Pour 250 à 1000 gourdes, les BRH — bar, restaurant et hôtel — offrent un package complet. Ces structures qui répondent à un besoin social d’intimité ne respectent pas toujours la loi
On se trouve à Pétion-Ville, non loin d’une station d’autobus. Les yeux tantôt rivés sur l’écran de son téléphone portable, tantôt sur le trottoir où défilent des passants par dizaines, Luc affiche un air inquiet et impatient.
Derrière l’homme, un escalier qui vient se jeter sur le trottoir. Après des minutes d’attente, un ultime coup d’œil vers la droite lui fait sourire. La personne tant attendue vient d’arriver.
À peine un regard croisé, sans échanger la moindre salutation, il prend l’escalier et la jeune femme d’une vingtaine d’années le suit.
Ici, dans ce bâtiment de quatre étages, s’incruste un hôtel de moment complètement anonyme. En agissant ainsi, l’établissement garantit une certaine discrétion à sa clientèle. Il se défait simultanément de ses obligations envers la mairie.
De telles enseignes pullulent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et certaines, pour mieux se camoufler, proposent d’autres services comme la restauration. Ainsi est né le concept : BRH (Bar, Restaurant, Hôtel) très apprécié par la gent masculine.
Une croissance vertigineuse et non contrôlée
Le constat est flagrant : les hôtels de moments prolifèrent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Le maire de Pétion-Ville, Dominique Saint-Roc confie avoir lui aussi observé une multiplication effrénée de ces structures dans sa commune.
Pourtant l’édile révèle que nombre de ces hôtels ne paient pas la mairie. Leur stratégie est simple : « Une seule personne peut posséder plusieurs structures portant le même nom et quand elle va voir les autorités municipales, elle paie pour un seul hôtel ».
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Dominique Saint-Roc confie que ces propriétaires arrivent même à tromper le fisc en utilisant une seule patente pour plusieurs hôtels.
De plus, ces établissements « low cost » viennent favoriser la prostitution. Sans registre et refusant de contrôler l’identité ou l’âge des clients, ils « pervertissent davantage la jeunesse du pays » notamment dans les quartiers défavorisés mentionne Dominique Saint-Roc qui dit avoir déjà mobilisé la direction des affaires sociales de la mairie pour une inspection de ces hôtels qui reçoivent des clients dans des conditions qui laissent à désirer.
Des autorités aveugles
Jonas Salim est le patron de l’une de ces structures à Port-au-Prince. « Le seul rapport qu’entretient un hôtel de moment avec les autorités de l’état est l’autorisation du Ministère du Commerce et une patente de la Direction générale des Impôts », confie-t-il. « Si l’entreprise a une enseigne, elle paiera la mairie pour le droit d’affichage ».
Évoquer avec Jonas Salim d’éventuelles visites de la part des autorités de l’État voulant vérifier le fonctionnement de son entreprise provoque chez lui un éclat de rire. « Les seuls inspecteurs qu’on reçoit sont ceux de la DGI qui veulent vérifier si l’entreprise ne les trompe pas sur sa capacité réelle ».
Cette révélation de Salim confirme les appréhensions du maire de Pétion-ville qui se plaignait que « les conditions sanitaires sont si négligées dans certains de ces hôtels [non inspectés] que les clients sont obligés de se laver dans des cuvettes et s’éclairer à l’aide de bougies ».
Signe d’un problème social
Illionor Louis est sociologue et professeur à l’université. Pour lui, la prolifération des hôtels de moment dans la région métropolitaine a un rapport direct avec la situation économique des citoyens.
Selon lui, le fait que des jeunes en âge de se mettre en couple soient contraints de vivre jusqu’à la trentaine chez leurs parents, faute d’emplois, pourrait bien être un indice pour expliquer le phénomène. « La quête d’intimité (…) peut bien être un facteur », croit-il.
Le professeur admet aussi que la précarité économique pousse des jeunes filles à s’offrir sexuellement à des hommes, souvent déjà responsables d’un foyer, pour pouvoir gagner un peu d’argent. Ce sont donc ces besoins de sexualité qui encouragent les propriétaires d’hôtels à continuer à ouvrir de nouvelles chambres mêmes dans des conditions précaires.
Des avantages incitatifs
Ces hôtels bénéficient également de la volonté des dernières administrations d’attirer des investissements dans divers secteurs du pays.
Aussi, l’administration de Michel Martelly a octroyé d’énormes avantages à ceux désirant investir dans le tourisme en Haïti. Le package du code d’investissement comprend entre autres : hôtels, restaurants, transports touristiques, relais, marina et station balnéaire.
Malgré les critères d’éligibilité complexes, Naed Jasmin Désiré, une avocate qui a travaillé dans le secteur, admet qu’une fois bien ficelé, un plan d’affaires visant la réalisation d’un hôtel de moment peut bénéficier des avantages incitatifs prescrits dans le code d’investissement.
D’un autre côté, certains établissements jadis respectés, mais peu visités peuvent aussi se transformer en hôtels de moment afin de survivre, soutient Ulrick Noël, directeur d’investissement au Ministère du Tourisme.
Photo couverture: Georges Harry Rouzier / Ayibopost
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