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Lyonel Trouillot | Réflexion, que tu nous manques

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On connaît les méfaits des dogmatismes et de la carence de la pensée qui n’interroge pas ses conditions d’applicabilité -, on peut songer au temps quand le jeune « intellectuel » prenait le soin de définir le cadre de sa pensée, la théorie, voire même l’idéologie au nom de quoi ou à partir de quoi il prenait la parole

Il est sans doute des gens qui croient qu’on ne devrait parler que de la conjoncture. J’entends leur propos, on ne peut, si l’on garde en soi un minimum d’humanisme, faire silence sur les assassinés et les déportés, les crève-la-faim, et les politiques dont on ne voit pas les bienfaits. La posture de l’intellectuel pratiquant l’évitement sur les actualités meurtrières peut faire de lui un bavard que nul ne prend trop au sérieux, un monsieur « bèl pale » dont les mots ne touchent pas aux choses.

Mais le réel et l’intelligence du réel ne se limitent pas aux réalités les plus dures du moment. Ces réalités sont d’ailleurs en lien avec beaucoup d’autres éléments, avec l’ensemble des rapports sociaux.

Il n’y a donc pas de sujet à éviter quant aux mille dimensions et aspects du social. C’est aussi parce qu’on a évité de parler de choses, plus exactement de rapports, qui ne renvoient pas directement à la situation politique ou sécuritaire, que celle-ci est parvenue à nous tomber dessus comme la pire des surprises.

Parler donc. Et de tout. Débattre. Cela se fait, et c’est heureux. Cela ne se fait pas toujours avec des discours de qualité. Mais la qualité… Il suffit de suivre la campagne présidentielle américaine ou d’écouter « de grands médias » occidentaux pour se rendre compte du flot de bêtises que l’on déverse de par le monde.

Mais le réel et l’intelligence du réel ne se limitent pas aux réalités les plus dures du moment.

Ce qui me frappe ici (cela existe aussi ailleurs, mais je suis moins préoccupé par l’ailleurs), c’est que des jeunes parlent. Pas assez nombreux cependant.

Ce qui fait que ceux qui parlent s’érigent en porte-parole.

Surtout que chez ceux qui parlent, on peut noter souvent une absence de cadre théorique, de principe fondateur d’où partirait la parole. C’est un « je parle » qui ne ressent pas le besoin d’un support, d’une rampe. Marxisme, connais pas. Durkheim, connais pas. Fanon, connais pas. « Je parle ». Amin, connais pas. Said, connais pas. Alexis, connais pas. Jean-Luc, connais pas.

La posture de l’intellectuel pratiquant l’évitement sur les actualités meurtrières peut faire de lui un bavard que nul ne prend trop au sérieux.

Sans verser dans le passéisme – on connaît les méfaits des dogmatismes et de la carence de la pensée qui n’interroge pas ses conditions d’applicabilité -, on peut songer au temps quand le jeune « intellectuel » prenait le soin de définir le cadre de sa pensée, la théorie, voire même l’idéologie au nom de quoi ou à partir de quoi il prenait la parole.

Altermondialisme, marxisme orthodoxe, personnalisme chrétien, constitution de cadres endogènes… Il suffit de revisiter les périodiques haïtiens pour vérifier que La Ruche n’est pas Rond-Point, ou de croiser les positions de Firmin et de Janvier, tous deux lancés très jeunes dans la bataille d’idées, pour voir qu’il n’y a pas entre eux que la différence d’âge de cinq ans, mais des cadres conceptuels qui ne se rejoignent pas toujours.

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Le droit à l’expression, conquête démocratique, s’accompagne du vice de l’expression qui ne se manifeste que comme droit, sans se donner d’autre repère qu’elle-même. Le farfelu qui faisait rire autrefois parce qu’il s’opposait à la parole de l’autre avant même qu’elle soit formulée est devenu un personnage qui n’a plus rien d’exceptionnel.

Le pire, c’est que sévit aussi un dogmatisme de premier cycle. On jure par les quelques cours qu’on a suivis. On a la conviction du disciple. Et fort de son droit à l’expression et des rudiments convertis en dogme, on devient soi-même la vérité et la vie.

L’un des problèmes ici, souvent ça pérore plus que ça ne pense, ça s’étale plus que ça n’apprend. Il faudra toujours y revenir, et on touche là à une nécessité concrète : le devoir pour les formations politiques, les institutions d’enseignement, les regroupements de la société civile d’aider à la multiplication et au libre fonctionnement de cercles de discussion et de production intellectuelle.

Par Lyonel Trouillot

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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