Le carnaval commence le jour de l’Épiphanie et se termine le mercredi des Cendres. La fin du carnaval est marquée par le Mardi gras. La date du carnaval change tous les ans, car elle dépend de la date de Pâques (qui varie en fonction du cycle de la lune). Il y a quarante jours de Carême entre la fin du carnaval et le jour de Pâques
« À mon avis, on peut retrouver la genèse de ce phénomène dans la préhistoire. À l’origine, il se manifestait, grosso modo, selon l’optique polythéiste du moment, en des sortes de processions, à caractère religieux, où certains membres d’un clan donné revêtaient les dépouilles du totem clanique, tout en imitant ses gestes et en se dirigeant, suivi des autres membres du clan, vers le mat totémique ou vers ce qui lui en tenait lieu.
C’était déjà une forme de déguisement. Cette démarche préfigurait une sorte de carnaval où prédominait le phénomène religieux qui dominait la Haute, la Moyenne et l’Antiquité classique, tout aussi bien le Haut-Moyen-Age, le Moyen-Age et la féodalité dans son ensemble. » (Jacques Oriol)
L’évolution du carnaval
Une des fonctions du Carnaval est de favoriser la cohésion et l’homogénéité du corps social. La hiérarchie est renversée, toutes les contraintes qui s’exerçaient dans l’année sont rejetées ; tout rentre dans l’ordre les jours suivants. Sorte de soupape de sécurité, le Carnaval renforce le sentiment d’appartenance à une agglomération, à une nation. Le Carnaval présente aussi une fonction conservatrice, car il transmet de génération en génération un ordre retracé à ses origines, tout en renouvelant les croyances et les mythes. Le présent est de ce fait relié au passé et les membres de la communauté participent à l’Histoire qui les dépasse en tant qu’individus.
En Europe, il est rapporté que déjà mille ans avant Jésus Christ (-1000), les tribus nordiques accueillaient le char solaire à travers des processions et des fêtes pour signifier les premiers labours et la fécondité, ils paradaient avec masques et cornes ; les rangs sociaux s’inversaient temporairement.
En Grèce, au temps de Périclès, on célébrait au début de février les fêtes annuelles de Dionysos, elles-mêmes issues de traditions plus anciennes.
En Judée, dans l’ancien calendrier juif, les saducéens consultaient le ciel au début de février : fête de Pourim, fête des Sorts et de la Lumière, avec mascarades et déguisements.
Chez les Celtes, la première semaine de février était marquée par des fêtes et rituels entre les deux saisons ; il fallait se purifier, chasser les esprits, brûler les sorcières fictives ou brûler des effigies de rois.
Au Moyen Âge, l’Église christianisa les fêtes païennes et les rebaptisa, on dansait dans l’église, on chantait la messe à l’envers, les riches se déguisaient en pauvres et les pauvres en riches, les adultes en enfants et vice versa.
Au VIe siècle, un mannequin incarnait le Carnaval, il était accompagné par les habitants en chantant, puis il était brûlé. Les fêtards décidaient de le mettre à mort après une parodie de jugement où tous les maux de l’année écoulée lui étaient publiquement attribués ; son enterrement donnait lieu à un joyeux adieu public.
À Rome, au VIIe siècle, les Lupercales étaient fêtées autour du 15 février. Les célébrants, vêtus de peaux de bouc, couraient à travers la ville en frappant avec des lanières de ces peaux tous ceux qu’ils rencontraient.
Dès le XIVe siècle, le Carnaval atteignit les villes. Le plus ancien document semble être le Schwembartbuch qui décrit les costumes de carnaval de Nuremberg de 1429 à 1539.
Sous la Renaissance, les catholiques organisaient des chars décorés et des déguisements. La pratique de bouleversement des rôles et des statuts sociaux s’institutionnalisa davantage ; l’esprit même du Carnaval encourageait le changement de personnalité afin de pousser son contraire à outrance.
Vers le XVIe siècle, le masque se propagea en Europe avec l’épanouissement des divertissements sur les places publiques.
De plus en plus, les éléments fondamentaux du carnaval se retrouvèrent partout, incluant défilés avec masques, déguisements et refrains ironiques permettant un défoulement dans un désordre autorisé sur fond de débridement de la sensualité orale.
