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L’oiseau Kanson Wouj, emblème national d’Haïti, menacé de disparition

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Sur les 31 espèces d’oiseaux endémiques, dix-huit sont menacées de disparition. Cela met en danger tout l’écosystème du pays

31 espèces d’oiseaux sont endémiques dans le pays. Cela signifie que ces espèces ne se retrouvent qu’en Haïti, ou sur l’île d’Hispaniola. Parmi elles, on retrouve le Caleçon rouge, Kanson wouj en créole, considérée comme l’emblème national. Il est une espèce menacée dans le monde.

Dans le pays, il y a au moins trois types d’oiseaux. En plus de ceux dits endémiques, on compte les espèces qui ont été introduites, mais qui sont présentes depuis beaucoup d’années, et les oiseaux migrateurs, qui ont leurs saisons.

René Durocher est photographe animalier. Il a une passion pour les oiseaux qui l’a conduit à produire un livre qui fait l’inventaire de plusieurs espèces qui vivent dans le pays. D’après lui, plusieurs espèces d’oiseaux sont menacées, et peuvent disparaître du pays si aucune mesure n’est prise. De fait, sur les 31 espèces endémiques, 18 sont menacées de disparition.

Cela met en danger tout l’écosystème du pays. Ces animaux sont le maillon d’une chaîne de biodiversité dont chaque individu est utile à l’autre. La disparition de leur habitat, l’introduction d’espèces ravageuses ou inappropriées, la bidonvilisation sont autant de facteurs qui affectent les populations d’oiseaux du pays.

Des espèces rares

Anderson Jean est ingénieur agro forestier. Il est un spécialiste haïtien des oiseaux, et aussi d’autres espèces comme les reptiles, qui relèvent de l’herpétologie. Il étudie actuellement deux espèces menacées de disparition. Le Malfini savann est l’une d’elles. « On pensait que ce rapace avait disparu complètement, explique-t-il. Mais en 2019, alors que j’étais sur l’île Caïmite, j’ai pu observer une paire en vol. C’est la première fois depuis les années 1980 qu’un scientifique les remarquait. L’espèce est maintenant considérée en voie de disparition en Haïti. »

L’autre population en déclin est le pétrel diablotin. Cet oiseau aussi était considéré comme disparu dans les Caraïbes. Mais quelques individus ont été découverts sur l’île. « C’est un oiseau marin, explique René Durocher, mais il a son nid dans des parois rocheuses de certaines montagnes escarpées, dans lesquels il se retrouve la nuit. »

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D’après le photographe, une partie de cette population se trouve au morne la Selle, mais l’attitude des habitants de la zone la met en plus grand danger encore. « On les mange, regrette-t-il. Les paysans mettent parfois le feu aux arbres et les brûlent. Or c’est un oiseau qui n’a qu’un seul oisillon, et dont le couple est définitif. Par exemple, si le mâle meurt, la femelle restera seule. »

D’autres espèces comme le perroquet, principalement le Jako, propre à l’île, ou encore la perruche, sont elles aussi concernées par la menace d’extinction. La plupart des individus qui restent vivent en captivité, ce qui affecte leur reproduction.

Tacco d’Hispaniola – Gran tako. Carnivore, il se nourrit de petits lezards, d’amphibiens et parfois de gros insectes. Photo: René Durocher

Anderson Jean confirme ces observations. « Il y a quelques années, alors que j’étais à Bourdon, à Port-au-Prince, j’en ai vu un en vol. Puis une autre fois, deux. Ils sont donc en danger critique d’extinction à Port-au-Prince. Mais au Parc national des Ramiers, j’ai pu observer une trentaine en vol. Mais à la fin des années 1960, on pouvait en observer plus de 80 en vol, d’un coup. C’est une réduction significative. »

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Parmi toutes les espèces en danger, le Kanson Wouj, emblème du pays, peut connaître une fin prochaine. Pour Anderson Jean, ce serait un paradoxe. « D’autres pays ont adopté des oiseaux comme emblème. La République dominicaine a l’oiseau-palmiste, et les États-Unis ont l’aigle à tête blanche. Mais on les protège. Par exemple à une époque, l’aigle des États-Unis était en danger d’extinction, mais des mesures drastiques l’ont protégé. »

Selon René Durocher, le Kanson wouj disparait à cause de la diminution des forêts de pins, qui sont leur principal habitat, parce qu’ils vivent dans des forêts humides.

