Le directeur de la Radio Ibo était de passage à Chita Pale, le 15 mars dernier. Extraits choisis de cette discussion
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La liberté de dire et de dénoncer sont-ils en péril en Haïti ? Hérold Jean François répond négativement.
« La presse est dans un environnement plutôt favorable à la liberté d’expression, dit-il. Tout le monde peut dire ce qu’il pense. La presse est au service de la liberté d’expression en Haïti. C’est un gain démocratique qui découle des événements du 7 février 1986. Après 30 ans de dictature, la presse a repris son pouvoir de s’exprimer librement. »
« La répression faite sur les journalistes lors des manifestations traduit un état d’esprit qui ne concerne pas seulement les journalistes et les médias, mais l’ensemble des libertés publiques. Nous sommes passés de la dictature à la démocratie ou la constitution du 29 mars 1987 vient consacrer la liberté de la presse. Les agressions contre la presse nous invitent à nous demander si nous ne sommes pas en train de rétrograder. »
« La presse haïtienne est libre. Nous abordons les sujets qui nous plaisent, comme il nous plaît de les aborder. Mais il nous faut conserver les acquis. Les événements survenus au Capitol le 6 janvier à Washington (États-Unis) ne peuvent que nous prouver que les acquis démocratiques ne sont pas irréversibles. Et bien sûr, nous parlons là de 245 ans d’expérience démocratiques. »
« À 35 ans, l’expérience démocratique que nous faisons en Haïti est jeune. Nous devons continuer à nous battre pour sauvegarder les acquis démocratiques. Nous avons une culture autoritaire de plus de 200 ans. Il faut toujours qu’il y ait une veille. Plein de gens sont contre la démocratie, d’autres ne sont pas démocrates. Il y en a qui n’y croient pas et qui y font résistance. »
« Dans tous les pays du monde, il y a des enjeux à parler de certaines personnes dans les médias. Ce n’est pas seulement en Haïti que les risques existent. Au Mexique, le nombre de journalistes tués par année est considérable. Il y a des sujets comme les deals, les cartels de drogue, les trafics illicites qui quand on les aborde mettent en danger. En Haïti, ce qui constitue une véritable limite par rapport au journalisme d’investigation, c’est que le système judiciaire ne puisse protéger personne. »
« En 1974, Washington Post a fait lumière sur l’affaire Watergate, un système d’écoute mis en place par le gouvernement en place qui leur permettait d’écouter illégalement les conversations. Nixon a dû laisser le pouvoir, et les journalistes sont encore là et sont des références dans leur domaine. Tandis qu’en Haïti, il faut redoubler de prudence, il y a des sujets si on les traite, demain on peut disparaitre, passer parmi la foule d’insécurité. Comme aime à le dire Jovenel Moïse, un petit accident est vite arrivé. Oui la presse est libre, même s’il y a des limites. »
« Entre la période de dictature et aujourd’hui, il y a une grande différence. Aujourd’hui tout journaliste peut travailler sur un sujet qui lui plait, réaliser des entrevues, faire des reportages et continuer à vaquer paisiblement à ses occupations. Pendant toute la transition démocratique, j’ai travaillé sur beaucoup de sujets. Je n’ai jamais reçu aucune menace », explique Hérold Jean François. »
« Il nous faut endosser la responsabilité de ce que nous écrivons. Assumer nos discours. Et notre meilleur garant est que la vérité soit de notre côté. Dans mon premier livre, par exemple, j’ai fait une caricature du coup d’État et j’ai cité le nom des acteurs politiques. Ce qui est bien lorsqu’on traite de l’histoire immédiate, c’est que lecteurs, acteurs et autres, tous, nous avons été témoins de ce qui est écrit. »
La période allant de 1957 à 1986 a été nettement différente. La dictature était institutionnalisée. Tout le monde savait que nous vivions une dictature. Si un journaliste s’avise de pratiquer le métier en ne tenant pas compte des circonstances particulières, il courait de gros risques. En 1976, Castel Raymond a été tué tout simplement parce qu’il a choisi de traiter un dossier sur le syndicat de la cimenterie d’Haïti qui était en grève. Il a été retrouvé assassiné à Brach, sur la route de Léogane.
