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Changer l’image d’Haïti, un profond complexe

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La réaction! Notre capacité de réactions est une loi physique acceptée de tous. L’univers a été construit autour de cette loi. Toute action engendre une réaction, avons-nous étudié en physique !

En 1804, Haïti a commis le péché originel de se démarquer d’un système qui jusqu’alors marchait bien pour les puissants de ce monde. Une action qui a provoqué et provoque encore des réactions. La plus forte de ces réactions a été la construction par l’Occident de notre image.  Comment l’homme occidental du 19e siècle, majoritairement européen, percevait-il Haïti ?

Ce pays des Antilles a secoué le système en place et a eu l’audace de casser le premier maillon de la chaine esclavagiste, il ne pouvait donc être perçu de manière positive. A part les antisystèmes occidentaux de l’époque qui ont vu en la République d’Haïti un souffle d’humanisation du monde, la grande majorité nous percevait comme des sauvages, cannibales, mangeurs et tueurs d’hommes blancs. Rappelons que chef de file des antisystèmes de l’époque, un certain Victor Hugo, eut à prononcer ces mots:

« Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voit un tenu par la main d’un nègre. »

Mais la réalité est que les yeux de l’Occident n’étaient, ne sont et ne seront jamais aussi lucides que ceux de Victor Hugo. Nous étions restés aux yeux de la grande majorité ces nègres impertinents qui n’ont eu que de la chance.

Le problème de l’image d’Haïti a persisté au 20eme siècle, mais cette fois- ci le pinceau qui nous caricaturait était beaucoup plus d’influence américaine, surtout pendant la période de l’occupation. Ainsi en 1915, un Américain pouvait lire dans le New York Times cette description d’Haïti : « … Depuis le massacre des blancs sous Dessalines en 1804 et plus récemment le massacre de Port-Au-Prince, Haïti n’a jamais été en paix pendant un moment considérable». Haïti a constamment été décrit comme une société en faillite avec souvent des mythes et idées préconçues autour du vaudou ou la zombification que Hollywood introduisit au monde de manière très stéréotypée. Jusqu’à présent aux yeux d’une belle partie du monde occidental Haïti est le pays fabricant des poupées vaudou. Nous sommes en plus les zombificateurs par excellence. Les medias et le monde du nord ont esquissé notre culture, notre pays, nos rites de telle sorte qu’ils soient perçus comme laids, sales, désordonnés.

La problématique de l’image d’Haïti n’est donc pas une histoire récente. Lorsqu’une personne d’un certain âge ou d’un âge certain vous dit que de son temps les Haïtiens étaient respectés et appréciés, sachez qu’en gros ce ne sont que des foutaises. L’homme est un constant amoureux du passé, hier est presque toujours meilleur qu’aujourd’hui, souvent en dépit de l’évidence. Le problème d’image d’Haïti a donc existé depuis que nos ancêtres avaient fait le choix de la liberté.

Les médias sociaux et le 12 janvier

Après les salons parisiens du 20eme siècle, le New York Times et Hollywood, sont arrivés Facebook, Instagram et twitter. Ces nouvelles formes de media dits « sociaux » ont complètement bouleversé la dynamique médiatique. L’audience haïtienne (lecteurs, téléspectateurs, l’auditeur) peut participer désormais à  l’esquisse de l’image d’Haïti.

Il suffit d’avoir un smartphone pour que le jeune Haïtien participe à la bataille médiatique vieille de deux siècles dont son pays est la victime. Les paradigmes peuvent désormais être légèrement déplacés par l’affichage d’une simple photo à la citadelle, une vidéo sur une plage de Jacmel, un selfie à Labadie. Un hashtag peut faire déplacer des montagnes dans le monde semi-virtuel des réseaux sociaux, #HaitiExperienceIt #SeLaPouLa …

Après le séisme du 12 Janvier les medias ont offert à Haïti la place vedette. Le monde entier pouvait nous voir, mais c’était paradoxalement à notre moment le plus difficile, le moment où nous étions à genoux que les medias du monde entier ont décidé de nous mettre sur l’estrade. Cinq ans plus tard, Haïti reste ce pays pauvre dévasté par un séisme. Ces descriptions qui ne cessent jamais de mettre l’accent sur nos plaies agacent et blessent le public haïtien. Le besoin de changer l’image du pays est naturel et j’ose dire qu’il découle d’un sentiment aux couleurs patriotiques. Ce besoin de réagir face à l’attentat fait sur l’image d’Haïti n’a en soi rien de mauvais mais il se pervertit dans son application presque puérile.

#TeamHaiti est devenu une affaire de belles photos, belles plages, beaux carnavals. Faire autrement ou ne pas suivre la tendance vous qualifie d’office d’anti-haïtien, anti-changement. Nous avons réduit Haïti à cette fille qui se blanchit la peau, efface ses taches et affine son nez par Photoshop pour sa photo de profile facebook. Elle se crée une réalité qui n’est vraie que sur facebook ou instagram. Elle veut plaire aux camarades de classe qui l’ont harcelée pour ses imperfections physiques et ses habits délavés et blasés. Je ne veux pas qu’Haïti soit cette fille qui, pour se plier aux exigences de beauté du monde occidental se crée une fausse réalité. Je ne veux pas qu’Haïti passe des heures à chercher le bon angle pour le selfie parfait. Je veux qu’Haïti se mette nue devant son miroir et accepte ses imperfections et affrontent ses problèmes en fanm djanm. Oui elle est naturellement belle malgré des décennies de déboisement, mais elle ne sait pas encore lire. Oui elle a construit la citadelle La Ferrière, mais elle ne peut pas se soigner quand elle est malade. Oui elle a la meilleure tasse de café au monde mais elle importe tout pour manger avec.

Nous devons tous nous battre pour changer Haïti avant de changer son image. Si nous changeons l’image sans changer le pays, nous utilisons juste l’outil mystificateur de l’Occident pour satisfaire notre ego de privilégiés, pendant que nos « damnés de la terre » continueront de croupir dans la misère la plus abjecte. Notre objectif devrait être de changer si positivement ce pays que même si les medias essaient de falsifier notre image, notre réalité de tous les jours les éblouira.

 

Jétry Dumont

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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