SOCIÉTÉ

Arnold Antonin, le cinéma au service de la mémoire et de la résistance

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Vivant en Haïti, il continue à produire des films portant sur les luttes sociales, l’Histoire et la culture haïtiennes, les droits humains, la condition féminine ainsi que l’environnement

Arnold Antonin, de son vrai nom Celesti Corbanèse, a réalisé jusqu’en 2024 un total de 76 films, incluant des longs métrages, des courts métrages, des fictions et des documentaires.

Vivant en Haïti, il continue à produire des films portant sur les luttes sociales, l’Histoire et la culture haïtiennes, les droits humains, la condition féminine ainsi que l’environnement.

AA lors du tournage de "Les amours d'un zombi"

Arnold Antonin filmant avec Bolex | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

Son dernier film sorti en 2024 intitulé Anténor Firmin, entre l’épée et la plume ou de l’égalité des races humaines, raconte la vie et les engagements de l’anthropologue et homme politique haitien du 19ème siècle. 

« Je continue à croire au potentiel du cinéma comme outil de mémoire, d’éducation et d’expression » confie Antonin à AyiboPost. 

Le natif de Port-au-Prince né en 1942 marque son entrée dans le cinéma avec Ayiti men chimen Libète, considéré comme le premier long métrage haïtien sorti en noir et blanc en 1975, alors qu’il était en exil. 

Ce documentaire de 120 minutes retrace la longue lutte contre l’oppression depuis l’arrivée de Christophe Colomb jusqu’à Jean – Claude Duvalier, en passant par la résistance des Tainos à la victoire de l’armée de libération nationale de Dessalines sur les troupes napoléoniennes en 1804.

En 1974, le cinéaste avait déjà signé son premier court métrage intitulé Duvalier accusé, une œuvre en noir et blanc d’une durée de vingt minutes.

Le natif de Port-au-Prince né en 1942 marque son entrée dans le cinéma avec Ayiti men chimen Libète, considéré comme le premier long métrage haïtien sorti en noir et blanc en 1975

Pourchassé par les membres du régime de Duvalier en raison de ses implications politiques, Celesti Corbanèse adopte le pseudonyme Arnold Antonin afin de se protéger, lui et sa famille.

Après avoir participé à la grève des étudiants déclenchée en 1960, l’une des plus longues des 30 dernières années en Haïti, Arnold Antonin s’est retrouvé sur la liste noire des ennemis du régime dictatorial des Duvalier.

Il quitte alors Haïti en 1961 et s’exile en Italie, où il entame des études universitaires en sciences politiques.

Classe de 6eme année

Classe de 6ᵉ année. | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

En route pour l'Italie-1961

Classe de Philo St.Martial.| ©Archives familiales d’Arnold Antonin

Un an après, il abandonne cette discipline pour s’orienter vers les sciences économiques, où il obtient son diplôme de doctorat en 1971.

Antonin est resté en exil pendant plus de vingt ans avant de retourner en Haïti à la suite du départ de Jean-Claude Duvalier en 1986.

À son retour au pays, il enseigne pendant une dizaine d’années à l’École nationale des Arts (ENARTS) et à la Faculté de Sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti.

D’autres initiatives vont marquer son retour. 

1ere Communion d'Arnold avec sa mere, frere et soeur.

1ʳᵉ Communion d’Arnold avec sa mère, frère et sœur. | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

Il a, par exemple, créé le centre Pétion Bolivar, lancé le forum libre du jeudi – un espace pluraliste de rencontres et débats – et mis en place le réseau national de défense des droits de l’homme (RENADWAM) dans le souci de fédérer les organisations haïtiennes de défense de droits de l’homme.

Bien avant son exil en Italie, Arnold Antonin s’est intéressé au problème de l’éducation et à l’illettrisme qu’il conçoit comme l’un des plus grands défis du pays.

Il considère la création d’une école d’alphabétisation avant son départ comme sa première réalisation significative dans le pays. 

Un élan, d’après lui, qui a été brisé. 

