Après avoir raté deux invitations et quitté le pays, le magistrat s’est entretenu avec le Conseil Supérieur du pouvoir judiciaire à la fin du mois de février
Il avait ignoré deux invitations du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire en janvier. Puis, c’est au pays qu’il tournait le dos pour une destination non rendue publique. Pas définitivement, cependant. Puisque Garry Orélien, ancien magistrat en charge de l’enquête sur l’assassinat spectaculaire de Jovenel Moïse, a finalement décidé de répondre aux interrogations des enquêteurs du CSPJ le 25 février dernier.
Un entrepreneur, un ancien secrétaire d’État à l’alphabétisation sous Jovenel Moïse et la dénonciation détaillée d’un organisme de défense des droits de l’homme accusent le juge de corruption, d’abus de pouvoir et d’instrumentalisation de l’enquête afin d’en soutirer des avantages financiers.
Garry Orélien nie catégoriquement les allégations. Néanmoins, sa non-coopération n’a en rien entamé la détermination de ses accusateurs. « L’enquête est très avancée », révèle à AyiboPost une source bien au courant des négociations. « Le CSPJ a récolté beaucoup d’informations lors des auditions. »
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Entretemps, l’instruction sur la mort de l’ancien président Jovenel Moïse semble vouloir se reprendre. Elle vient d’être remise au juge Merlan Delabre, vendredi 4 mars dernier, après la décision du doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince, d’écarter Garry Orélien de l’affaire mi-janvier 2022, en marge de la médiatisation des suspicions de corruption.
« Belabre est un juge compétent, déclare Pierre Esperance, du Réseau national de défense des droits humains. Nous espérons qu’il va mener l’instruction dans la sérénité, dans le respect du droit à la vérité de la société, et de la nécessité pour la famille de la victime de trouver justice, et aussi dans le respect des gens qui se trouvent en prison et qui doivent connaitre leur sort dans un délai raisonnable. »
Merlan Belabre est le quatrième juge en charge de l’enquête hautement explosif sur l’assassinat de l’ancien président, après Garry Orélien, Mathieu Chanlatte et Chavannes Étienne.
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Des personnalités politiques et organisations de la société civile accusent le Premier ministre, Ariel Henry, de manquer de volonté pour l’aboutissement de l’investigation. Le nom du chef du gouvernement se trouve cité pour ses relations avec Joseph Félix Badio, un des individus présentés par plusieurs rapports comme un des leaders de l’assassinat.
Ariel Henry a renvoyé en septembre dernier de l’administration publique deux officiels qui tentaient d’obtenir son audition formelle dans le cadre de ce dossier. Le Premier ministre de fait, qui dirige le pays dans le flou légal depuis le 7 février 2022, a nié par le passé toute implication dans le meurtre du chef de l’État.
Le juge Bernard Saint-Vil indique au journal Le Nouvelliste avoir déjà réalisé des réunions avec le Premier ministre, le ministre de la Justice, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) « pour faire de ce dossier une priorité pour le moment. »
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Selon le doyen, les juges qui enquêtent sur l’assassinat de Jovenel Moïse et du bâtonnier Monferrier Dorval auront les moyens matériels dont ils ont besoin pour mener à bien leur travail.
Une enquête d’AyiboPost avait révélé le 6 février 2022 les artifices utilisés par le greffier du magistrat Garry Orélien, Élysée Cadet, pour obtenir une voiture d’une des personnes mise en cause dans l’enquête sur la mort de l’ancien président, Jovenel Moïse.
Des échanges WhatsApp et un enregistrement sonore obtenus démontrent comment l’auxiliaire de la justice avait tenté d’utiliser l’investigation pour pressurer Oly Damus, copropriétaire d’une compagnie ayant loué quatre voitures à un des présumés assassins, pour l’acquisition d’un véhicule. Il offrait en échange l’annulation d’une interdiction de départ émise contre l’entrepreneur. Le greffier affirmait agir avec l’aval de Garry Orélien, selon une dénonciation du RNDDH déposée au CSPJ et dont AyiboPost a obtenu copie.
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Garry Orélien avait demandé un nouvel assistant, après la médiatisation du scandale. Oly Damus dépose lui une plainte formelle au CSPJ le 24 janvier 2022.
Le 3 février, le greffier devait être auditionné au ministère de la Justice, pour répondre des accusations d’Oly Damus. À date, aucune décision n’a encore été communiquée par le ministère de la Justice sur son avenir dans le système.
Par ailleurs, Hervé Saintilus, ancien secrétaire d’État à l’alphabétisation sous Jovenel Moïse, a déposé une plainte formelle au CSPJ contre les agissements peu éthiques attribués au magistrat, Garry Orélien.
Dans sa lettre de dénonciation, le RNDDH évoque des tentatives d’extorsions et des demandes de versement de « cinquante mille dollars américains, pour l’annulation de mandats d’amener », émises par le juge. Selon l’organisation, Garry Orélien aurait reçu deux millions de gourdes pour la levée d’une interdiction de départ émise à l’encontre d’une personnalité dont le nom a été cité pour s’être entretenue avec l’un des individus indexés dans l’assassinat.
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Un ancien directeur général de la PNH a versé deux millions de gourdes au magistrat pour être auditionné par ce dernier, selon le RNDDH. Léon Charles dirigeait la police nationale à la date de l’assassinat de Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021.
Garry Orélien a libéré quatre policiers dans le cadre du dossier. Au moins un d’entre eux aurait versé 25 000 dollars américains au magistrat, d’après les informations de l’organisme de défense des droits humains qui exige une enquête « approfondie de [la] cellule d’inspection judiciaire » du CSPJ.
Après investigations, les enquêteurs du CSPJ finaliseront leur rapport. Si les faits attribués au juge sont avérés, il risque la révocation.
Une quarantaine de suspects ont été appréhendés par les autorités, après l’assassinat de Jovenel Moïse. Quatre d’entre eux ont été libérés par Garry Orélien. Un autre est mort dans des circonstances troublantes, alors que trois autres, arrêtés à l’étranger, sont hors de portée de la justice haïtienne.
Image de couverture : Juge Garry Orélien. Facebook
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