POLITIQUE

Cette firme à la réputation douteuse devait auditer le Fonds National pour l’Education

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Selon Michel Martelly, la firme internationale Price Waterhouse Coopers, impliquée dans plusieurs scandales de corruption à travers le monde, devait auditer le Fonds National pour l’Education. Le FNE affirme que PWC n’a jamais audité le fonds lors d’une entrevue accordée à Ayibopost

Le Fonds national pour l’éducation (FNE) est financé par deux taxes : 0,05 dollar américain sur chaque minute entrante et 1,50 dollar américain sur les transferts d’argent entrant ou sortant du pays. Lors du lancement, Michel Martelly a affirmé que ces nouvelles mesures permettraient de collecter près de 360 millions de dollars américains sur 5 ans, soit 180 millions de dollars sur les transferts et un montant équivalent sur les minutes. Ces fonds serviraient à scolariser près de 1,5 million d’enfants durant son quinquennat.

Selon la loi créant le FNE, il est fait obligation aussi à la Loterie nationale d’Haïti (LNH) de verser 1% des revenus qu’elle génère à partir de ses concessions et autres jeux de hasard.

L’argent du FNE est géré par un conseil de quinze (15) membres issus des ministères de l’Économie, de l’Éducation nationale, de la Planification et du ministère des Haïtiens vivant à l’étranger. Les syndicats d’enseignants, la Fédération nationale des maires haïtiens (FENAMH) et le secteur des droits de l’homme sont aussi représentés. Ce conseil devrait travailler avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque de la République d’Haïti (BRH). Price Waterhouse Coopers (PWC), une firme internationale indépendante, était chargée des audits « par souci de transparence » selon des déclarations de l’ancien président, Michel Joseph Martelly.

Selon les responsables du FNE, le fonds n’a jamais été audité, ni par PWC, ni par aucune autre institution. Aucune firme n’a établi de contact avec le FNE pour l’auditer en tant qu’organisme autonome, indiquent-t-ils. À ce jour, le staff travaille à mettre en place une institution qui n’avait aucune composante administrative.

Lire aussi : Comment les millions du Fonds pour l’éducation ont été dépensés? Personne ne le sait.

De plus, le bureau fait savoir que le décret du 17 mai 2005, portant organisation de l’administration centrale de l’État, stipule en son article 148 que le contrôle financier de toutes les administrations de l’État et des Organismes autonomes est exercé par la Cour des comptes. « [Ce décret] mentionne également, dans le même article, que le recours à des firmes privées pour réaliser des audits doit se faire à partir d’une autorisation spéciale de la Cour des comptes. »

Price Waterhouse Coopers accusée de corruption

Price Waterhouse Coopers est un réseau mondial de sociétés fournissant des services professionnels. L’entreprise offre des services de conseil aux entreprises, tels que l’audit, la comptabilité, la fiscalité, la gestion de stratégies et des assistances en ressources humaines. PWC dessert les industries de l’aérospatiale, de la défense, de l’automobile, de l’énergie, du gouvernement, de l’hôtellerie, de l’assurance, des banques, des marchés de consommation, des soins de santé et des transports. Sur l’année 2018, elle réalise un chiffre d’affaires de 278 802 700,00 €. Le total du bilan a augmenté de 12,62 % entre 2017 et 2018.

Dans plusieurs pays où elle a déjà intervenu, PWC est accusée de faussetés et de corruption comme le montrent les exemples suivants :

En mai 2015, aux États-Unis, Charles Ortel, collaborateur du Washington Times a rapporté que PWC était un partisan enthousiaste du projet des Clinton et de leurs associés de s’enrichir personnellement de la fondation.

Dans un rapport préliminaire de son enquête sur les finances de la Fondation Clinton, cet analyste respecté de Wall Street a mentionné que « le produit du travail comptable de PWC pour 2013 est truffé d’erreurs et de faussetés non corrigées ». Il a aussi relevé des vices de procédure graves.

