Des négociations échouées avec les gangs expliquent le drame survenu à l’hôpital général en décembre dernier, selon des sources au courant des événements
Incapables de sécuriser le pays, les autorités haïtiennes font de plus en plus recours aux gangs pour obtenir la permission afin d’accéder aux zones sous leur contrôle.
Cette dépendance aux bandits vient avec un coût : les criminels exigent des montants exorbitants et n’hésitent pas à faire des massacres lorsqu’ils sont insatisfaits.
Une illustration de ce problème remonte à décembre, lors de la dernière tentative du Ministère de la Sante Publique et de la Population de rouvrir le plus important centre hospitalier du pays, l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti.
Les gangs ont à l’époque ouvert le feu sur les journalistes qui attendaient les autorités. Deux d’entre eux ainsi qu’un policier de passage dans une rue à côté de l’hôpital ont été tués sur le champ. Sept autres travailleurs de la presse sont sortis blessés.
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D’après deux sources au courant des démarches contactées par AyiboPost et Forbidden Stories, ce sont des négociations inabouties avec le regroupement de gangs de la coalition Viv Ansanm qui expliquent le drame.
Les enquêteurs de la Direction centrale de la police judiciaire explorent plusieurs pistes, apprend AyiboPost. Une d’entre elles suggère l’implication d’un ancien conseiller du président Jovenel Moïse, d’une politicienne connue pour son rapport étroit avec les gangs, Magalie Habitant, ainsi que Rosemila Petit-Frère Sainvil, ancienne mairesse de l’Arcahaie.
L’ancien conseiller inculpé dans l’assassinat de Moïse n’a pas répondu aux demandes de commentaires.
Des agents de la DCPJ ont arrêté Habitant en janvier pour association de malfaiteurs et financement de gangs armés.
Habitant avait facilité une visite du premier ministre Garry Conille et du conseiller présidentiel Louis Gérald Gilles à l’HUEH le 9 juillet 2024. Gilles a confirmé pour AyiboPost la présence de l’ancienne directrice du Service national de gestion des résidus solides (SNGRS) sur les lieux.
Le 29 juillet, les bandits ont ouvert le feu sur l’HUEH en marge d’une deuxième visite du premier ministre Garry Conille avec des journalistes étrangers.
Cette fois, Habitant n’était pas présente.
Selon Louis Gérald Gilles, Magalie Habitant avait exprimé avant la deuxième visite le souhait de reprendre la direction du SNGRS, qu’elle avait dirigée jusqu’en 2017. Cette demande n’a pas été agréée par une partie du Conseil présidentiel de la transition.
Il n’est pas clair si les deux événements sont liés. L’avocat d’Habitant n’a pas donné suite aux demandes d’interviews.
Jointe par AyiboPost, l’ancienne mairesse de l’Arcahaie, Rosemila Petit-Frère Sainvil, nie toute implication dans d’éventuelles négociations avec les gangs pour rouvrir l’HUEH – incendié par les gangs en février dernier.
Sainvil admet cependant son implication dans la réouverture de l’hôpital Chancerelles de Cité-Soleil. Une réouverture faite après négociations avec les gangs, selon une enquête d’AyiboPost.
Le jour de la réouverture en décembre dernier, le titulaire du MSPP d’alors, Duckenson Lorthe Blema, avait invité un proche de Sainvil à l’accompagner.
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« Comme je dirige un média, j’avais demandé à cette personne d’envoyer quelqu’un vérifier si la zone était sûre », confirme à AyiboPost l’ancienne mairesse de l’Arcahaie.
Dans une vidéo publiée quelques heures après l’incident à l’HUEH, le chef de gang de Village de Dieu, Johnson André, alias Izo, a revendiqué l’attaque pour « Viv Ansanm ».
L’ancien ministre, Blema, a été renvoyé du gouvernement après l’incident.
Blema soutient avoir envoyé des correspondances aux membres du gouvernement, au ministre de la Défense, au ministre de la Justice ainsi qu’au directeur de la Police nationale d’Haïti avant la tentative d’inauguration. AyiboPost n’a trouvé aucune correspondance répondant de ces institutions.