« Toute allégation était sujette à interprétation, ce n’est plus le même contexte. Le risque qui existait à aborder un sujet banal sur la dictature n’existe plus aujourd’hui. De nos jours, la presse critique librement les chefs d’État. D’Henry Namphy à Jovenel Moïse, les présidents sont traités de tous les noms. Cela ne pouvait se faire sous le régime des Duvalier. »
« Enfant, à Saint-Raphaël, je me souviens qu’il y avait un homme du nom de Gaspard que tout le monde appelait « ton Gas » qui prenait plaisir à abuser de l’alcool. Un soir, dans un moment d’ivresse, il a émis des injures sur la mère de Duvalier. Aujourd’hui encore, personne ne sait ce qu’il est devenu. Alors qu’aujourd’hui les injures sur la mère du président sont monnaie courante. »
« La réalité d’avant 1987 n’est pas du tout comparable à celle d’après 1987. Aujourd’hui, les murs sont les principaux médiums où la liberté d’expression est affichée. On peut y lire « aba entèl », « entèl ceci », « entèl cela »… après 30 ans passés à éviter même de rire de peur d’être sujet à mauvaise interprétation, le peuple se défoule. »
« Au cours de la période de dictature, certains médias ont dû s’accommoder. En dépit de tous les faits qu’il y avait à dénoncer, ils ont dû se détourner des nouvelles locales pour se focaliser sur les nouvelles internationales. La presse s’était appliqué une autocensure, car elle savait à quoi elle était exposée. »
« Je ne pense pas que nous soyons dans une liberté de la presse contrôlée, mais plutôt une liberté de presse débridée. Tout le monde raconte ce qu’il veut. Aussi, il y a une équipe de marchands de micros. Des gens qui ne sont pas journalistes, mais qui interviennent dans la presse sur tous les sujets en utilisant diverses expressions, ce qui est préjudiciable à la presse. »
« La presse professionnelle dans les médias parle de tous, aborde tous les sujets. Il n’y a pas d’autocensure par rapport à aucun sujet. Les gens les plus menaçants, aujourd’hui dans le pays, sont les gangs qui sont devenus de véritables associations terroristes, on en parle tous les jours dans les médias. »
« À partir de 2004, certaines zones contrôlées par des bandits armés ont été déclarées zones de non-droit. Je n’endosse pas la responsabilité d’envoyer un journaliste sur ce terrain-là. Pourquoi ? nous savons déjà que le journaliste serait très exposé. Avant la montée en puissance des gangs, la presse avait accès à ces zones. Ce sont des bidonvilles dépourvus de nombreux services. »
« Je pense qu’aujourd’hui, il est inutile de prendre ces risques. Prenons l’exemple du confrère Vladimir qui était photojournaliste qui s’est mis à développer des rapports avec les bandits, à demander un visa d’entrée et de sortie sur leur territoire. Voyons ce qu’il en est advenu. Si la police, l’état ne peut plus me garantir le libre accès à un lieu quelconque, cela ne m’intéresse point d’y aller. Cela ne vaut pas la peine d’y risquer sa vie. »
« Encore, s’il y avait à l’intérieur de ces territoires d’autres faits intéressants, en dehors du banditisme qui pourrait intéresser. Mais cela serait pratiquement un problème haïtien, il ne concernerait pas seulement cette zone, comme la question de l’eau potable ou de l’électricité. Ce n’est pas seulement dans les zones de non-droit que la population fait face à ces problèmes. Il y a tout simplement une carence de service. »
Dans le monde entier, on ne donne pas la parole aux bandits dans les médias. Il est de principe qu’on ne donne pas la parole aux bandits de même que l’état ne doit pas négocier avec les bandits. Ce sont des principes fondamentaux. Haïti ne devrait pas faire exception de ces principes. »
« Haïti est en train de vivre un chapitre que je qualifie comme la fin de l’état. Les élections sont données à des inaptes. Cette fin pour moi commence avec l’élection de Michel Martelly. Dans aucun autre pays au monde, cela n’aurait pu se faire. D’ailleurs, Martelly s’est qualifié lui-même de bandit légal. Et le pire, c’est que nous l’avons laissé se reproduire en Jovenel Moïse. Il nous faut éviter de tomber dans le piège qui sous-tendent que les bandits sont des partenaires sociaux. »
« Nous faisons face à un phénomène de perversion de l’état. Nous sommes confrontés à une association de malfaiteurs à la tête de l’État. Les plus armées font la loi. Le braquage est monnaie courante. Le pouvoir prestige n’est plus. »
« Les fausses informations dont on accuse la presse ne viennent pas des médias conventionnels, mais des réseaux sociaux. La presse haïtienne ne diffuse pas de fausses informations. Les gens doivent faire une décantation des informations diffusées sur les réseaux sociaux et celles diffusées par la presse. »
« La déontologie de la profession exige de vérifier une information avant de la diffuser. Un média ne devrait pas se trouver en situation de rectifier, voire démentir une information qu’il a lui-même diffusée. Il en va de sa crédibilité. Il est en ce sens préférable de ne pas donner de scoop. La presse doit faire attention à diffuser des informations contrôlées. Même si elle n’est pas responsable des fausses informations qui viennent des sources officielles. »
« La presse accompagne le mouvement démocratique. Il y a des journalistes de références qui surveillent les déviances de façon à les dénoncer. En dehors de cette presse militante qui s’engage à défendre les acquis démocratiques, tout serait déjà perdu. La presse a aujourd’hui face à lui de grands compétiteurs, les réseaux sociaux font marcher les fausses informations à grand train. »
« Chacun est responsable de ce qu’il dit. Mais la presse d’analyse doit poser des questions pour faire résonner la vérité. En dehors de cela, la presse ne fait que reporter les dires et les faits. Les délits de presse sont régulés par le Code pénal. Si une personne a subi un tort et que cela est dû à une fausse information, il peut ester la source de diffusion en justice pour exiger réparations. »
« La réalité des médias est préoccupante, le modèle des médias conventionnels par rapport à la publicité est en crise depuis l’apparition des médias sociaux. De gros journaux ont disparu. Les nouvelles méthodes de circulation des informations exigent aux médias de se réinventer. »
« Les médias haïtiens ne sont pas exempts, ils sont frappés de plein fouet par la disparition de la publicité, la crise économique, le Covid-19. Il y a eu des séparations d’avec le personnel au niveau de certains médias pour pouvoir survivre. Il nous faut trouver une formule, un support pour continuer à exister. Ce support pourrait venir de l’État, comme cela a été le cas après le séisme, quand le pouvoir en place avait subventionné les médias pendant 9 mois. Mais lorsqu’on considère les retombées que cela pourrait avoir, cette option paraît beaucoup moins envisageable. »
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