Des corps fracassés étaient encore sous les décombres. Des appels de détresse s’élevaient partout dans le sud après le tremblement de terre du 14 aout. Les autorités et les ONG s’organisaient pour envisager une traversée de Martissant quand un groupe de plusieurs dizaines de médecins résidents à l’Hôpital de l’université d’État d’Haïti a décidé de se rendre dans la région, le jour même du séisme. Docteur Wislet André, 31 ans, était coordonnateur de l’initiative. Par souci de clarté et de concision, son témoignage a subi une légère édition
Le jour du sinistre, j’ai pris place dans un bus plein à craquer de Gérald Bataille pour me rendre à l’hôpital de Sainte Famille, comme chaque samedi.
À 8 h 30, exactement, le véhicule s’est mis à tanguer. Un des passagers s’est propulsé dans la rue pour aller se réfugier à proximité d’une maison en béton. Si le tremblement de terre avait été plus puissant, il serait probablement mort. C’est une indication que beaucoup reste à faire pour mieux sensibiliser les gens sur les gestes à accomplir afin de se protéger.
La gravité de la situation n’était pas saisissable immédiatement. C’est à la radio du minibus que j’apprendrai que le sud avait enregistré des dégâts. Ma mère vit à Cavaillon, donc j’ai essayé de l’appeler dès mon arrivée à l’hôpital dix minutes plus tard.
La communication était mauvaise. J’ai, tant bien que mal, essayé de garder mon sang-froid. C’est un cousin qui m’apprendra que la maison familiale n’a pas résisté. Mais que ma mère se porte bien.
Progressivement dans la matinée, des collègues médecins généralistes ou résidents de l’HUEH ont commencé à m’appeler. Je suis le résident en chef de la médecine interne pour l’institution et le président du comité central des médecins résidents.
Un groupe WhatsApp ad hoc a été créé pour centraliser les discussions autour d’une éventuelle mission dans le sud, pour soutenir nos compatriotes dans le besoin. On a lancé des appels à l’aide sur les réseaux sociaux et pris contact avec le docteur et ancien député de Port Salut Sinal Bertrand, pour organiser la logistique.
Nous étions étonnés de l’ampleur du support public. Le jour même, nous avons reçu des équipements, des bandages et des médicaments. Des membres de la diaspora ont également envoyé de l’argent pour que l’on puisse acheter des outils d’intervention en urgence.
Malgré la dangerosité de Martissant, dès 4 h de l’après-midi, un groupe de 51 médecins prend place dans un bus à destination du sud, accompagné du docteur Bertrand. Un autre convoi de neuf professionnels de la santé était déjà sur place en ce moment, grâce à un voyage en avion offert par un bienfaiteur.
J’organisais la réception de l’aide et le déploiement des médecins sur le terrain, mais je savais qu’il fallait que je sois au plus près de l’action. Le lundi suivant, c’était chose faite.
Lire aussi: Trois semaines après le séisme, des victimes attendent encore une première assistance
Dès mon arrivée aux Cayes, je me suis rendu au niveau de Bonne Fin à Cavaillon avec dix médecins. J’en ai profité pour voir ma mère.
Les autres équipes au travail depuis samedi s’étaient divisées en groupes. Une partie donnait des soins d’urgence et effectuait des opérations à l’hôpital Immaculée Conception, plus grand centre du département. Le reste était éparpillé dans d’autres localités reculées comme Marceline et Tibi à Camp-Perrin, Maniche, Cavaillon, Beaumont. On a aussi été à Duchity dans la Grand’Anse, à l’Asile et à Petit Trou de Nippes.
Les dégâts s’étalaient partout à perte de vue. La grande majorité des gens ont perdu leurs maisons. La plupart étaient sans habits et en manque de nourriture. Avant notre arrivée dans certaines zones, beaucoup de malades étaient soignés par les « médecins feuilles. » Malgré des fractures, certaines personnes ont préféré rester chez eux pour recevoir des soins auprès des docteurs traditionnels.
Jusqu’à samedi dernier, nos décomptes affichaient 3 000 blessés accompagnés et 200 opérations chirurgicales. La plupart des rescapés nécessitaient des sutures et des pansements. Certains survivants avaient déjà des pathologies chroniques non traitées parce qu’ils ne sont jamais allés à l’hôpital avant le tremblement de terre.
On n’a fait que deux ou trois amputations. En marge du tremblement de terre de 2010, beaucoup d’orthopédistes et des malades critiquaient des amputations non nécessaires réalisées notamment par des médecins étrangers. Je pense qu’on n’a pas un nombre élevé d’amputations parce que nous sommes des Haïtiens. On prend la patience qu’il faut pour opérer les gens.
Nous sommes les premiers à nous rendre sur le terrain dans plusieurs zones importantes et souvent reculées. Partout, les parents et proches des blessés acclamaient la délégation.
Quand des ONG sont arrivées par la suite, nous avons pris le leadership de la distribution de l’assistance. Comme Haïtiens, on connait bien la réalité, cela nous a rendus plus efficaces.
Les leaders locaux se sont mobilisés instantanément pour soutenir notre équipe. Un hôtel a été mis gratuitement à disposition de nos 62 médecins. Nous avons aussi reçu du soutien des locaux pour le transport des équipes et des matériels dans les zones périphériques pour l’organisation de cliniques mobiles, notamment. C’était extraordinaire.
J’ai appris dans le Sud que nous pouvons accomplir beaucoup ensemble. Le pays a peut-être un système de santé très faible, mais en étant solidaires, nous pouvons surmonter des obstacles importants si nous choisissons de définir les priorités.
Huit jours après le tremblement de terre, beaucoup de médecins sont revenus à Port-au-Prince, mais certains évoluent encore dans les zones impactées. La directrice de l’HUEH, Dr Jessy Colimon Adrien, et le Dr Henold Buteau continuent d’aider dans la coordination des actions sur place, depuis la capitale.
C’est important que les Haïtiens prennent le devant dans ces situations. Pour ce faire, il faut investir dans la formation et les capacités de réponse. On doit définir les objectifs de sorte que les gens qui veulent aider sachent comment procéder.
Photo de couverture : Docteur Wislet André (au milieu avec le képi bleu), et ses collègues, à Bonne Fin (Cavaillon). Photo : Arens Jean Ricardo Médéus
Comments