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Lyonel Trouillot | Titanik 16, un roman à lire

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Il y a ce jeu entre la mémoire et le présent. Ces personnages qui sortent du vécu d’avant, tel pasteur, une vieille grand-mère, et ces personnages condamnés au surplace à l’intérieur de Titanic 16

Déjà, il y a le cadre et la thématique. Ces oubliés qui pourrissent au Pénitencier ou dans d’autres prisons. Pour des raisons diverses. Les uns, auteurs de vrais crimes. D’autres que la mauvaise fortune, les exactions de quelque puissant, l’univers de corruption et les défaillances du système judiciaire ont jeté là.

Tiga, devenu Djwama (la prison te change jusqu’à ton nom) à rendez-vous avec son journal. Il écrit. Puis, il brûle. Recommence à écrire. Brûle de nouveau. Il écrit pour brûler. Le temps. Les mots. Les réflexions qui l’assaillent. Sa vie qu’il revisite. « Plizyè fwa m pase lavi m okrib. Vannen l. Triye chak ti kwen tankou yon teritwa mwen fenk dekouvri.”

Il y a sa mère, il y a aussi Bèlin, celle qu’il aime. Ses jeux d’enfants, ces chansons et comptines dont il se souvient. Il y a la vie dans la prison, dans ce qui semble être à la fois une cellule et un quartier, Titanik 16. La nourriture pourrie. La merde qui sort des tripes, de la bouche. Les conflits. Les petits commerces. Les visites au dispensaire. Les morts aussi.

Une grande partie du roman, ce sont des anecdotes qui alimentent le journal et qui peuvent faire rire et pleurer. Tout est tragique et rien ne l’est. Puisque tu es dans un lieu perdu, donc perdu toi-même, et tel ne te rendra pas l’argent qu’il te doit, tel autre te prendra pour un homosexuel et te dira qu’il a assez de soucis comme ça et ne souhaite pas avoir à veiller sur ses fesses, tel autre se mettre à pleurer, gerber, comme s’il attendait de toi que tu le consoles. Et bien sûr, il y a le pouvoir, le majò prison servant de go between, les gardes, les agents de l’APNA… Il y a même, à la toute fin du roman, comme trois cent pages trop tard, la visite d’un ministre de la Justice qui ne débouche sur rien.

Il y a ce jeu entre la mémoire et le présent. Ces personnages qui sortent du vécu d’avant, tel pasteur, une vieille grand-mère, et ces personnages condamnés au surplace à l’intérieur de Titanic 16. De multiples intériorités, celles du dehors n’étant plus libres que de leurs mouvements.

La révolte de Djwama, sa confidence à son journal, c’est sa réclamation de ce que le Pénitencier lui a pris. « Penitansye se yon machin k ap vomi depaman ». Il ne veut pas être depaman, dépareillé de lui-même. C’est le roman de l’impossible reconstitution d’un soi volé par l’injustice, d’une incarcération sur fond d’illégalité, dans des conditions abominables.

Et puis, il y a, ce qui appartient vraiment à la littérature, la langue pour dire cela. Pour construire l’intériorité du narrateur, les éléments de la fiction. Précise. Serrée. La seule réserve. Parfois des répétitions, comme si le texte doutait de la capacité du lecteur de comprendre dès la première fois.

On est loin du tout voum se do, du n’importe quoi qui ne sert pas la littérature en créole. Le refus de la facilité. Ce n’est ni parce qu’on est pauvre, ni parce qu’on est en prison, ni parce qu’on donne la parole à des gens comme ça que l’on doit oublier d’écrire. Déjà que ce sont des gens dont on parle peu dans la réalité. Des gens dont on oublie la réalité. C’est un double hommage que leur rend Titanic 16. Parler de leur réalité. Dans une langue d’une grande qualité.

Titanic 16, woman, Litainé Laguerre, edisyon Pwotra, 2025

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Couverture | Photo de couverture du roman Titanic 16, du poète Litainé Laguerre. Photo : page Facebook PotraÉditions

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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