Étrange que les grands demandeurs d’unité de ce jour n’y aient pas pensé un peu plus tôt
Dans certaines bouches et certains milieux sociaux, le mot «unité» n’a jamais été aussi à la mode. Étrange que les grands demandeurs d’unité de ce jour n’y aient pas pensé un peu plus tôt. Ou plutôt dommage qu’ils oublient que c’est leur divine unité qui a conduit ce pays à la catastrophe politique qu’il subit aujourd’hui et la majeure partie de la population à une misère abjecte.
Parlons-en de l’unité. Sous forme d’endogamie au sein de la traditionnelle classe des affaires pour la concentration du capital. Unité entre cette même classe des affaires, les nouveaux riches et les pouvoirs politiques, de la dictature des Duvalier à sa reproduction en dégradé avec le règne PHTK. Unité entre ce monde des affaires, le pouvoir PHTK pour demander la venue de forces d’intervention étrangères. Unité entre ce monde des affaires et le pouvoir PHTK contre l’appel au changement venant des masses populaires et des secteurs progressistes. Unité entre ce monde des affaires et le pouvoir PHTK pour intervenir auprès de la «communauté internationale» pour contrecarrer, moquer et minimiser toutes les propositions haïtiennes.
Dans certaines bouches et certains milieux sociaux, le mot «unité» n’a jamais été aussi à la mode.
L’unité, cela fait longtemps qu’elle existe et que le peuple en fait les frais. Voudrait-on que les victimes s’alignent en rangées de moutons pour cosigner avec les bénéficiaires la perpétuité d’une unité immorale et meurtrière !
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Facile de faire semblant d’oublier que nos malheurs viennent de structures sociales produisant et reproduisant trop d’inégalités et d’exclusions, lesquelles structures et pratiques sociales s’appuient sur des pouvoirs dictatoriaux ou n’étant que des parodies de démocratie formelle. Facile de tenir des discours moralisateurs sous lesquels on perçoit la perfidie du ricanement : «nous sommes tous frères, nous avons besoin de paix.» – Et la justice ? Et la lutte contre la corruption et les crimes de sang ? Et la transformation des rapports sociaux ? Et un pouvoir de transition susceptible d’organiser de véritables élections ? – «Ah, ne parlons pas de ces choses. Ce sont des choses qui divisent. » Donc, oublions, au nom d’intérêts particuliers les intérêts de la nation, et nous serons un peuple uni !
L’unité, cela fait longtemps qu’elle existe et que le peuple en fait les frais.
Justement, c’est autour de ces choses qu’on nous demande d’oublier que se forge difficilement, mais de manière inévitable, une unité entre les secteurs progressistes de la société haïtienne. C’est d’ailleurs en faisant semblant de participer à cette unité que tel secteur qui se disait populaire ou tel parti qui ne fusionne plus que des intérêts privés s’étaient construit un brin de légitimé qu’ils ont vite perdu en faisant «unité» avec le pouvoir de facto.
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Dans un travail de recherche sur la littérature haïtienne, j’avais noté l’entrée tardive de la rime «liberté – égalité» dans la poésie. Liberté au sens de la préservation de la souveraineté de l’État, on en parlait beaucoup au XIXe siècle, mais pendant longtemps aucun mot sur les conditions de vie, sur l’organisation de la vie. Aujourd’hui on ne parle même plus de la liberté dans le sens de la souveraineté. Même le pacte odieux de la liberté pour toi d’être pauvre et pour moi d’être riche de ta pauvreté proposé au peuple sous les couleurs du drapeau national semble trop coûteux aux tenants des pouvoirs économiques. Ils veulent une unité au nom de Rien, autour de Rien, sinon autour d’une paix leur permettant de jouir confortablement de leurs privilèges.
Ah, quel prêche ! De telle dame qui est allée y perdre sa vieillesse aux associations patronales, la proposition concrète autour de ce désir soudain d’unité, c’est de s’unir avec le pouvoir de facto. Un tel prêche ne convainc que ses prédicateurs. Quel Haïtien ne sait pas quel sort attend Bouqui chaque fois que Malice lui parle d’unité !
Par Lyonel Trouillot
Photo de couverture : Le Premier ministre de facto Ariel Henry | © CNN
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