En juillet 2017, en Inde, l’ancien juge en chef de la Haute Cour de Delhi, A. P. Shah a écrit au Premier ministre Narendra Modi et au ministre des Finances Arun Jaitley pour qu’ils prennent des mesures immédiates contre la branche indienne de PWC. Le forum Citizens Whistle Blowers (CWBF) dirigé par l’ancien juge Shah évoque dans une lettre datée du 10 juillet 2017 « un certain nombre de questions extrêmement déconcertantes impliquant PWC, qui constituent une menace sérieuse pour les intérêts nationaux, la sécurité des investissements d’un homme ordinaire, entraînent des pertes importantes pour le Trésor public. »

Depuis mars 2018, le conseil indien des valeurs mobilières et des changes (en anglais, Securities and Exchange Board of India, SEBI) a interdit aux sociétés affiliées de Price Waterhouse Coopers d’auditer les sociétés cotées en bourse pendant deux ans, à titre de sanction. L’interdiction a été imposée en raison de négligence repérées dans les travaux d’audit chez Satyam Computer Services, en 2009. L’effondrement de Satyam Computers a coûté aux actionnaires plus de 2 milliards de dollars et a secoué le secteur des technologies de l’information en Inde.

L’ordre d’interdiction de SEBI a été donné le 7 janvier 2009, au moment où Ramaliga Raju, alors chef de Satyam, avait reconnu sa culpabilité. Il a fallu attendre 2018 — soit neuf ans après — pour que la décision soit mise à exécution. L’escroquerie de Satyam Computer Services a été révélée et condamnée après deux tentatives infructueuses de PWC de régler le cas par le biais du mécanisme de consentement.

SEBI, organisme de réglementation du marché en Inde a déclaré que PWC était coupable de l’escroquerie Satyam.

Un fonds suspecté d’être mal utilisé

Le 24 décembre 2018, une action collective a été déposée et enregistrée au Tribunal Fédéral de l’Eastern District, à Manhattan (N.Y.) par Me Marcel Denis, un avocat d’origine haïtienne de la firme « Denis Law Group, PLLC ». Le cabinet représentait les plaignants haïtiens Odilon S. Celestin, Widmir Romelien, Goldie Lamothe Alexandre, Vincent Marazita, contre les accusés Michel Joseph Martelly, Jocelerme Privert, Jovenel Moïse, Western Union, Caribbean Air Mail inc., Unitransfert USA inc., Digicel-Haïti, Natcom S.A. et le Gouvernement d’Haïti pour violation des lois fédérales américaines ainsi que celles des États de New York, de Floride et de Californie. Les plaignants contestent les prélèvements sur les minutes téléphoniques et les transferts d’argent, destinés au financement en Haïti du Fonds National pour l’Éducation (FNE).

Les plaignants allèguent qu’au moins 500 millions de dollars d’argent liquide ont été utilisés à tort et réclament trois fois plus en dommages et intérêts.

Aucun contrôle du Fonds

Les recettes collectées à travers les compagnies de téléphonie du 15 juin 2011 au 9 mars 2017 s’élèvent à plus de 142 millions de dollars. Plus de 120 millions de dollars américains ont été collectés du 18 juillet 2011 au 12 septembre 2018 sur les transferts en provenance de la diaspora.

Huit années après la création de ce fonds, on ignore en quoi le système éducatif haïtien en a bénéficié. Price Waterhouse Coopers, continue d’en garantir l’utilisation « transparente ». Entre temps, le gouvernement haïtien, dans un calme imperturbable attend que la firme internationale lui fasse un bilan crédible et honnête.

Note de la rédaction:

Une première version de cet article affirmait par erreur que Price Waterhouse Coopers gérait le FNE. L’entreprise n’est chargé que de l’audit. 

Cet article a été mis à jour avec des informations communiquées par le FNE. Le fonds n’a jamais été audité, ni par PWC, ni par aucune autre institution. [22 août 2019]

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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