Ma journée commence presqu’a tourner au vinaigre quand mon superviseur me contacte a l’heure exacte de notre rendez- vous pour m’annoncer qu’elle a un empêchement. Comble d’indélicatesse: par texto! Contrariée, je retourne à la station de train pour me diriger au travail. Et le train assurément se fait attendre. Je me mets à scruter la gare en quête désespérée d’un banc avec une place vide! Ouf ! Il y en a un à quelque pas de moi.
Discrètement, je jette un coup d’œil pour voir entre qui je m’assieds.Une jeune asiatique perdue dans son téléphone et un homme caucasien assez âgé qui a l’air subitement très embêté.Ici on me fait croire que ceux qui ont le teint pâle n’aiment pas toujours les «noirs » et malheureusement les improbités quotidiennes ne prouvent pas le contraire. Je me dis qu’il est sûrement l’un de ces anciens racistes qui ne s’est pas défait de ses coutumes crétines.
Naturellement je m’assieds et prends mes grands airs d « Ayisyèn ki pa pè pesòn ».Torse bombé, tête bien droite ! Une posture, qui dans mon imagination, me donne l’allure d’une tigresse de qui l’on devrait se méfier. A peine assise, j’aperçois du coin de l’œil, le vieil homme me jeter des regards insistants. Je ne me laisse pas intimidée. Qu’il aille s’assoir ailleurs si ma présence le dérange autant !
Les minutes défilent et je commence à être un peu mal à l’aise quand, sans crier gare, il rompt le silence inconfortable qui règne entre nous en disant: « the train no come »! Ayant déjà mon idée préconçue de ce personnage s’exprimant avec un accent espagnol, je fais un petit signe de la tête juste pour indiquer que je l’ai entendu mais que je ne désire pas trop converser.
Silence complet.
Un autre coup d’œil rapide, et je remarque qu’il m’observe encore, cette fois un sourire se dessinant timidement sur son visage. Pour ne pas être impolie, je grimace rapidement un
On se met à bavarder et petit à petit, il m’explique qu’il est à New York parce que sa fille est a l’hôpital. Remarquant sa mine changée, je me mets rapidement en tête que ça doit être grave. Probablement un cancer. Essayant de trouver la juste balance entre ne pas être indécente avec mes questions ou paraître insouciante sans rien ajouter, je pris le risque de demander si elle se remettait. Il me répond négativement et son visage jovial est maintenant complètement atterré. Il refait la même grimace que j’avais cru signifier qu’il ne voulait pas de moi à ses côtés.
Le train arrive.
On monte ensemble et il se met à me questionner. Je lui explique ce que je fais et ce que j’ai étudié. Il a du mal à comprendre mais fini par décider que je suis « psychologue » et sans m’y attendre, enchaine en m’expliquant ses déboires. Sa fille est bipolaire et souffre d’hallucinations assez vivides. Tout a commencé lorsqu’elle a perdu sa grande- mère maternelle qui l’a élevé comme une mère (cette dernière étant en prison) et sous peu son partenaire de longue date. Tous deux sont décédés brusquement dans la même année.
« Tout a chamboulé d’un coup » me
Ce petit bonhomme, que je jugeais il y a peine une quinzaine de minutes et dont le teint me poussait à la méfiance, me paraissait maintenant tout impuissant. Il ne s’agit au fait, que d’un père brisé et je m’en veux de l’avoir catégorisé aussi rapidement.
« Ma fille n’est pas folle »,
Je me sens soudain comme un prêtre à qui on confesse ses péchés et pris par surprise ne sait plus quelle prière recommander. Pour lui, elle mérite plus que d’être ainsi marginalisée. « Les gens se moquent de moi aussi », ajoute t- il. « Ils me disent que je devrais prendre ma retraite, que ma fille a 29 ans et que je devrais retourner vivre paisiblement dans ma ville natale et la laisser se débrouiller. Ils ne comprennent pas qu’on abandonne pas sa famille ».
Un père célibataire qui ne compte pour aucune raison renoncer à son rôle, n’est pas une chose des plus courantes. Je suis donc complètement ébahie. Elle est son enfant unique et il va même jusqu’à me dire qu’il préfèrerait perdre sa maison, tous ses biens et ses amis si cela signifiait qu’elle recevrait un traitement empreint de dignité. Il me dit qu’il vit humblement depuis que la santé de sa fille s’est aggravée et me montre comme preuve, son petit téléphone que je reconnais très bien. Il s’agit des téléphones les plus simples et les moins chers qu’on appelle vulgairement chez nous « ede’m peze ».
Perdue dans son histoire et entièrement interloquée je ne fais que hocher la tête pour exprimer ma compréhension. Mon admiration pour ce père augmente autant que ses calamités me peinent. Comme une personne qui lit dans mon regard, il décide de suspendre son récit et m’indique comment il avait su que j’étais une personne respectable et accueillante à première vue.
« Je l’ai vu dans ta posture » me
Je le remercie et soudain je remarque que je devrai bientôt descendre du train. Mon pulse accélère. Je lui demande rapidement l’ adresse de son
Au fil de la conversation, j’avais déduis qu’il était Cubain et quand je le lui ai demandé il me l’a confirmé. Je ne veux pas le laisser comme ça. Peut- être qu’il ne m’a pas parlé juste pour vider son sac mais en quête de support. Un support que je ne suis pas sûre de lui avoir donné.
J’ai envie de lui dire des mots de réconfort dans sa langue natale mais mon cerveau met du temps a constitué la phrase parfaite en cette langue qui n’est quand même pas mienne.
Trop tard, je suis à mon arrêt.
Je me mets debout et le voit faire pareille. Je me tourne vers lui pour être face à face, lui tiens les mains et sans réfléchir lui dis : « Eres un padre
Je pourrais vous en dire long sur les leçons tirées de cette rencontre, mais vous les aurez surement déjà décelées. Il y a d’ailleurs un dicton qui le résume si bien: « Les gens que nous rencontrons sur nos chemins mènent parfois des combats difficiles dont nous ne nous en doutons pas. Il est donc important que nous soyons toujours aimable. »
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