De par son positionnement géographique et à cause des changements climatiques, des catastrophes de grandes ampleurs sont prévues pour le pays. Rien ou peu a été fait pour mitiger les risques
En 2016, lors du passage du cyclone Matthew sur le pays, Stanley Orgella, 37 ans, a perdu sa maison située à Camp-Perrin. « Le toit qui était en tôle a été arraché, raconte-t-il. Ma famille et moi sommes allés nous refugier dans une autre maison de deux pieces elle-même entièrement en béton que nous avions dans la cour ».
Dans cette maison en béton, Orgella s’est définitivement installé depuis lors. La volonté de se protéger des prochaines saisons cycloniques l’a porté à préférer le toit en béton à celui en tôle. Mais tandis qu’il avait le regard fixé vers le ciel, la terre se mit à secouer sous ses pieds le 14 août passé. Et cette fois-ci, aucune des deux maisons n’a résisté. « Et ma maison en tôle et celle en béton sont détruites », regrette Stanley Orgella qui a aussi perdu son commerce de revente de pièces pour motos, qui était son unique source de revenus.
À côté des tremblements de terre, « les activités cycloniques représentent l’un des plus grands risques naturels pour le pays », affirme le coordinateur de la protection civile du Sud, Silvera Guillaume. Cet aléa engendre souvent de nombreuses autres catastrophes telles que des glissements de terrain et des inondations. Et autre détail plus important encore, c’est qu’elles ont lieu chaque année et à la même époque. Pourtant, on n’est jamais parés à y faire face.
Il est essentiel de changer la plupart de nos pratiques, selon l’urbaniste Rose-May Guignard. « Il y a à peu près cent ans, la plaine du Cul-de-Sac a subi une grosse inondation qui a fait fuir ses premiers habitants, dit l’ancienne membre du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire. Cette inondation aura lieu à nouveau et elle sera pire. Parce que tous les mornes, que ce soit ceux de Pernier, de Pétion-ville, de Kenscoff ou encore de Fermathe, tous sont habités. Et cela, en dehors des règles établies ».
Des pratiques normalisées, mais dangereuses
Depuis quelque temps, le littoral, notamment à Port-au-Prince, change. Tel est le constat de Guignard. Pour la spécialiste, « c’est parce que des personnes s’amusent à combler la mer de débris pour la reculer de manière à pouvoir construire des maisons que cela se produit ». Et le comble dans l’histoire c’est que celles-ci sont non seulement construites sans aucune façade, elles bloquent aussi le passage direct de l’eau des montagnes vers la mer.
Quant aux maisons construites dans les mornes, Rose-May Guignard tient à souligner que ce ne sont pas toutes qui posent problème. Mais plutôt un nombre considérable qui ne respectent pas les normes. Par exemple, certains propriétaires préfèrent bétonner l’ensemble de la surface de leur cour pour entre autres éviter la formation de boue sur leur propriété.
« Ce qui se passe c’est qu’avant ces constructions, lorsqu’il pleuvait, une partie de l’eau s’infiltrait dans la terre tandis que l’autre suivait son cours. Mais aujourd’hui, elle rencontre une grande surface de béton. Par conséquent, le volume d’eau que reçoivent ceux qui habitent en plaine, ainsi que la force avec laquelle celle-ci leur parvient, deviennent supérieurs à ce qu’ils devraient être. De là les inondations ».
S’agissant des dégâts enregistrés par rapport aux séismes, ils sont surtout liés à la qualité des matériaux utilisés et des techniques de construction. À ce propos, Guignard identifie deux pratiques auxquelles il convient de mettre un terme. « Aujourd’hui encore, des individus continuent d’exploiter des « karyann » pour en faire du sable, critique-t-elle. Mais encore il y a le sable retrouvé surtout au niveau de Laboule qui est utilisé sur les chantiers au vu et au su du bureau des mines ». Ces deux types de sable sont inappropriés pour construire des bâtiments.
L’État, le premier fautif
C’est le ministère de l’Intérieur qui se charge principalement de tout ce qui touche aux constructions. Au sein dudit ministère, explique Pierre Windsner René, comptable en chef au niveau de la Direction de la protection civile, « il existe un service qui s’appelle génie municipal. Si une mairie a un projet de construction, c’est ce service-là qui doit se rendre sur le terrain pour voir ce que la mairie a l’intention de faire, histoire de le valider ou non ».
Et à l’intérieur de toutes les mairies, il y a des ingénieurs municipaux qui fonctionnent comme le génie municipal. « Ils sont envoyés sur les chantiers des particuliers. Ils prennent connaissance du plan de construction, analysent le sol, pour enfin décider s’ils valideront la construction ».
