POLITIQUE

Chita Pale | « Les conditions ne sont pas encore réunies pour qu’il y ait élections », Jerry Tardieu

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L’ancien député et leader du mouvement « En avant » était de passage à Chita pale avèk AyiboPost le 31 mars dernier. Extraits choisis de cette discussion

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« Je vis les récents événements avec beaucoup de tristesse et d’inquiétude, a déclaré Jerry Tardieu. Haïti traverse un mauvais carrefour : crise économique, plus de chômage, cherté de la vie, inflation, etc. la situation d’instabilité politique et sociale qui a pour conséquence le non-investissement privé et aucune création d’emploi. D’un point de vue économique, Haïti régresse. D’un point de vue institutionnel, la crise est totale. »

« Nous avons un pays qui est sorti de la constitution, qui a laissé les rails institutionnels. Ne parlons même pas d’un point de vue sécuritaire. Nous n’avons pas la garantie de rentrer chez nous après cette émission. L’impasse est totale. Le président de facto de concert avec quelques alliés choisit de s’aventurer dans un passage en force pour mettre sur pied une Constitution avec une commission consultative indépendante créée en dehors de la loi et qui va valider la proposition d’un avant-projet constitutionnel à travers un CEP lui-même hors de la loi. »

« Haïti a toujours eu des problèmes. Mais ce que nous vivons là est une situation inédite. Nous parlons d’un pays où les institutions sont détruites les unes après les autres. Le parlement, la Cour supérieure des comptes, la Police nationale… en 53 ans d’âge, je n’ai jamais vécu une situation où des policiers s’entretuent. L’angoisse est telle que les jeunes ne pensent qu’à quitter le pays. Ce qui me marque le plus, ce ne sont pas les conditions économiques des personnes, mais leur état d’esprit. »

« Il y a une peur. La jeunesse est désespérée. C’est une situation qui doit nous amener à poser des questions. Car demain peut être pire. »

« Le nom [de mon mouvement] “En avant” n’est pas inspiré par le mouvement “En marche” d’Emmanuel Macron [en France]. Il est plutôt lié à la décision de marier l’idéologie du projet à des personnalités de courage de l’histoire d’Haïti. En avant s’inspire de Capois la mort. C’est un modèle de courage. Un guerrier qui n’a peur de rien, un patriote qui veut se battre pour un idéal. Nous avons estimé que “En avant” traduit tous les messages que nous voulons faire passer à travers la jeunesse. Une jeunesse qui est en train de se décourager. »

« J’ai beaucoup de respect pour les leaders politiques, les partis politiques, mais nous ne nous retrouvons pas dans l’offre politique actuelle. 70 % des Haïtiens ont moins de 30 ans. Après mon mandat de député, un nombre conséquent de jeunes sont venus me demander qu’allons-nous faire. Et j’ai décidé de créer “En avant” afin qu’il ait un espace qui leur soit propre où s’exprimer. Il n’y a malheureusement pas de partis ayant un ancrage populaire qui symbolise l’espoir et le renouveau. »

« Nous sommes parvenus à un tournant où nous ne pouvons pas aller plus loin. Demain sera plus triste si nous ne nous engageons pas. Il nous faut nous engager. C’est ce discours que nous voulons apporter. Aussi bizarrement que cela puisse paraître, la conjoncture est favorable à l’éclatement du mouvement “En avant”. Il y a une telle perte d’espoir, perte de repères, manque de modèles que beaucoup de jeunes adhèrent à ce mouvement. »

« Ceux qui critiquent les politiques sont encore ceux qui se plaignent de l’état du pays et qui accusent les gens sérieux de ne pas s’engager. Il n’y a aucun changement qui peut se faire sans que cela ne passe par la politique. Il faut qu’une nouvelle génération de penseurs émerge. »

« Je pense que c’est dans l’unité, dans la fraternité que nous pourrons atteindre ce changement. Une personne n’a pas le droit de croire qu’il peut, à lui seul, résoudre les problèmes de ce pays. C’est l’un des problèmes du pouvoir en place. Ce pouvoir, à travers le président, pense pouvoir tout imposer au pays et porter le fardeau du changement sur son épaule.  C’est dans la diversité et la tenue d’élections libres et démocratiques, que nous pouvons trouver la véritable mosaïque sociale haïtienne, et c’est l’une de nos ambitions, à “En avant” »

« Les conditions ne sont pas encore réunies pour qu’il y ait élections. Mais il nous faut travailler pour être prêts pour les élections. Des élections libres, honnêtes, crédibles, transparentes, avec un arbitre qui inspire confiance, avec un gouvernement qui respecte les règles du jeu. Le président et son gouvernement ne nous montrent pas qu’ils sont intéressés à organiser des élections libres honnêtes et transparentes. Si c’était le cas, ils auraient organisé des élections pour renouveler le personnel politique. »

