L’aide au développement – Conditionnalités des bailleurs, Quand le Sud peut flirter avec le Nord
Part I
‘’ L’absence de développement justifie l’aide au développement et l’action humanitaire’’. Je ne voudrais pas m’approprier de cette réflexion, si toute fois elle a été déjà émise par les éminences et les sommités du Développement International qui m’ont précédé. Mais, à date, mes recherches ne m’ont apporté aucune réponse.
- Développement International et Affaires Humanitaires
L’aide au développement désigne une action volontaire par un acteur extérieur pour impulser le développement d’un pays en situation difficile. Elle est aussi, dans son essence humanitaire, un acte de solidarité pour suppléer au manque de développement, à la vulnérabilité et la fragilité d’un partenaire en situation difficile. L’aide, comme action volontaire, d’entraide et de sympathie, est également accompagnée de conditions que le partenaire extérieur impose au tiers bénéficiaire. Les acteurs des pays développés, les donateurs, les acteurs du multilatéralisme et du bilatéralisme, les agences de développement, les ONG du Nord conditionnent leur appui au respect d’exigences strictement élaborées, rigides et le plus souvent non négociables. Les acteurs des pays en développement, les bénéficiaires, les ONG du SUD sont tenus de respecter ces conditions. Elles sont nombreuses les conditionnalités liées à l’aide, les stratégies pour y répondre le sont autant. Les difficultés d’octroi sont multiples et les moyens d’obtention aussi. Les domaines de conditions sont variés et le Sud peut flirter avec le Nord. Dans cet article, nous analyserons les conditionnalités liées à l’aide au développement. Quels sont ces exigences auxquelles les bailleurs et les donateurs enchaînent ils leur financement? De quelles stratégies et tactiques les PVD et les ONG du Sud disposent elles pour y faire face?
L’aide au développement intervient quand un partenaire d’un pays développé, dans un élan volontaire de solidarité, décide de participer au développement d’un autre en situation fragile et difficile. Cet élan de solidarité peut se manifester sous l’une des deux formes : l’humanitaire ou le développement. Les deux sont utilisées parfois de manière complémentaire, indépendante ou tout simplement sous le label, aide au développement. Le développement se distingue de l’humanitaire car dans son essence il devrait favoriser l’essor des populations aidées alors que l’humanitaire (aide d’urgence) n’intervient que dans des situations de catastrophes naturelles ou conflits armés. La réalité sur le terrain est souvent plus complexe, les deux instruments étant souvent utilisés de manière complémentaire. Les motifs de l’aide au développement, notamment dans le cas de l’APD, sont souvent politiques. Ils peuvent être philosophiques, humanistes ou religieux. La forme que prend l’aide au développement révèle aussi la vision du développement que se fait le donateur. En lieu et place d’aide au développement, bon nombre de professionnels préfèrent l’appellation coopération au développement. En effet, hors du paradigme assistentialiste, la coopération au développement prône des projets élaborés par les populations locales ; en ce sens, elle constitue un réel accompagnement participatif.
Différence entre Humanitaire d’urgence et Développement.
L’humanitaire ou action ou affaire humanitaire est une aide d’urgence et ponctuelle mise en place lors d’une situation de crise exceptionnelle ou de catastrophe naturelle. C’est une forme de support international qui cherche à alléger des problèmes associées au manque de développement. Elle constitue principalement une réponse rapide, une solution de courte durée à un problème ponctuel. Elle s’interrompt lors que les actions de développement peuvent reprendre ou démarrer.
L’aide au développement cherche à impulser le développement d’un partenaire du Sud en apportant des réponses durables au manque de développement. Elle aide les PVD à créer la capacité nécessaire dont ils ont besoin pour promouvoir des solutions durables à leurs problèmes. Elle intervient en profondeur pour transformer et pérenniser les structures et surtout à implémenter des solutions à long terme aux problèmes des pays en voie de développement (PVD).
- Les Relations entre les bailleurs et les bénéficiaires
Les relations entre les donateurs, les ONG du Nord et les bénéficiaires, les ONG du Sud sont surtout caractérisées par une dépendance aux ressources. Les bailleurs disposent du financement, de l’expertise, de la technicité et du « know how » ; Ce qui leur procure un avantage certain. Les ONG du Sud apportent la connaissance du milieu et la maitrise de leur identité et de leur culture mais sont tributaires des ressources des bailleurs pour assurer leur survie ; ce qui les rend dépendants. Cette situation crée une dynamique de dépendance qui conduit à une asymétrie de pouvoir. Et laquelle asymétrie consacre la domination des donateurs sur les bénéficiaires.
