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Chronique rédigée par un Haïtien assassiné en Turquie

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Après avoir soumis son texte à AyiboPost, Wanderson Jean-Louis a été poignardé par un immigrant haïtien et jeté du onzième étage d’un immeuble en Turquie le 26 janvier 2024


La Turquie vue de l’intérieur par un immigré haïtien

J’avais raison de quitter l’Amérique pour rejoindre le continent européen. Partir en aventure, voyager pour mieux comprendre le fonctionnement du monde.

Étudier, apprendre de nouvelles choses, faire de nouvelles rencontres, connaître la réalité politique, sociale, économique de ce bloc de l’Est…

J’ai vécu, parlé, fait du business et lié amitié avec des gens de plusieurs pays. À Smolensk (Russie). À Istanbul (Türkiye) une ville qui compte près de 16 millions d’habitants. Une ville avec beaucoup d’immigrés, plus grande que mon pays.

Wanderson Jean-Louis

La plupart de mes connaissances sont des gens que j’ai rencontrés à l’université, au boulot, dans la rue ou sur internet. Ce sont des immigrés frères, sœurs haïtien.nes, arabes, syriens, pakistanais, palestiniens, africains… Certains d’entre eux sont devenus des ami.es.

J’ai appris un tas de choses à propos de leurs cultures, de leurs langues et de leurs histoires. Ceux qui viennent du Moyen-Orient ou de l’Afrique y compris les frères haïtiens comme moi sont forcés d’immigrer en raison de la guerre, de l’instabilité politique. Ils fuient les bombes, les balles perdues, la vie chère. Mais ils veulent vivre dans leurs pays, ils aiment Haïti.

Wanderson Jean-Louis

Une atténuation de la crise économique turque en cours doit impliquer une diversification des partenaires commerciaux pour diminuer les pressions économiques.

L’unique moyen dont disposent les États-Unis pour lutter contre Recep Tayyip Erdoğan – allié de Vladimir Poutine – est le dollar, que je qualifie « d’arme mortelle économique ». Cette arme a le pouvoir de déstabiliser une économie et un pays tout entier. La puissance du billet de 100 dollars, désormais appelé Yuz Lira en turc, est connue de tous. Actuellement, presque tout est dollarisé en Turquie : les grandes entreprises négocient en dollars et les Turcs veulent recevoir leur salaire en dollars. Pendant ce temps, les travailleurs, qu’ils soient petits immigrés syriens, africains ou palestiniens, avec ou sans papiers, sont payés en monnaie locale. Le gouvernement ajuste régulièrement les salaires, tandis que l’inflation continue de grimper, entraînant une hausse des prix dans les supermarchés.

Lire aussi : Des Haïtiens pensent trouver en Turquie un eldorado. La réalité est bien différente.

La majorité de la population turque vit dans la précarité, incapable de se permettre des plaisirs, et touche des salaires dans la monnaie locale qui perd sa valeur. C’est un constat alarmant où la dépendance au dollar crée des disparités économiques importantes, affectant la qualité de vie de la population.

Il existe aussi le non-renouvellement de la plupart des résidences et le refus d’accorder la carte de séjour appelée « Kimlic » en Turc.

De nombreuses personnes se voient contraintes de vivre dans l’illégalité, souvent parce qu’elles ne peuvent pas acheter un billet d’avion pour le retour, vu leur coût élevé : environ 2000 dollars, en tenant compte des vols de transit impliqués.

Lire aussi : Il a dépensé 5000 dollars pour se rendre en Turquie. Aujourd’hui, il ne peut s’acheter un billet de retour en Haïti.

Les vols commerciaux depuis l’Eurasie pour retourner en Amérique sont chers. Certains préfèrent ne pas rentrer directement en Haïti en raison de la violence des gangs, de la misère, de l’instabilité politique. Le « Tyabouk » en Turquie, ce que l’on appelle le travail, ne rapporte pas suffisamment. Beaucoup travaillent dur pendant douze heures de temps par jour pour un salaire de misère. Avec ce salaire, on ne peut que payer les charges, le loyer, le manger et le boire… après il ne reste plus rien.

J’ai vécu tout cela, mais j’ai arrêté le boulot depuis près de cinq mois vu les problèmes d’arrestations massives et de déportations pour me concentrer sur mes plateformes en ligne et mon travail de « Social Media Manager ». Je viens de lancer mon business de lunettes et de vêtements en ligne, le 111 Glasses Clothes Store.

