Depuis quelques années, les connivences entre trafiquants de drogue et musiciens de tendance Konpa sont remarquées, la précarité porte certaines formations musicales à se tourner vers des mécènes peu crédibles.
Lors d’une opération menée à Long Island en octobre dernier, les autorités américaines ont appréhendé dix-sept (17) présumés trafiquants de drogue, dont douze (12) Haïtiens. Parmi eux, Emannuel Lemite alias Dread Shoudly. Des vidéos qu’il publiait avant son arrestation démontraient ses accointances avec des musiciens de tendance Konpa.
Dans l’une d’elles, on voit Pipo, le chanteur vedette de Klass et Richie, le maestro du groupe, à l’arrière d’une Rolls Royce que pilote dread shoudly.
Dans une autre, le présumé trafiquant est accompagné de Pipo. Ses bons rapports avec Klass ressortent aussi dans le dernier album du groupe où son nom est mentionné dans plusieurs morceaux. Dans d’autres vidéos, Dread Shoudly évoque le nom de l’actuel chanteur de Kreyòl La, T-Joe Zenny, Il s’affiche avec Auguste Duverger, chanteur du groupe Djakout Number 1. Il paraît aussi en photo à côté du chanteur vedette de Tabou Combo, Choubou.
Fait habituel
Ce n’est pas la première fois que des connivences entre trafiquants de stupéfiants et musiciens de Konpa sont révélées. On se rappelle des bons rapports entre Jacques Ketant et le chanteur Gracia Delva, aujourd’hui Sénateur de la République. Jacques Ketant a été condamné à une peine de vingt-sept (27) ans de prison aux Etats-Unis pour trafic de cocaïne. Sa peine a été réduite de moitié pour avoir aidé les autorités américaines à condamner une douzaine d’autres trafiquants. Jacques Ketant qui était connu pour son train de vie fastueux, a révélé aux enquêteurs fédéraux qu’il donnait chaque mois 500 000 dollars au président Jean Bertrand Aristide et à son chef de sécurité.
Le musicien Auguste Duverger a été auditionné en 2014 par un juge, dans le cadre d’une instruction qui impliquait Woodly Ethéard alias Sonson La Familia pour blanchiment des avoirs, entre autres. Sonson La Familia, membre du gang Galil participait à l’administration du groupe Djakout Mizik dont Auguste Duverger était le chanteur. Son nom ainsi que celui de Renel Lerecif –arrêté aussi en 2014 lors d’une tentative de démantèlement du gang Galil- sont cités dans plusieurs tubes de la formation Djakout Mizik.
Problème de financement
Pour fonctionner, l’industrie musicale a besoin d’argent. Philippe Saint-Louis, promoteur musical, déplore le fait que les revenus annuels de la majorité des groupes de tendance Konpa ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins. Le prix d’une affiche pour un bal, par exemple, est de cent à trois-cent dollars US. « Une jeune formation musicale ne peut se payer un tel coût sans l’aide d’investisseurs qui se font de plus en plus rares », avance le promoteur qui estime que la sphère musicale n’échappe pas aux règles matérialistes qu’impose la société. « C’est un secteur victime de la crise des valeurs de notre pays. La corruption systémique affecte les musiciens comme beaucoup d’autres acteurs. »
Louer un espace, installer un podium et la sonorisation pour un bal peut couter jusqu’à 10 000 dollars. Le prix de la décoration de cet espace varie entre 2 000 et 3 000 dollars selon l’agence de décor. Une affiche numérique coûte environ 2000 dollars, sans compter les frais de publicité à travers les stations de radio.
La vie d’artiste a par ailleurs ses exigences. Certains musiciens choisissent la modestie tandis que d’autres affichent l’extravagance. « Le public verrait mal un artiste Konpa qui circulerait à moto ou en Taptap, confie un artiste qui veut garder l’anonymat. On ne peut se permettre de porter n’importe quel accoutrement. Il y a un « standing » qu’il faut garder lorsqu’on est musicien. »
Pourtant, beaucoup de fois, les albums ne se vendent pas vraiment et les bals ne sont pas rentables. « Il y a les amis d’artistes et de promoteurs qui se voient toujours en VIP, sans dépenser. Ils ne comprennent pas que payer un bal contribue à supporter l’artiste. Ils sont nombreux dans les bals à Port-au-Prince à consommer sans payer », révèle un musicien.
Investissements de plus en plus rares
L’absence de normes structurelles et d’investissement dans l’industrie musicale renforce sa dépendance aux largesses des « drug dealers ». Seuls quelques grands ténors du Konpa arrivent à s’en sortir puisqu’ils côtoient le marché international et ont une clientèle (plus) large et diversifiée. Sans sponsors, les groupes musicaux sont exposés à d’énormes contraintes. C’est l’avis du chanteur du groupe K-Zino, Yves Gérald Chéry qui se plaint des aléas de l’industrie musicale. « Le climat politique ou une catastrophe naturelle peut bouleverser le calendrier annuel d’une formation musicale », affirme le chanteur qui est conscient que certains investisseurs du monde musical ne sont pas crédibles. Il croit que partout dans le monde il y a une relation entre la mafia et le showbiz. Il insiste cependant que « cela ne veut pas dire que les musiciens sont impliqués dans les scandales. »
Beaucoup d’investisseurs ont abandonné le Konpa depuis quelques années. C’est l’une des raisons qui explique l’intrusion des trafiquants de drogue dans l’industrie. Yves Gérald Chéry craint qu’à l’avenir de tels investissements ne deviennent incontournables pour le Konpa qui n’arrive toujours pas à tenir l’équilibre après soixante ans.
Hadson Archange Albert & Ralph Thomassaint Joseph
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