Car, explique-t-il, à l’époque, « un ministre du régime de Duvalier déclarait que l’alphabétisation pourrait endoctriner la population et nourrir des idées révolutionnaires et leur faire perdre le pouvoir ».

Sa route a croisé celle du cinéma dès son plus jeune âge. 

Enfant, il se considérait déjà comme un cinéphile.

« Un jour, j’ai gagné à la loterie. J’ai donné l’argent à ma mère qui m’en a remis une partie. Je me rappelle avoir utilisé cet argent pour aller au cinéma » confie celui dont le père est mort lorsqu’il avait huit ans. 

À l’époque, Port-au-Prince comptait une douzaine de salles de cinéma, dont Rex Théâtre et Anba Tribune.

« Lors de mes vacances à Petite-Rivière de l’Artibonite chez les Paul et Nérard, deux grandes familles de notables dans cette ville, je passais mes soirées à regarder des films en seize millimètres projetés régulièrement dans une salle qui se situait tout près de leurs maisons », poursuit-il.

Cette passion qu’éprouve Antonin pour le cinéma est née de la bande dessinée. Un art qu’il estime souvent sous-estimé en Haïti.

À l’époque, Port-au-Prince comptait une douzaine de salles de cinéma, dont Rex Théâtre et Anba Tribune.

Pour le cinéaste, le cinéma haïtien regorge d’opportunités narratives incroyables. Ce qui, d’après lui, justifie son intérêt à produire des films sur Haïti.

« L’histoire et la réalité du pays offrent des situations cinématographiques uniques. Parfois, je me dis qu’en plaçant une caméra cachée quelque part en Haïti, on pourrait capter des scènes déjà dignes d’un film », dit-il à AyiboPost. 

Selon Antonin, Haïti est traversé par deux grandes folies : une folie destructrice, alimentée par des prédateurs avides d’argent et de pouvoir, et une folie créatrice, portée par l’énergie positive, le talent des Haïtiens.

« Même dans la pauvreté extrême, les Haïtiens parviennent à créer de la beauté. Les sculpteurs de rue en sont un parfait exemple, ils montrent un talent comparable à celui d’artistes formés dans des académies », indique-t-il.

Un autre élément qui a toujours capté son attention, et qui constitue une autre source d’énergie positive, ce sont celles et ceux qu’il appelle « les héros du quotidien ».

Pour le cinéaste, le cinéma haïtien regorge d’opportunités narratives incroyables. Ce qui, d’après lui, justifie son intérêt à produire des films sur Haïti.

« Ces personnes vivent dans des conditions infrahumaines, mais elles ont des projets de vie. Elles aspirent non seulement à vivre dignement, mais souhaitent également que leurs proches vivent mieux. Je me demande souvent où elles trouvent ce courage », explique-t-il.

Cette admiration l’a inspiré à réaliser un film sur deux femmes, deux sœurs casseuses de pierres, une tâche autrefois réservée aux prisonniers condamnés aux travaux forcés.

Ce court-métrage de dix-sept minutes intitulé Courage de femme, réalisé en 2000, raconte leur histoire et met en lumière leur lutte quotidienne pour survivre dans le pays.

Pour Antonin, le cinéma doit être vu comme un outil de mémoire et de transformation.

Il cite en exemple deux de ses films, La sculpture peut-elle sauver le Village de Noailles ? sorti en 2009.  Après la sortie duquel les artisans de ce village artistique ont pu trouver des financements pour reconstituer leurs ateliers.

Ces derniers, situés à la Croix des Bouquets, ont été détruits par les bandits armés en 2022.

Le cinéma doit être vu comme un outil de mémoire et de transformation.

Un autre long métrage intitulé Le Président a-t-il le SIDA ? sorti en 2006, a eu un effet immédiat et a contribué dans la lutte contre le VIH/SIDA en Haïti.

Ce film a reçu le prix du meilleur long métrage de la diaspora haïtienne au plus grand festival du cinéma d’Afrique en 2007.