C’est en réalité ce qu’il devrait être. Mais rien de tout cela n’a effectivement lieu. Selon René Pierre Windsner, la mairie se contente de la paye du droit de construction. Par conséquent, loin de l’idée de déresponsabiliser les citoyens, Pierre estime que c’est l’État le premier acteur de ce désordre. « L’État crée les institutions, mais il ne leur donne pas les moyens de fonctionner ».
La réponse aux catastrophes demeure l’autre pendant du problème.
S’exprimant en son nom propre, le responsable au niveau de la Direction générale de la protection civile reconnait que nous ne sommes pas assez formés pour réagir efficacement face aux catastrophes. « Souvent, des personnes sont victimes à cause de leur affolement ou encore parce qu’elles ont été mal aidées. Le sauvetage est un domaine sensible. À vouloir se précipiter pour aller sauver des personnes piégées sous des décombres par exemple, on peut les tuer. On sauve les vies à la main. Les matériels adéquats ce sont les perceuses électriques et les « pikwa » ».
La protection civile est l’instance responsable de la gestion des risques et désastres. Elle devrait former et sensibiliser sur la question. Mais « cela a un coût auquel l’État n’est pas prêt à répondre ».
Une responsabilité partagée
Si vraiment on s’entend pour dire que l’État n’existe plus, « les associations professionnelles doivent prendre le leadership au moins dans leur domaine », soutient Rose-May Guignard.
« Nous maitrisons suffisamment la science en ce qui a trait à connaître ce qu’il importe de faire. Nous savons les perspectives en matière de tremblement de terre. À présent, nous devons appliquer des sanctions et dire non aux dérives. Même si un individu n’est pas en mesure de reconnaitre les bons matériaux pour construire un bâtiment, l’ingénieur en charge du chantier le devrait. Si donc celui-ci ne fait pas correctement son travail, il doit être sanctionné. Et si nécessaire, être banni de l’ordre auquel il appartient ».
Pour l’urbaniste, il est clair que l’État doit surveiller, mais chaque personne doit mettre un peu du sien.
« Après le passage du cyclone Matthew, des personnes dans le Sud, plus précisément à Maniche, Camp-Perrin ont utilisé des techniques de construction améliorée. Ces maisons sont de forme traditionnelles, mais y sont entre autres ajoutées des attaches au niveau du toit pour une meilleure solidité des habitats. Celles-ci ont résisté aux derniers tremblements de terre.»
Prioriser les bons techniques
Des experts prédisent une amplification des « goudougoudou » en marge des séismes de 2010 et de 2021.
Puisque qu’à l’instar de plusieurs autres pays, nous devrons vivre avec les tremblements de terre et autres phénomènes naturels, René Pierre Windsner met en avant l’importance des techniques de construction. Une maison peut toujours être entièrement en béton ou recouverte en tôle, mais parée aux différents types de phénomènes naturels.
Veiller à ne pas avoir une dalle de béton plus lourde que la base de sa maison, bien fixer les tôles, utiliser les bons matériaux, respecter les normes légales et les techniques adéquates. Ce sont autant de préventions qui peuvent réduire largement les risques. Ainsi, l’une des obligations liées à la volonté d’habiter dans les hauteurs est que l’on bâtisse sa maison de manière à ce que l’eau qui tombe sur sa propriété y reste. Aussi, il faut que 30% de la cour soit non bétonnée pour qu’en période de pluie, une quantité d’eau puisse infiltrer la terre. « Cela évitera de provoquer de dégâts pour ceux qui vivent en plaine tout en alimentant nos sources », explique Guignard.
Les conséquences dramatiques du changement climatique sont déjà observables en Haïti avec la sécheresse, l’augmentation du niveau de la mer à certains endroits et l’invasion des algues à l’odeur d’oeufs pourris. Les experts prédisent des phénomènes graves, dont des cyclones historiques à la puissance dévastatrice pour toute la région caribéenne dans les années à venir.
«Avec les changements climatiques qui s’opèrent, nous allons faire face aux sécheresses et aux tempêtes », répète Guignard. Reprenant les propos de Claude Prepetit, l’experte rassure toutefois que l’ensemble des phénomènes naturels ne sont pas des fatalités, « il suffit de se préparer ».
René informe que la Direction générale de la protection civile a l’équipe à la fois motivée et dynamique pour ce faire. L’État central doit à son tour agir. « Si l’État nous donne les moyens, dans trois ans nous serons parés ne serait-ce qu’au niveau des formations et des sensibilisations ».
Dans le cas contraire, le pire est à prévoir. « Il y aura bientôt un drame. J’ignore quand et la forme sur laquelle elle se manifestera, mais elle aura lieu si on persiste avec nos pratiques », conclut Rose-May Guignard.
Couverture: Bidonville de Carrefour Feuilles (Morne Marie). Photo: Carvens Adelson / AyiboPost
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