Le carnaval haïtien : deux périodes particulières
A. La première période était d’ordre colonial
- Carnaval de 1730 au Cap relaté par Pierre de Vaissière (dans Saint-Domingue, la Société et la vie créoles sous l’ancien régime – 1629-1789)
- Carnaval observé en plaine du Cul-de-sac rapporté par Alfred de Laujon en 1835 (dans Souvenirs et Voyage)
- Carnaval décrit par Victor Schœlcher publié en 1843 (dans Colonies étrangères et Haïti : résultats de l’émancipation anglaise) : – sic-page 303 « En somme le carnaval haïtien n’a pas les élégances de celui d’Europe, mais il est aussi moins sale que celui de Paris. Tout s’est passé avec beaucoup de calme et je n’ai rien vu des grossièretés et des violences qu’on m’avait annoncées. »
Des restrictions sous Sudre Dartiguenave (1915-1921) au cours de l’implantation de l’occupation, sans changements notoires. Le carnaval se tenait plutôt autour des plantations coloniales, puis après l’Indépendance autour des habitations et aux environs de chaque ville. Chaque habitation avait son carnaval et ses bandes ; la compétition qui en dérivait ne représentait pas les différenciations sociales inhérentes à la colonisation, mais plutôt une compétition de quartiers. Cette première période prit fin avec l’occupation américaine de 1915-1934.
B. la seconde période débuta à partir du gouvernement de Louis Borno (1922 -1930)
- Interdiction des exercices pré-carnavalesques
Introduction d’un carnaval dit officiel et moderne avec reines, chars, etc. (basé sur le modèle européen)
1929 – Deux carnavals urbains eurent lieu : l’un, officiel…, et l’autre, traditionnel…, sous forme de bals populaires dans les marchés publics par exemple
1930 – Abstention intégrale au carnaval (du par les habitants de Port-au-Prince. Le carnaval eut lieu sur fond de manifestations politiques et le bal populaire du dimanche 2 mars au Marché Vallières fut interrompu par des grêles de pierres.
Suite à la politique de Borno qui voulait obtenir un troisième mandat présidentiel. De plus, les esprits étaient hantés par la grève des étudiants de l’École Centrale d’Agriculture à Damien, déclenchée le 31 octobre 1929, et particulièrement par le massacre des paysans à Marchaterre le 6 décembre 1929, et par l’arrivée de la Commission Forbes, le vendredi 28 février 1930, dépêchée par le président américain Hoover.
1934 –Publication de l’Administration communale datée de 1934, relevée ici :
« [En 1929], c’est à l’Administration communale présidée par M. Charles de Delva – il faut se hâter de le répéter – que revient le mérite d’avoir doté Port-au-Prince de son premier beau carnaval. Avec une fermeté qui traqua sans merci la déplorable routine qu’il s’agissait d’extirper de nos mœurs, elle refusa l’accès des rues et des Places Publiques aux bandes déguenillées et aux hordes avinées toujours prêtes à en venir aux mains et leur fixa les quartiers excentriques où donner libre cours à leur frénésie inesthétique. Et c’est ainsi qu’à la cohue tintamarresque et trépidante des jours gras d’autrefois succéda enfin un cortège symbolique de chars décorés avec les groupes traditionnels : Carnaval, le bœuf gras, la Reine, les masques… ».
1937 – Le carnaval conserva sa prééminence annuelle jusqu’à cette année
1938 – Sous Vincent, il n’y a pas eu de carnaval en raison du massacre des Haïtiens à la frontière haïtiano-dominicaine par Trujillo en octobre 1937
1941 – Sous Élie Lescot, état de guerre quand ce dernier déclara la guerre au Japon, à l’Allemagne et à l’Italie.
1941 à 1946 – Sous Élie Lescot, ennemi juré des manifestations populaires, suspension du carnaval jusqu’à la fin de sa présidence en 1946.
1946 – Sous Dumarsais Estimé, en 1946, reprise du carnaval avec une ambiance de nuit plus populaire avec chars, reines et roi, défilés et chorégraphies, sons et musiques, masques et couleurs, etc.
Hier, aujourd’hui, demain…
« Parmi les différentes manifestations sociales qui ont cours dans le vécu quotidien du corps social haïtien et qui font partie intégrante de son patrimoine culturel se situe le phénomène du carnaval haïtien…
Le carnaval est un phénomène social qui constitue une partie extrêmement importante du patrimoine culturel haïtien. Sujet à évolution, il relève de l’histoire. Il a donc pris naissance, a connu une enfance, s’est développé diversement selon les structures sociales historiques… » (Jacques Oriol)
Roxane Ledan – Taino-L
www.AyitiBel.org
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