Quelque croyant que l’on puisse être, l’évidence nous force à admettre que l’homme, dans un mouvement de projection de sa personne, crée souvent son Dieu à son image. Dès lors, on comprend pourquoi certaines divinités antiques et contemporaines sont rancunières, méchantes, djihadistes ou intolérantes. Le placement de ses travers dans une transcendance semble conforter l’homme dans son incongruité quand ce n’est sa bestiale cruauté.
Néanmoins, Dieu n’est nullement toujours décrit en haineux ou en vieux monsieur (blanc) à barbe blanche éternellement grincheux. Sa sculpture, au moins parmi les grands ensembles monothéistes de notre époque, nourrit l’imagination des magnificences d’un personnage tout puissant, omniscient incarnant lui-même la connaissance, l’intelligence et la sagesse.
C’est en ce sens que l’expression « Vox Populi, Vox Dei » prend toute sa valeur. « La voix du peuple est la voix de Dieu » n’est qu’une façon de signifier d’abord, la volonté souveraine du peuple qui ne peut souffrir d’aucune remise en question. Ensuite, la foi en l’intelligence collective qui toujours ferait « librement » les meilleurs choix par rapport à ses intérêts. Se niche dans ces conceptions, deux piliers fondamentaux de la démocratie contemporaine.
Ainsi, quand le peuple s’exprime à travers les urnes et que son propos est travesti ou pire, quand on se risque à critiquer sa légitimité à choisir en insinuant subrepticement qu’il serait moins intelligent ou inapte à connaitre ses intérêts, on glisse doucement sur des registres qui augurent la tyrannie et le totalitarisme.
Cependant, la voix du peuple n’est pas toujours la voix de Dieu. Encore moins en Haïti où, depuis 1987, on dénonce régulièrement les ingérences de la communauté internationale dans les affaires régaliennes du pays quand ce n’est pas les candidats eux-mêmes qui s’organisent pour bourrer impunément les urnes et prendre d’assaut les postes électifs.
Structurellement, l’analphabétisme et la misère sont les deux pires ennemis de la démocratie. Avec plus de 50 % d’illettrés et le gros de la population vivant sous le seuil de la pauvreté, penser qu’on puisse nécessairement côtoyer une majorité pleinement consciente du pouvoir de son vote et de l’enjeu que représente les élections apparaît plus comme une chimère éthylique qu’une analyse pétrie de rationalité.
De plus, comment avoir des suffrages qui ne soient pas qu’un rituel destiné à miroiter une relative stabilité quand le taux de participation de l’électorat dépasse à peine les 15 %, quand des candidats achètent des voix à coup de 1000 gourdes et que les prétendants porteurs d’un projet de société sont des exceptions à la règle de l’incompétence ?
Dans ces conditions, il est douloureusement aisé de constater que le vote cesse d’être la voix de la multitude au sens strict du terme. Les mugissements qu’on entend sont plutôt les avant-coureurs funestes qui sonnent le glas de la jeune démocratie en déversant du venin dans la coupe de l’aspiration du peuple à une vie meilleure.
Que faire ?
D’abord, ne pas céder aux trompettes du défaitisme qui fredonnent les airs nostalgiques de la dictature passée. Agir sur l’accès de la majorité à une éducation haïtienne — conçue avec intelligence pour Haïti —, congédier la culture des contre-valeurs et des raccourcis, construire notre appareil sécuritaire, développer une économie durable qui ne profiterait pas qu’aux riches et, de là, reconquérir notre indépendance. Promouvoir l’exemplarité, le respect des lois, de la dignité du citoyen et l’État de droit… Redonner aux gens qui forgent leurs destins dans la noblesse du savoir leurs légitimités tout en bannissant l’autodafé réel et symbolique de la science : voilà partiellement les quelques tâches qui incomberont au prochain gouvernement.
Ce serait substituer nos fantasmes « rosés » à l’âpreté de la réalité que d’échelonner un tel ouvrage sur un mandat de cinq ans. Cependant, après les fureurs de la tempête, l’infortuné peut bien se satisfaire d’une bonne couche chaude et de l’éclaircissement évident et assuré de l’horizon.
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