POLITIQUE

Claude Joseph exerce le pouvoir de manière illégitime, selon des juristes

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Sans consultation des forces politiques et de la société civile, le ministre démissionnaire Claude Joseph s’impose à la tête de l’État. 

L’assassinat de Jovenel Moïse déstabilise encore plus la nation. Cette mort fait place à une lutte acharnée pour le pouvoir.

Jovenel Moïse qui incarnait à lui seul le pouvoir exécutif  est parti, laissant derrière lui un premier ministre nommé, un premier ministre a.i. et un gouvernement démissionnaire, un pouvoir législatif dysfonctionnel et un pouvoir judiciaire totalement aux abois.

Selon des professionnels du droit, le premier ministre démissionnaire Claude Joseph a accaparé le pouvoir exécutif, illégalement. 

«Claude Joseph, en tant que ministre démissionnaire, ne peut pas s’ériger en président de la République. Il n’a pas l’autorité pour conférer à sa personne de tels pouvoirs puisque son successeur est déjà nommé officiellement », croit l’avocat Joseph Jacques Jasmin.

Qui est donc appelé à diriger la nation haïtienne après le décès du président de facto, Jovenel Moïse ? La constitution haïtienne de 1987 n’a pas la réponse à cette question puisque les institutions d’État sont inexistantes. Les réactions sont nombreuses et la solution réelle à ce problème tarde encore à apparaître.

Un gouvernement démissionnaire

Le ministre a.i Claude Joseph instaure son pouvoir à partir de l’article 148 de la Constitution de 1987 qui précise que «si le Président se trouve dans l’impossibilité temporaire d’exercer ses fonctions, le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, exerce le pouvoir exécutif tant que dure l’empêchement ». 

Me Gédéon Jean rétorque que l’application de cet article n’a pas de sens dans la conjoncture actuelle. « Le fonctionnement du pays n’était plus guidé par la loi mère depuis le 7 février 2021, date de la fin du mandat constitutionnel de l’ancien président Jovenel Moïse. »

Plus loin, il estime que le premier ministre a.i Claude Joseph n’a jamais eu de gouvernement. « Le premier ministre a.i était Joseph Jouthe. Le président de facto Jovenel Moïse a nommé Claude Joseph, ministre a.i. des Affaires étrangères, pour assurer par intérim le rôle de premier ministre après la démission de Joseph Jouthe. En clair, le gouvernement actuel est démissionnaire depuis le départ du premier ministre Joseph Jouthe », explique Me Gédéon Jean, directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH).

Dans la conjoncture politique actuelle, aucune institution publique n’a le pouvoir de nomination, même le Conseil des ministres. « Il n’existe pas de Conseil des ministres après la mort du président de facto Jovenel Moïse. En Conseil des ministres, il y a nécessairement la présence du président de la République. En cas d’absence, de décès ou autre, il y a un Conseil de gouvernement », nuance Me Joseph Jacques Jasmin.

Conseil de gouvernement ou conseil des ministres?

Durant le deuxième mandat du feu président René Garcia Préval, Joseph Jacques Jasmin avocat et ancien député à la 46e législature a occupé le poste de ministre chargé des relations avec le Parlement de 2006 à 2011. Il relate avoir tantôt participé au Conseil des ministres tantôt au Conseil de gouvernement.

« En Conseil de gouvernement, aucune décision ne peut être prise au nom de la nation ou pour engager l’État. Les décisions prises en Conseil de gouvernement peuvent seulement avoir effet sur les méthodes de travail ou sur les programmes que le Gouvernement est appelé à exécuter. Autrement dit, en Conseil de gouvernement ce sont des décisions internes liées aux actions du Gouvernement qui doivent être prises », dit Joseph Jacques Jasmin.

Selon l’article 154 de la constitution de 1987, c’est le président de la République qui dirige le Conseil des ministres.  « C’est au conseil des ministres que le président de la république prend les plus grandes décisions de l’État. En conseil des ministres, un directeur général peut être nommé, un ministre peut être révoqué », continue Joseph Jacques Jasmin. L’homme de loi pense que les décisions prises par le premier ministre a.i Claude Joseph sont illégales et inconstitutionnelles.