En fait, les bailleurs assujettissent leur financement à des domaines de condition. Ils ont tendance à influencer depuis l’identification, la planification et la mise en œuvre des programmes. Ils imposent des conditions en matière de contrôle, de notification et d’évaluation. Ils affectent les financements à des activités bien précises. Ces exigences ne sont pas sans effet sur l’identité, la mission et la vision des organisations du Sud. « Trop fréquemment les ONGD du Sud se voient soumises à des exigences contradictoires : d’un côté on exige toujours plus de contrôles administratifs, des méthodes plus sophistiquées – et parfois changeantes en fonction des modes du Nord – de planification, suivi et évaluation et une présentation de leurs projets chaque fois plus compliquée. Si un projet présenté à une ONGD du Nord va être cofinancé par des organismes internationaux ou des agences gouvernementales du Nord, son élaboration est parfois aussi laborieuse que celle d’une thèse de doctorat. Les modifications du projet tout au long de son exécution impliquent des démarches longues et compliqués – et bien souvent stériles -. Quant aux rapports sur les comptes, ils sont de plus en plus compliqués et assujettis à des normes établies avec la mentalité du Nord et souvent impossibles à appliquer au Sud.», Quand les ONG du Nord pratiquent l’amour libre avec LES ONG du Sud, page 1, version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet, http://www.globenet.org/dial.
Part II
- Les conditions des bailleurs
L’aide des bailleurs aux bénéficiaires du SUD est soumise à des conditionnalités. Les bailleurs de fonds sont connus pour exercer une influence sur la préparation et la mise en œuvre de projets des ONGS pour imposer des conditions en matière de contrôle, de notification et d’évaluation et pour affecter les financements à ces activités bien précises. Les conditions portent sur trois domaines principaux selon Elbers Willem et Arts Bas dans «comment joindre les deux bouts : les réponses stratégiques des ONG du Sud aux conditions imposées par les bailleurs de fonds».
- La définition et la planification des projets (thème, Groupe Cible, stratégie, zone géographique, genre, cadre logique…). Les bailleurs conditionnent leurs financements au respect d’activités et de composantes préalablement identifiées et planifiées. Ceux-ci identifient les thèmes, les enjeux, les domaines et zones d’intervention, les groupes cibles… Ils planifient la structure des travaux, le budget, identifient les indicateurs, montent les cadres de mesure et logique… Et les bénéficiaires sont astreints au respect de ce premier domaine de condition, qui le plus souvent ne tient pas compte des besoins réels de ceux-ci.
- L’imputabilité ou la reddition de compte (Présentation de rapports narratifs et financiers, indicateurs pour M&E, Evaluations, comptes bancaires distincts, audits indépendants… Les bailleurs mettent toujours l’accent sur la gouvernance des fonds, la saine gestion financière et la reddition de compte. Ils évaluent la qualité et la force de la structure de l’organisation et déterminent de l’éligibilité de celle-ci à un certain financement.
- Les modalités de financement ou la structuration des fonds (Financement des projets, affectation des crédits, durée du financement, Branding…). Les bailleurs, le plus souvent, ne financent pas les frais généraux. Ils ne paient pas pour les dépenses d’immobilisation, les frais de fonctionnement, le renforcement en ressources humaines ou autres postes d’exploitation dont le financement serait essentiel à la survie même de l’organisation. Les bailleurs préfèrent financer des projets et affecter les crédits en temps et en durée a des mandats précis qu’ils viendraient greffer sur la structure de l’organisation bénéficiaire.
De plus, certains bailleurs peuvent enchainer leurs financements à des conditions spécifiques liées à la vision, à la culture, à l’identité et/ou aux domaines d’activités. Ils puisent dans les thématiques actuels et les thèmes émergents du Développement International pour imposer ou greffer sur un programme des composantes comme l’Égalité Homme Femme (EHF), la protection de l’environnement, l’inclusion sociale, la démocratie, les droits de l’homme… Ils peuvent tout simplement exiger le recrutement de consultants, le financement d’études, l’achat de matériels dans le pays ou un pays membre d’un bailleur ou d’un consortium de bailleurs.
- Stratégies pour répondre aux exigences des bailleurs :
La dépendance réciproque– Les pays en développement ont besoin des pays développés. En d’autre terme, les bénéficiaires dépendent des donateurs. Les ONG du Sud ont besoin des ONG du Nord pour survivre. Et paradoxalement les donateurs, les bailleurs et ONG du Nord dépendent eux aussi des bénéficiaires. Le jeu de l’aide n’est complété que quand le bénéficiaire participe à l’acception de la subvention. La dynamique est achevée, la boucle est bouclée quand le donateur donne et que le bénéficiaire reçoit. Les ONG du Sud ont besoin des ONG du Nord et vice versa. Les unes sans les autres ne pourraient accomplir leur mission au service des peuples du Sud et de construction d’un monde solidaire. Cette situation crée une dynamique de dépendance réciproque.
