situations où les tests d’anticorps pourraient être utiles.
Selon le MSPP, outre dans les cas où l’on « mène des études épidémiologiques et de prévalence », les tests d’anticorps peuvent servir à « identifier les donneurs potentiels de plasma convalescent ». Ils permettent également « d’évaluer la réponse immunitaire chez le receveur du futur vaccin pendant les essais vaccinaux.
À côté de ces cas, l’institution souligne que le test d’anticorps peut être utile chez les patients graves, hospitalisés tardivement, et qui présentent une PCR négative.
Face au refus des laboratoires et hôpitaux d’obtempérer, le directeur général ne peut que rappeler que le MSPP n’autorise pas l’utilisation de tests d’anticorps dans le pays. Jacques Boncy soutient que l’utilisation est preuve du non-respect des consignes des autorités établies, concluant qu’en Haïti, « tout moun, fè sa yo vle ».
Samuel Celiné
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