Blema ne s’est pas présentée à une invitation de la DCPJ pour répondre à des questions autour de l’incident. Sa maison a été perquisitionnée à Delmas dans le cadre de cette affaire, selon une source au courant de l’enquête.
Le conseiller présidentiel, également médecin, Gilles, évoque des défaillances dans le dispositif de sécurité – inexistant selon des témoins – entourant l’incident.
« D’autres personnes auraient dû [démissionner], rajoute le conseiller. La responsabilité de l’incident survenu à l’hôpital général devrait être partagée, car [Blema] n’était pas le seul concerné. »
Une commission de suivi mise en place sous l’initiative du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Patrick Pélissier, a permis à trois des journalistes blessés d’aller se faire soigner à Cuba en janvier 2025.
Certains journalistes hospitalisés à Cuba déclarent avoir reçu une compensation de 500 000 gourdes. Le journaliste Reginald Balthazar, hospitalisé en Haïti, avait reçu pour sa part une 300 000 gourdes.
Cependant, le montant destiné aux victimes ayant subi des blessures moins graves reste en cours de discussion près de neuf mois après.
Joint par AyiboPost, Me Samuel Madistin, président de la Fondasyon Je Klere, appelle l’État à prendre sa « responsabilité » dans le drame.
« Non seulement l’État n’a pas empêché les assassins d’agir, mais il n’a pas procédé à l’arrestation des auteurs des actes infractionnels aux fins de poursuite judiciaire et de sanctions exemplaires, déclare le défenseur des droits humains. La responsabilité de l’État, dit-il, est doublement engagée ».
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Il était déjà 10 heures le jour du drame.
Une quinzaine de journalistes attendaient l’arrivée de la délégation du ministère de la Santé publique. Une salle était bien préparée pour l’occasion.
Les gangs étaient aussi sur place.
Non seulement l’État n’a pas empêché les assassins d’agir, mais il n’a pas procédé à l’arrestation des auteurs des actes infractionnels aux fins de poursuite judiciaire et de sanctions exemplaires, déclare le défenseur des droits humains. La responsabilité de l’État
–Me Samuel Madistin
Arnold Pierre, un journaliste présent le jour de l’événement, rapporte à AyiboPost avoir remarqué la présence de bandits armés dans l’enceinte même de l’hôpital.
Aucun dispositif de sécurité mis en place spécifiquement pour la réouverture n’a été remarqué, selon deux témoins.
Puis, deux policiers de la Brigade d’intervention du commissariat de Port-au-Prince arrivent soudainement à l’hôpital dans un pick-up Toyota Land Cruiser sans plaque et sans portes. Ils ne portaient pas de cagoules et ont reconnu certains des journalistes.
Des tirs dignes d’un champ de guerre éclatent vers onze heures du matin, peu après l’arrivée des policiers, pour ne cesser qu’aux alentours de treize heures. Les bandits assassinent un des policiers.
Selon l’ancien ministre de la Santé, Dr Duckenson Lorthe Blema, son projet a été « boycotté par les membres du gouvernement ».
« Je suis un homme d’État. Je ne peux pas révéler les secrets d’État, poursuit Blema. Ce sont des lâches tout simplement. J’ai fait ce qui me semblait nécessaire ».
Les bandits sont revenus mettre le feu à l’HUEH plusieurs semaines après.
Ce centre hospitalier, le plus important du pays, accueille régulièrement les citoyens les plus démunis et joue un rôle clé dans la formation des élèves médecins.
L’Agence française de développement (AFD) a alloué un montant de 80 000 euros à l’évaluation des dégâts, selon une note envoyée à AyiboPost par l’ambassade de France le 22 février 2025.
Une firme d’experts avait été mobilisée pour mener à bien cet audit, poursuit la note. Mais, en raison de l’insécurité, cette mission n’a pas été en mesure de se rendre en Haïti.
Par : Fenel Pélissier
La photo de couverture montre une pièce d’hôpital, une femme est allongée sur un lit, un homme, debout à ses côtés. Source : MINUSTAH
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