Lire aussi : Le scandale des acteurs mineurs haïtiens dans les «feuilletons» en ligne

Je sais tout ce que je raconte. Je l’ai vécu et je le vis encore. On m’en rapporte tous les jours, car j’ai quelques amis africains et haïtiens qui prennent le risque de continuer à travailler ou qui ont la carte de résidence.

J’ai commencé à travailler en Turquie le 16 janvier 2023 après avoir quitté la Russie.

Mon contrat de travail, toujours en vigueur, stipulait un salaire de 6 500 livres turques, soit 28,000 gourdes.

Mais mon expérience m’a fait voir que les employeurs manquent de respect envers les travailleurs, en particulier les immigrants. Ils les traitent comme des moins que rien.

Il est possible d’obtenir la nationalité turque en investissant et en achetant un bien immobilier d’une valeur importante dans le pays, généralement autour de 200 000 dollars. Cela donne accès à un passeport turc et à certains avantages. Malgré cela, tu seras traité comme un étranger et tu seras aussi appelé étranger par les Turcs.

La société turque est divisée sur la question de l’identité nationale, avec certains cherchant à vivre exclusivement selon leur religion et leurs cultures.

Les kémalistes, opposants d’Erdogan lors des récentes élections, partagent également ce point de vue sur l’identité nationale, créant un fossé encore plus profond.

La xénophobie, les tensions religieuses et les divergences idéologiques contribuent à des luttes politiques internes. Certains adoptent des approches différentes, plaidant pour l’intégration et la régularisation de la migration.

Il existe également des Turcs qui veulent occidentaliser la Turquie, mais cela restera difficile à réaliser tant qu’Erdogan conserve sa présidence et son influence politique, axée principalement sur la religion (islam) et la question de l’immigration.

Il est possible d’obtenir la nationalité turque en investissant et en achetant un bien immobilier d’une valeur importante dans le pays, généralement autour de 200 000 dollars.

Lors de mon arrivée en 2022, les prix étaient relativement stables. J’ai constaté des tarifs considérés comme normaux dans les magasins tels que le « BIM » et les supermarchés en Turquie. Les personnes présentes avant moi me parlent d’une époque où tout semblait être un paradis en Turquie. Un ami qui vit ici depuis sept ans, avec qui je discute quotidiennement et chez qui je suis souvent, m’a expliqué à quel point la situation était différente à cette époque. Ils ont peut-être raison.

Aujourd’hui, l’inflation touche tous les aspects de la vie quotidienne : les salaires, le coût des biens, et les affaires.

Lorsque les salaires augmentent, les prix augmentent automatiquement, car tout cela fait partie d’un processus intégré. J’ai eu la chance d’étudier ce phénomène lors de ma troisième année d’administration à l’Université épiscopale d’Haïti (BTI) aux Cayes. Malheureusement, je n’ai pas pu compléter mes quatre années d’études, car je suis parti pour la Russie l’année suivante, en 2022.

On est en Turquie – 2021

Auparavant, un pain coûtait seulement 2 tele, et on avait un plat de spaghetti à 5 tele. Le secteur touristique, particulièrement lucratif, permettait aux citoyens de manger, de boire, d’économiser, et de faire face aux coûts des loyers et des charges.

Bien que des conflits aient toujours existé, la question du dollar n’était pas un problème. À cette époque, on pouvait acquérir 100 dollars à des tarifs avantageux, et le dollar ne jouissait pas de l’importance qu’il a aujourd’hui. La Turquie a toujours été un partenaire économique et militaire important pour la Russie. Les deux pays collaborent et commercent énormément.

Quant à la situation des immigrants en Turquie, l’État  ne semble pas avoir le courage d’assumer son échec total en matière de gestion et de politique migratoire.

Les immigrants sont souvent contraints de fuir leur pays en raison des conflits provoqués par des guerres. Mais l’État turc, au lieu d’assumer ses politiques douteuses et ses accords sous-tables, facilite parfois leur entrée de manière illégale ou leur facilite l’accès parfois avec un simple visa électronique.

Lorsque ce visa expire, les immigrants se retrouvent en situation irrégulière, entravés dans leur mobilité et leur accès au travail, car le visa initialement octroyé est généralement à des fins touristiques de 90 jours et ne permet pas un séjour prolongé ou de travailler.

Cette illégalité devient alors un instrument dans les mains du gouvernement d’Erdogan pour négocier avec l’Europe, en réclamant des milliards de dollars ainsi que des accords politiques, économiques et militaires importants pour la Turquie.

