L’action publique doit être plus proactive
La pandémie Covid-19 a mis à nu la faiblesse de l’action publique face aux grandes crises à des niveaux différents entre les pays. Aucun pays, quel que soit son niveau de développement, n’était préparé à faire face à une crise d’une telle ampleur. Covid-19 a mis à l’épreuve les politiques sanitaires, sociales et économiques des dernières décennies à l’échelle mondiale.
Au cœur du combat contre ce fléau, il y a une leçon essentielle à retenir : l’action publique doit être plus proactive. Elle doit se réinventer constamment afin de prendre la pleine mesure des enjeux présents et futurs, et de répondre plus efficacement aux besoins des populations.
Haïti fait partie des pays les moins touchés par le coronavirus jusqu’à présent. Néanmoins, au lendemain des premiers cas recensés, l’inquiétude était omniprésente en raison des faiblesses structurelles du pays. La crainte d’une propagation incontrôlable de la maladie était réelle, et ceci même du côté des autorités. Si l’impact sanitaire de la pandémie reste modéré, la crise économique sous-jacente n’a pas épargné le pays en revanche. Comme toute autre nation, Haïti doit tirer des enseignements de cette expérience et repenser le cadre d’élaboration et de mise en œuvre de ses politiques publiques. Qu’est-ce qui doit changer ? Comment s’y prendre ?
Les défis en matière de politique publique sont multiples en Haïti
Le processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques souffre d’un déficit de transparence. La démocratie repose sur des principes de transparence et de participation. Ces principes démocratiques de base tardent à prendre forme en Haïti. Les acquis démocratiques de 1986 n’ont pas été consolidés et se sont même effrités au fil des années.
Aujourd’hui, la démocratie haïtienne n’est qu’une malheureuse caricature. Forcément, ces déficits démocratiques entravent le processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques. Il n’existe pas de cadre institutionnel et technique favorable à un processus ouvert, inclusif et transparent d’élaboration des politiques publiques en Haïti. Ce déficit de transparence au niveau de l’action publique ouvre une boite de pandore à la corruption de masse et conduit à des choix de politiques publiques ne répondant pas aux besoins des citoyens.
Il y a une absence de culture d’analyse et d’évaluation des politiques publiques. Indispensables à l’élaboration de politiques publiques cohérentes et efficaces, de rigoureux mécanismes de suivi et d’évaluation permettent de s’assurer que les politiques publiques atteignent leurs objectifs, d’identifier les difficultés susceptibles d’influer sur leur mise en œuvre et d’y répondre adéquatement, et d’avoir des leçons apprises pour orienter les actions futures. Cette phase est complètement absente du cycle de vie des politiques publiques en Haïti. Une politique publique telle que le programme de scolarisation universelle et obligatoire (PSUGO) par exemple n’a pas été évaluée. Bien malin celui qui aujourd’hui encore pourrait dire combien il a coûté. Une vraie nébuleuse. Les soupçons de fraudes qui ont émaillé son exécution n’ont jamais été investigués. Il est impossible d’exploiter les résultats de ce programme et d’en tirer des leçons pour mieux orienter les politiques publiques éducatives futures du pays.
La crise statistique que connaît le pays est rédhibitoire pour l’élaboration de politiques publiques efficaces. Cette crise statistique se manifeste d’abord par une irrégularité et un déficit au niveau de la production des statistiques publiques, ce qui entrave l’élaboration de politiques publiques adaptées aux besoins de la population haïtienne. Le dernier recensement de la population remonte à 2003. L’État est en train de planifier sur la base d’estimations qui ne reflètent pas la réalité sociodémographique du pays. Cette crise se nourrit également d’un déficit de culture statistique caractérisé, entre autres, par un faible recours aux données pour les prises de décision.
L’absence d’un cadre de recherche scientifique ne favorise pas l’adoption de politiques publiques réalistes. Le secteur académique devrait être au cœur du processus d’élaboration des politiques publiques et influencer les prises de décision par la production et la dissémination d’évidences scientifiques, mais il n’est que peu impliqué. Il n’y a aucun cadre de recherche scientifique dans le pays. Le secteur universitaire n’est pas orienté vers la recherche et ne dispose ni d’infrastructures ni de ressources humaines suffisantes pour remplir ce rôle.
Comment faire des politiques publiques un vrai outil de développement en Haïti ?
- Mettre en place un nouveau mode de gouvernance, ouvert et inclusif. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) définit un gouvernement ouvert comme « une culture de gouvernance fondée sur des politiques publiques et des pratiques innovantes et durables, inspirée par les principes de transparence, de responsabilité et de participation, qui renforce la démocratie et la croissance inclusive ». Les décideurs haïtiens doivent se hisser à la hauteur des exigences de leur fonction de garant de la démocratie en créant les conditions favorables à la participation des citoyens tout au long du processus de conception et d’implémentation des politiques publiques.
- Favoriser la mobilisation d’une société civile formée et informée. Les citoyens doivent être au centre du processus d’élaboration des politiques publiques. La société civile haïtienne devrait se mobiliser en faveur d’un environnement propice à l’élaboration de politiques publiques inclusives dans le pays. La population a besoin d’être sensibilisée aux enjeux des politiques publiques ainsi que sur son rôle dans leur cycle de mise en œuvre. Les organisations et les professionnels travaillant sur la question des politiques publiques devraient prendre le leadership de cette campagne de sensibilisation et d’information à l’intention du grand public. Les citoyens doivent se positionner en « vigile » afin d’éviter que les politiques publiques prennent des directions « anti-développement ».
- Renforcer le système statistique national. Il s’agit d’un énorme chantier auquel il faudrait obligatoirement s’attaquer. Les statistiques publiques constituent un élément clé du cycle d’exécution des politiques publiques. Elles permettent d’éclairer l’action publique en fournissant une description aussi exacte que possible de la réalité économique, politique et sociale. Il serait donc nécessaire de renforcer l’Institut national de la statistique, l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), ainsi que les services statistiques installés au cœur des ministères pour produire des données visant à alimenter le processus d’élaboration des politiques publiques de manière régulière.
- Créer un cadre de recherche scientifique au service de l’action publique. Il est indispensable de définir des mécanismes de liaison entre la recherche et l’administration publique en vue de la production de connaissances aptes à orienter les décisions publiques à court, moyen et long terme. Le secteur universitaire doit être le porte-étendard de cette expertise scientifique utile. En ce sens, une réforme devrait être menée au niveau de l’enseignement supérieur afin qu’il emprunte la voie de la recherche scientifique.
Stevens SIMPLUS
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