Les ONG du Sud disposent de toute une batterie de stratégies pour répondre aux conditions des bailleurs et ainsi se mettre en situation de négocier, de contourner ou de refuser. Elberss Willem et Arts Bas, dans le livre « Comment joindre les deux bouts : les réponses stratégiques des ONG du Sud aux conditions imposées par les bailleurs de fonds », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2011/4 Vol. 77, p. 743-764 », distingue 4 stratégies déclinées en autant de tactiques.
La stratégie de l’évitement – Les bénéficiaires évitent de s’exposer aux conditions des bailleurs. Ils évitent les rapports avec les bailleurs et ainsi diminuent la pression de devoir transiger. Il y a différentes tactiques permettraient de réussir dans cette stratégie. (1) La Sélection, limiter ses contacts aux bailleurs de fonds compatibles ; (2) Le Rejet, refuser les offres de financement ; (3) La Sortie, mettre fin à ces relations de financement.
La stratégie de l’influence – Les ONG du Sud modifient le contenu des conditions des bailleurs. En modifiant la nature des conditions, les organisations peuvent parvenir à éliminer ou à limiter le contenu problématique. Les tactiques liées a l’influence : (1) La Négociation, Se servir de la dépendance mutuelle ; (2) La Persuasion, Convaincre au moyen d’argument ; (3) L’implication, Faire intervenir personnellement des représentants du bailleur de fonds
La stratégie de la défense – Les organisations peuvent se protéger des pressions institutionnelles des bailleurs. Lorsqu’un certain degré de conformité est tout bonnement inévitable, les organisations peuvent prendre des mesures compensatoires pour limiter les conséquences négatives des conditions des bailleurs de fonds. Il y a deux tactiques qui sont liées à cette stratégie. (1) Le bouclier de protection, Mettre des éléments essentiels à l’abri de l’exposition ; (2) La compensation, Compenser les problèmes par des fonds discrétionnaires ;
La stratégie de la description – Les organisations peuvent prétendre au respect des conditions des bailleurs de fonds. Elles peuvent essayer de donner une bonne image, manipuler la perception des bailleurs et ainsi améliorer les chances d’obtenir le financement tout en contournant la nécessité de devoir modifier leur nature ou leurs activités. Les tactiques liées a cette stratégie : (1) Le Maquillage, Se conformer de façon superficielle ; (2) La rétention, Choisir les informations à divulguer ; (3) La représentation erronée, Transmettre des informations inexactes aux bailleurs.
Conclusion
Sans aucun doute, les ONG du Nord ont besoin des ONG du Sud et réciproquement. Les unes sans les autres ne pourraient accomplir leur mission au service des peuples du Sud et de construction d’un monde solidaire. Les états des pays développés, les bailleurs de fonds, les donateurs, les acteurs du bilatéralisme et du multilatéralisme, les agences de développement, ONG du Nord ne peuvent pas implémenter leurs programmes sans la participation des bénéficiaires. Les partenaires du Nord ont la pression et l’exigence d’accomplir leurs missions. Les ONG du Sud ont aussi besoin de leurs partenaires du pour assurer leur survie. Mais si une certaine action volontaire d’un partenaire développé est accompagnée de conditions qui auront des conséquences indésirables sur l’identité et la structure d’un autre en développement, celui-ci peut utiliser le levier de la dépendance réciproque et ainsi se mettre en situation de négocier, de contourner ou de refuser. Mais Il est toutefois recommandé que L’ONG du Sud fasse accompagner son refus d’un argumentaire techniquement solide et bien ficelé.
Fred E. DENIS,
Maitre Es Sciences Administration Développement International et Affaires Humanitaires (DIAH)
Bibliographie :
- Cultures & Conflits, Le dilemme de l’action humanitaire, Michael Scholms.
- Introduction au Développement International, approches, acteurs et enjeux, Pierre Baudet, Jessica Schäfer, Paul Haslam,
- Quand les ONG du Nord pratiquent l’amour libre avec LES ONG du Sud, page 1, version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet, http://www.globenet.org/dial.
- Comment joindre les deux bouts : les réponses stratégiques des ONG du Sud aux conditions imposées par les bailleurs de fonds », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2011/4 Vol. 77, p. 743-764. Elbers Willem et Arts Bas.
- http://www.ifrc.org/PageFiles/93550/1213600-IDRL_Haiti-FR-LR%20(final).pdf
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