Manifestation contre l’Espagne, en septembre 2022. Photo : Carvens Adelson pour AyiboPost

Selon le gouvernement d’Erdogan : « Les immigrants envahissent la Turquie par millions ». Le chef d’État affirme qu’il va ouvrir les frontières avec l’Europe pour pouvoir se débarrasser d’eux. C’est ce que L’Europe craint le pire. Aussi, « l’Europe fournit régulièrement une enveloppe humanitaire et économique à la Turquie pour pouvoir porter assistance à ces pauvres gens. »

Selon le gouvernement, l’enveloppe allouée à la Turquie pour gérer le volume annuel de migrants est insuffisante, bien que le problème ne réside pas vraiment dans le manque de fonds.

En réalité, il s’agit davantage d’une question d’intérêts politiques pour le gouvernement d’Erdogan. L’immigration est une importante arme, et c’est pourquoi ils facilitent l’accès et ouvrent leurs frontières au monde entier.

Le gouvernement d’Erdogan se trouve dans une situation où il n’a pas les moyens de rivaliser avec la puissance du dollar. La guerre dans la région nécessite d’importants investissements dans les armes, ce qui impacte directement le peuple turc qui souffre, notamment en raison de l’inflation.

La plupart des migrants qui franchissent les frontières fuient souvent les guerres générées par des actions du gouvernement turc lui-même.

Ces observations sont d’un étudiant qui a vécu en Russie, a immigré en Turquie et vit actuellement sans papiers.

Le gouvernement d’Erdogan se trouve dans une situation où il n’a pas les moyens de rivaliser avec la puissance du dollar.

Mon métier est le blogging, le management en ligne. Je gagne ma vie avec cela. Et mes parents me supportent depuis Haïti.  Je n’ai aucune appartenance politique. Cependant, j’aime le jeu de la politique mondiale, surtout dans ce bloc, l’Eurasie.

La Turquie est une grande nation avec une riche histoire et une culture magnifique. Elle se distingue par sa population musulmane et son statut de nation islamique. Ses villes, notamment Istanbul, sont remarquables avec leurs mosquées, leur côté européen et asiatique. Istanbul est considéré comme la capitale économique du pays.

Je vis du côté européen, mais pas dans les quartiers où habitent ce qu’on appelle « les vrais Turcs ». Les « vrais Turcs » qui vivent du côté d’Asie habitent à Kadikay et les autres à Taxim. Là, il y a de beaux quartiers, des universités qui donnent une formation plus ouverte d’un point de vue sociétal et de la religion. Dans ces zones, l’anglais est crucial pour pouvoir travailler, en particulier pour les étrangers ou les Noirs. J’ai un grand ami qui travaille dans cette zone comme professeur d’anglais avec de faux papiers de professeur de Harvard. Il est spécialisé dans ce domaine. Il travaille comme professeur d’anglais. Il m’a d’ailleurs aidé à améliorer mon anglais.

Wanderson Jean-Louis

Esenyurt est la partie pauvre d’Istanbul. Les Turcs considèrent les gens qui habitent Esenyurt comme drôles et bizarres. Ils vont jusqu’à te conseiller de laisser Esenyurt. C’est le quartier des immigrés. Il y a les Africains avec et sans papiers qui travaillent et qui font des affaires. Il y a aussi les Arabes, que la plupart des Turcs, d’après ce que j’ai constaté, n’aiment pas trop. J’ai lu aussi dans les journaux que c’est en raison de la richesse des Arabes par rapport aux Turcs. D’autres parlent de religion.  On ne sait pas qui a raison ou tort.

J’habitais Esenyurt, à Devlet Astane dans une résidence appelée « Aktowers » qui est considérée comme le centre-ville. Auparavant, je vivais à Kuzu Yolu, l’un des quartiers les plus difficiles d’Esenyurt à Istanbul, où se trouvent de vieilles maisons, pas vraiment en bon état, mais à de bons prix, en fonction du « Tyabouk ». J’y occupais un appartement 3+1 avec quelques Haïtiens que j’ai rencontrés et qui sont devenus des amis. Plus tard, j’ai déménagé avec l’un d’entre eux pour vivre en centre-ville, là où je suis actuellement, à « Aktowers ».

Pour 2024, je veux continuer à explorer le monde, à étudier, à réaliser mes rêves, trouver la stabilité, gagner autant d’argent que possible et continuer à voyager…

Il est le 3 janvier 2024. Il est, deux heures du matin actuellement. J’ai un peu froid. J’ai passé cette journée à écrire ce petit texte. Bonne année et bon anniversaire à moi !

Par Wanderson Jean-Louis, Istanbul, Turquie.


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