L’application de l’article 148 est impossible

Me Jasmin croit que c’est par la force que Claude Joseph a accaparé du pouvoir. « Le pays fonctionne hors du temps constitutionnel. Ainsi, l’application de l’article 148 n’est plus de mise. Même en cas où le mandat du président de facto Jovenel Moïse se terminerait en 2022, c’est l’Assemblée nationale qui devrait décider qui aurait à présider le pays », explique Me Gédéon Jean.

Selon la loi, lorsqu’il y a vacances présidentielles à partir de la quatrième année du mandat du président de la République, le pouvoir exécutif est transféré à l’Assemblée nationale, composée de la Chambre des députés et du Sénat, qui fait provisoirement le choix d’un président.

Mais depuis le deuxième lundi de 2020, soit le 13 janvier, la Chambre des députés est caduque et le Sénat de la République est dysfonctionnel. Ce, à cause de la non-tenue des élections. Les 10 sénateurs restants estiment qu’ils sont les seuls élus de la République en fonction et que, par conséquent, ils sont les seuls habilités à exercer la souveraineté nationale. Le 9 juillet 2021, ils ont adopté une résolution pour faire choix du Sénateur Joseph Lambert comme président provisoire jusqu’au 7 février 2022.

Me Gédéon Jean pense que le comportement du Sénat n’est pas la solution du problème actuel. « On doit nécessairement trouver un consensus avec le reste du Sénat, les forces vives de la nation et l’international pour pouvoir procéder à l’installation d’un gouvernement de transition », dit-il.

Joseph Jacques Jasmin n’est pas de cet avis. « Je ne suis pas pour la transition politique, dit-il. Parce que la transition va épouser les mêmes pratiques institutionnelles déjà en cours. À mon avis, les organes politiques, la société civile, le secteur économique et autres devraient se réunir pour prendre une décision consensuelle afin de procéder à l’installation d’un gouvernement provisoire ayant pour rôle de jeter les bases de la refondation de l’État. »

Nombreux sont les acteurs politiques qui avaient refusé d’entrer en pourparlers avec l’ancien président Jovenel Moïse. « Jovenel Moïse n’est plus à présent, il ne devrait pas y avoir d’obstacles à cette rencontre. C’est ainsi que les acteurs politiques peuvent tous se mettre d’accord pour mener la République suivant un accord politique bien défini», croit-il.

Quid du premier ministre nommé

Pour le docteur Ariel Henry, nommé premier ministre a.i deux jours avant le décès du président de facto Jovenel Moïse, Claude Joseph n’est pas premier ministre. Selon ces dires, ce dernier fait partie du Gouvernement qu’il allait proposer à l’ancien chef d’État. Mais c’est plus compliqué que cela, selon Joseph Jacques Jasmin. 

« Tant que vous êtes nommé, vous détenez une lettre de nomination entre vos mains qui ne représente pas grande chose. C’est le procès-verbal d’installation qui compte. Ce document devrait être envoyé au ministère des Finances pour que l’État confirme réellement que le poste vous appartient. Du coup, on peut mettre à votre disposition les moyens nécessaires pour mener votre politique», souligne l’ex-ministre chargé des relations avec le Parlement.

Me Gédéon Jean partage l’avis de Joseph Jacques Jasmin. « Faute d’installation, le neurochirurgien Ariel Henry ne peut pas exercer administrativement son rôle. Cela dit, monsieur Henry ne peut pas réclamer à proprement dit le poste. Mais, il peut entrer en consultation avec les forces politiques actuelles, l’international, pour voir si on peut encore lui confier la mise en place d’un Gouvernement d’ouverture. »

Me Joseph Jacques Jasmin estime que le Gouvernement provisoire qu’il propose peut endosser Ariel Henry. « On doit lui confier ce rôle et voir ce dont il est capable. C’est la seule façon possible de dénouer cette crise avec la participation de tout un chacun », conclut-il.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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