« La démocratie ne commence pas par la tenue des élections qui peuvent se faire n’importe comment. Il faut qu’il y ait des conditions sécuritaires, une machine électorale, un système électoral y compris une carte électorale qui inspire confiance, une liste électorale complète. Ira-t-on aux élections puisqu’il faut y aller en faisant exclusion d’un groupe de gens ? moi je dis qu’il faut faire très attention. Oui il faut des élections, mais des élections d’objectivité et de transparence. »

« Michel Martelly et Laurent Lamothe ne sont pas de mon entourage. Ceux qui veulent m’associer politiquement à eux sont soit de mauvaise foi, soit mal informés. J’ai rencontré beaucoup de personnes et je suis très bon voisin. J’ai rencontré Martelly dans la musique. À 12 ans, on a été voisins. Laurent Lamothe et moi fréquentons le même club de tennis à Petionville. J’entretiens de bonnes relations avec Duvivier Pierre Louis, Jacques Édouard Alexis, comme beaucoup d’autres gens, d’horizons politique et divers, car je suis un homme ouvert. Je ne suis pas du genre à cataloguer les gens à partir de ceux qu’ils ont rencontrés ».

« Si un jour, j’ai à me présenter aux élections pour devenir CASEC ou ASEC, les gens me jugeront pour qui je suis, mes idées, mes projets, mon intégrité, ma vie, mes actions, mon bilan. Je te garantis que sur ce terrain-là, à 53 ans d’âge, je suis très satisfait. J’ai fait face à beaucoup de choses. Ce qui reste à donner sera donné et je pense que les gens comprendront. »

« J’ai été parlementaire pendant quatre ans, et je peux dire qu’il y a des problèmes dans la Constitution de 1987 amendée. J’ai présidé une commission spéciale sur l’amendement de la constitution. Et à ce titre, j’ai demandé au président de la chambre un mandat de deux ans, parce que, pendant un an, nous avons voulu faire une consultation nationale. Après consultation des différents secteurs de la vie nationale qui nous a pris une année, nous avons fait une proposition qui nous a pris une année de rédaction. »

« J’estime qu’il faut apporter certains changements à la Constitution. Et je peux dire que j’assume. D’ailleurs, notre premier rapport écrit a été “constitution de 1987, failles irritantes et lacunes”. Nous sommes allés analyser la Constitution en termes de régime politique, en termes de gouvernance administrative, et d’autres questions spécifiques. La question de la décharge, la question de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, la question du Conseil électoral, la question des forces armées d’Haïti, la question d’un ensemble de problèmes spécifiques qui nécessite que la Constitution soit amendée. »

« La Constitution n’est pas responsable de la situation au village de Dieu. Elle n’est pas responsable de l’inégalité dans la répartition des richesses. Elle n’est pas responsable de la non-existence du Conseil constitutionnel. Elle n’est pas non plus responsable qu’un jeune ayant un bon projet ne puisse pas obtenir de crédit pour le réaliser. Mais attention, ce n’est pas parce que la constitution n’est pas responsable de tout ça qu’elle ne mérite pas d’être amendée. Le problème haïtien est un tout, y compris un problème constitutionnel. »

« La constitution de Jovenel Moïse, étant donné son contenu, et en tenant compte de la manière dont on veut le faire, va occasionner plus de problèmes et d’instabilités. Un comité consultatif dit indépendant choisi par Jovenel Moïse a travaillé sur un avant-projet de nouvelle Constitution. Premièrement, ce comité n’est pas représentatif des secteurs de la vie nationale. Deuxièmement, il choisit pour valider leur travail de faire un référendum qui est illégal et inconstitutionnel. Et pour le faire, il va utiliser l’accompagnement d’un CEP créé en dehors de la loi, qui n’a pas prêté serment par devant la Cour de cassation. »

« Nous parlons d’un CEP, qui veut réaliser un référendum à tout prix. Quel que soit la pièce d’identité est acceptable pour voter. Il n’y a même pas une liste électorale partielle voire une liste électorale complète. Nous parlons d’un projet dont le processus n’est ni inclusif, ni participatif, ni constitutionnel, ni légal, encore moins décent. »

