L’État devrait avoir des bureaux gratuits d’assistance légale dans chaque juridiction. À date, ces bureaux n’existent pas
82 % des détenus en Haïti sont en attente de jugement, révèle le dernier rapport du Réseau national de la défense des droits humains (RNDDH), paru le 3 février 2022.
Ce chiffre traduit en grande partie l’incapacité financière des détenus, majoritairement issus des classes défavorisées, de se payer les services d’un avocat. À cause de l’absence d’un homme de loi pour le suivi de leur dossier, aucun tribunal n’a encore statué sur leur cas.
C’est ce que reconnaît Me Fernier Michel, responsable de la pole détention préventive au sein du Bureau des droits humains en Haïti (BDHH). Selon lui, beaucoup de détenus sont encore en prison pour des infractions légères, à cause de leurs faibles moyens économiques.
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Mais ce ne sont pas seulement les frais parfois exorbitants réclamés par les robes noires qui compliquent le sort des détenus. Il y a aussi les frais judiciaires imposés par la loi pour l’obtention de certains documents de justice. Ces frais sont généralement révisés à la hausse par les huissiers et greffiers, à cause de la corruption qui gangrène le système judiciaire.
En matière pénale, un inculpé doit être assisté par au moins un avocat après son arrestation, selon Taffnick Thélus, conseiller juridique et responsable de la section accès à la justice à l’organisation Avocats sans frontières.
Ainsi, après leur arrestation, certains détenus engagent des avocats. Mais, si la procédure traîne, ces prisonniers n’arrivent plus à supporter les frais demandés par les hommes de loi.
« La plupart d’entre eux sont ruinés économiquement à cause de cela. D’autres n’avaient même pas eu les moyens d’embaucher un avocat », déplore Ferniel Michel.
Puisqu’ils ne peuvent ni se payer un avocat, ni s’acquitter des frais judiciaires imposés par des acteurs corrompus dans le système, des détenus affrontent la détention préventive prolongée.
La loi de 1977 sur l’exercice de la profession d’avocat en Haïti impose un barème pour la réclamation des honoraires pour les consultations juridiques. Mais cette loi désuète ne couvre pas les affaires pénales.
« Elle fixe les barèmes pour les affaires civiles comme les revendications des droits de propriété, de déblocage de fonds, etc. À ce stade, il revient au barreau de vérifier que l’avocat respecte le barème exigé par la loi », fait savoir Me Samuel Madistin.
Cela dit, les avocats fixent librement leurs honoraires. « Si les parents d’un détenu portent plainte pour les frais exorbitants réclamés par un avocat, le barreau peut seulement leur conseiller d’en choisir un autre », souligne Madistin, qui croit que la loi devrait être amendée pour mettre fin à ce problème.
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Les tarifs judiciaires sont un autre cause de soucis pour les détenus. Ils sont certes prévus par la loi, mais les acteurs du système judiciaire les révisent à la hausse.
« Les frais réclamés aux justiciables pour l’obtention de certains documents ne sont guère respectés par les greffiers et les huissiers. Le prix des certificats, ordonnances, etc. est élevé alors qu’il ne devrait pas dépasser 500 gourdes », explique Me Samuel Madistin.
Par exemple, certains détenus retenus en prison pendant des années ont parfois du mal à obtenir une ordonnance de renvoi. C’est une ordonnance de clôture qui constate l’achèvement de la procédure d’instruction, et qui renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel afin qu’elle soit jugée. Les huissiers des parquets refusent parfois de signifier ces décisions sans être monnayés.
Selon un rapport réalisé en 2021 par le Bureau intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH), 80% de la population carcérale sont gardés en détention préventive prolongée.
Les avocats sont en partie responsables de cette source supplémentaire de difficultés. Ils soudoient parfois des acteurs du système, en leur offrant de fortes sommes, pour obtenir que leur dossier soit prioritaire.
Cette pratique s’est finalement installée dans le système, au détriment de ceux qui ont le moins de moyens. Selon des acteurs au sein de la justice haïtienne, ce problème serait résolu si les frais judiciaires étaient payés à la Direction générale des impôts, au lieu des parquets.
Puisqu’ils ne peuvent ni se payer un avocat, ni s’acquitter des frais judiciaires imposés par des acteurs corrompus dans le système, des détenus affrontent la détention préventive prolongée.
Selon la Constitution haïtienne, nul ne doit être retenu plus de 48 heures en détention sans qu’il ait comparu devant un juge. Mais, ce sont ceux qui en ont les moyens qui bénéficient des faveurs de cette loi, car ils payent parfois des sommes appréciables en échange de leur libération pour une infraction légère.
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Ainsi, ils ne passent pas devant un juge, ni ne sont gardés en dépôt, à cause de pots de vin versés par les avocats. Ceux qui ne peuvent pas s’offrir ce luxe sont transférés en prison où ils croupissent des années, sans que la justice ait décidé s’ils sont coupables des faits qu’on leur reproche.
Cela engendre une surpopulation carcérale que tous les efforts lancés dans le but de désengorger les prisons n’ont pas encore résolue.
D’un autre côté, même des détenus ayant déjà purgé leur peine n’ont souvent pas recouvré leur liberté, parce qu’ils n’ont pas les moyens de prendre un avocat qui obtienne leur ordre de libération. Sans ce document, l’administration pénitentiaire ne procèdera pas à la libération du concerné.
Selon un rapport réalisé en 2021 par le Bureau intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH), 80% de la population carcérale sont gardés en détention préventive prolongée. Ces situations portent atteinte aux droits des citoyens, par exemple, le droit d’être jugés dans un délai raisonnable, sans retard excessif.
« Les frais réclamés aux justiciables pour l’obtention de certains documents ne sont guère respectés par les greffiers et les huissiers. Le prix des certificats, ordonnances, etc. est élevé alors qu’il ne devrait pas dépasser 500 gourdes »
Pour éviter la surpopulation carcérale, et aider les justiciables qui n’en ont pas les moyens, la loi prévoit donc une aide juridictionnelle, à travers un programme d’assistance légale.
« Selon les prescrits de cette loi publiée dans Le Moniteur le 26 octobre 2018, l’État devrait avoir des bureaux d’assistance légale dans chaque juridiction», rappelle Me Ferniel Michel.
À date, ces bureaux sont disfonctionnels, faute de moyens financiers. Ceux qui sont les plus démunis financièrement restent en prison, contrairement aux autres qui peuvent se payer un avocat.
Image de couverture: Sur cette photo prise le 13 février 2017, un prisonnier tire une grande marmite remplie de riz et de haricots pendant le déjeuner à l’intérieur du pénitencier national au centre-ville de Port-au-Prince. Photo : AP Photo/Dieu Nalio Chery
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