Antonin continue de supporter des causes qu’il estime importantes en Haïti. 

Tournant a bord d'un hélicoptère.

Arnold Antonin qui tourne un film à bord d’un hélicoptère. | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

Avec son documentaire intitulé Ainsi parla la mer, sorti en 2020, il traite des richesses de l’environnement en Haïti en rappelant la nécessité de refonder les relations entre les Haïtiens et la mer.

Tournant a bord d'un hélicoptère.

Arnold Antonin qui tourne un film à bord d’un hélicoptère. | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

Avec ce documentaire, le cinéaste reçoit en 2022 le prix latino-américain du meilleur moyen métrage à la 16ᵉ édition du Festival des droits humains de Sucre, en Bolivie.

Le 17 septembre 2024, Arnold Antonin recueille plus d’une trentaine de signatures d’historiens, d’anthropologues, des acteurs de cinéma, dont Jimmy Jean-Louis, et du chercheur Laënnec Hurbon autour du Manifeste pour l’Environnement et le bien commun.

Dans ce document de six pages obtenu par AyiboPost, les signataires appellent à un engagement constructif, pacifique et démocratique pour structurer la vie collective et sociale, guider vers des résultats concrets pour l’ensemble de la population.

le cinéaste reçoit en 2022 le prix latino-américain du meilleur moyen métrage à la 16ᵉ édition du Festival des droits humains de Sucre, en Bolivie.

« L’audiovisuel, en général, les images en mouvement, le son, demeurent un puissant outil de transmission de connaissances et de valeurs » explique Antonin. 

Cependant, il reste conscient des impacts ambivalents du cinéma.

« Le cinéma peut transmettre autant de bonnes valeurs que de mauvaises » admet-il.

En dépit de ses productions, Arnold Antonin est conscient des défis liés au développement du cinéma haïtien.

« Produire des films en Haïti avec de faibles budgets relève de l’exploit » reconnaît le cinéaste.

« Mes productions dont le budget a été le plus élevé sont Le Président a-t-il le SIDA ?, financé par l’Union européenne et le Canada, Les Amours d’un zombi – financé à 75 000 dollars-et Ainsi parla la mer, financé par ONU Environnement » explique-t-il. 

La plupart de ses films sont réalisés avec des budgets de seulement 10 000 à 20 000 dollars.

« Bien loin des standards de pays voisins comme la République dominicaine dont le budget minimum pour un documentaire de 52 minutes est de 350 000 dollars » explique le cinéaste à AyiboPost.

Les défis pour financer les projets cinématographiques dans le pays persistent. 

« Lorsque je compte sur des financements d’organisations, le processus devient très long. Il faut parfois attendre quatre ou cinq ans avant de terminer un projet. Or, Haïti a besoin de films en permanence » explique Antonin à AyiboPost. 

« Quant aux financeurs, poursuit-il, ils investissent seulement si cela est rentable. Or, aujourd’hui, il n’existe pas de salle de cinéma en Haïti malgré l’engouement des Haïtiens pour leur cinéma ». 

En 2008, Arnold Antonin prend les commandes de l’Association de Lutte contre le Kidnapping (LUNAK), qui plaide contre ce phénomène croissant à l’époque. À travers des protestations publiques, LUNAK a poussé l’État et les forces de sécurité à agir.

Mais en juin 2022, sa femme, Béatrice, une architecte, est enlevée à son domicile à Thomassin et libérée par la suite contre rançon.

Malgré ces défis, Arnold Antonin reste convaincu qu’il faut recréer en Haïti une culture de l’esprit et former une nouvelle génération capable d’agir pour changer le pays.

« J’ai voyagé dans plusieurs pays, mais Haïti est le seul pays où je me sens à l’aise. J’aime mon pays et j’aime vivre avec les haïtiens. Je reste ici parce que je veux rester solidaire à ceux qui sont partis et qui ont sacrifié leur vie pour nous », conclut Antonin à AyiboPost.

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Image de couverture : Arnold Antonin | ©Archives familiales d’Arnold Antonin

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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