« Il est important pour moi de faire un parallèle avec la commission Tardieu, ainsi nommée dans le langage parlementaire, du simple fait que j’eus à présider cette commission. Chaque réforme constitutionnelle charrie avec elle une philosophie. La commission Tardieu a basé ses analyses sur trois piliers : rééquilibrer les pouvoirs, responsabiliser le président, restructurer l’état et les institutions. Tout le monde reconnaît que la constitution de 1987 a penché vers une dictature parlementaire. Les parlements ont beaucoup de pouvoirs. Nous avons eu l’ambition de rééquilibrer les pouvoirs. Il y a une ambiguïté dans la constitution, le président est conçu comme mineur. Nous avons voulu le responsabiliser. Puis, nous nous sommes tournés vers les institutions autonomes, CSPJ, Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, Conseil électoral… »

« Que nous apporte en revanche la constitution de Jovenel Moïse ? D’abord, il déséquilibre les pouvoirs. Cette proposition met tous les pouvoirs entre les mains d’un président roi, qui a un total blanc-seing pour agir. Les pouvoirs législatif et judiciaire sont mis sur la touche. Le législatif est réduit à une seule assemblée et perd la possibilité de légiférer sur tous les sujets d’intérêt public. Le président jouit d’une totale immunité pendant son mandat et après son mandat (je vous invite à regarder l’article 139 de cette nouvelle Constitution). La deuxième chose que nous dénonçons est donc la déresponsabilisation du président. Et encore, il y a une déstructuration de l’État et des institutions. Le pouvoir judiciaire est réduit à sa plus simple expression. Les juges de la Cour de cassation sont nommés quatre par le président, cinq par le président de l’Assemblée nationale, issu d’une majorité parlementaire qui a conduit le président au pouvoir. Elle perd quasiment la possibilité de contrôler les dépenses de l’État. Toutes les batailles menées pour la reddition de compte et la transparence tombent à l’eau avec cette Constitution. C’est pourquoi nous disons que tant sur la forme que sur le fond, elle fait le lit d’un autoritarisme présidentiel au détriment du législatif et du judiciaire. »

« Je pense qu’il est de ma responsabilité aujourd’hui de dire “Attention !” prenons des exemples banals. Il a été retiré de la Constitution de 1987 l’article qui prescrit qu’aucun haïtien n’ait besoin d’un visa d’entrée et de sortie. Si certains pensent que ce n’est pas grave, des jeunes bien imbus de l’histoire d’Haïti sauront que sous Duvalier, il fallait un visa pour rentrer en Haïti si l’on s’opposait au régime. Quand on décide de retirer la Police nationale sous la tutelle du Ministère de la Justice, qui dit qu’on ne la mettra pas un jour sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ? Quand on choisit d’enlever l’article qui interdit le culte de la personnalité, il se peut bien que dans 10-15 ans, il y ait un président mégalomaniaque qui décide de donner son nom à tous les lycées du pays. Tout cela inquiète. »

« J’ai vécu, en étant au parlement les tribulations et difficultés des Premiers ministres pour cohabiter avec les présidents. J’avais fait une rencontre historique en 2019 dans le cadre du travail de la commission entre neuf anciens premiers ministres. Ils sont tous d’accord que la cohabitation en Haïti d’un Premier ministre et d’un président, tenant compte des spécificités culturelles, est difficile. Mais nous sommes aussi conscients que le plus gros problème résulte des dilatoires existants entre le Premier ministre ratifié et les parlementaires. »

« Nous avons voulu effacer les possibilités pour les députés et sénateurs de marchander des postes au sein de l’État pour leur famille, en l’échange de leur prononciation sur l’énoncé de politique générale. Il y avait deux options en vue. La première, c’est de garder le Premier ministre. Celui-ci serait ratifié automatiquement. Le parlement serait alors renforcé de manière à exercer un contrôle sur le travail de l’exécutif. La deuxième option, c’est d’avoir un président et un vice-président, tenant compte qu’un vice-président apporterait une certaine dynamisation de la politique. »

« Il ne faut jamais envisager l’avenir au rabais. Lorsque nous prenons une décision pour le pays, il ne faut pas le prendre en fonction de la situation actuelle du pays. Il nous faut envisager l’avenir aussi. Car notre vision c’est de changer Haïti. »

« La diaspora, pour moi c’est non seulement les Haïtiens vivant à l’étranger, mais aussi les étrangers d’origine haïtienne sur une, deux, trois ou quatre générations. Dans la diaspora on trouve une réserve de gens ayant des compétences, des capacités et un amour pour Haïti. Il y a beaucoup plus d’Haïtiens vivant à l’étranger à hisser le drapeau haïtien le 18 mai qu’en Haïti. Ils vont dans des bals ou jouent les orchestres haïtiens, ils mangent les plats haïtiens. Ils sont très attachés à la patrie. »

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La rédaction de Ayibopost

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