Chardonneret des Antilles, Siskin, Canario, Ti seren – Photo: René Durocher

Plusieurs catégories

La classification des espèces menacées se fait par échelons. Selon le nombre d’individus estimés, l’espèce concernée rentre dans une catégorie. Elle peut être peu concernée, menacée, vulnérable, en danger, en danger critique de disparition, et finalement disparue.

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est l’un des organismes internationaux qui répertorient les espèces en danger, animales ou végétales. Ainsi, en Haïti, ce ne sont pas seulement les oiseaux qui sont sur liste rouge. Des plantes ou des mammifères le sont aussi. Par exemple, sur les 58 espèces d’amphibiens répertoriés, 49 sont en extinction, selon des données du ministère de l’Environnement.

Quoiqu’il en soit, la classification peut être extrêmement locale. « Cela dépend de la fréquence à laquelle l’animal est observé. Par exemple, une population peut être très présente dans une zone du pays, et très peu ailleurs, encore dans le pays. »

Comme chaque individu dans un écosystème, les oiseaux ont leur importance. Ils sont des indicateurs de l’état de l’environnement. Les oiseaux sont utiles à l’agriculture, par la consommation d’insectes nuisibles aux plantes. Mais surtout, ils aident dans la régénération des forêts et la pollinisation des plantes. « Un oiseau aide à disséminer des graines, qui vont ensuite repousser. Ils sont parfois si intégrés dans l’écosystème que même leur bec a la forme du fruit qu’ils consomment. Si les oiseaux disparaissent, les forêts disparaissent, et inversement. »

L’habitat en péril

La disparition de leur habitat est l’une des plus grandes menaces pour la survie des espèces d’oiseaux d’Haïti. Cette disparition est liée à la coupe des arbres et la réduction drastique et continue des hectares de forêt, la disparition de prairies, de mangroves, etc.

L’explosion démographique, à la base de la bidonvilisation de certaines zones, est aussi à mettre en cause. « On construit des maisons sur des terres qui auraient dû être des espaces boisés », regrette le spécialiste.

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Les quelques hectares de forêt qui restent sont très exploités, et sous prétexte de reboisement, certains arbres dangereux pour des espèces d’oiseaux ont été introduits dans le pays. « Le lilas, introduit, est très présent, explique Anderson Jean. Alors que l’on construisait des routes, on en a planté des deux côtés. Mais la graine est toxique pour certains oiseaux qui en mangent, et qui en deviennent malades.’.

Par ailleurs, l’absence d’un plan national pour gérer certains déchets est tout aussi préoccupante. Dans l’estomac des oiseaux, il n’y a pas seulement des graines ou des insectes, mais aussi du plastique. Sous la présidence d’Élie Lescot, une loi a été prise pour protéger certaines espèces d’oiseaux. Selon l’ingénieur forestier, elle n’est plus adaptée. « Cette loi ne protège aucune des dix-huit espèces menacées de nos jours », remarque-t-il.

Les espèces introduites

L’une des menaces les plus pesantes pour les populations d’oiseaux d’Haïti sont les espèces introduites. Elles peuvent être des oiseaux ou des mammifères carnivores. « Certains oiseaux ont été introduits par l’action de l’homme, explique le photographe. Quand ils arrivent, ils accaparent l’espace qu’occupait un autre oiseau, parfois moins agressif. D’autres espèces ont été introduites dans l’idée de combattre un insecte particulier, mais finissent par s’attaquer à d’autres éléments vitaux. »

Les espèces carnivores comme le chien, le rat, la mangouste ont des conséquences désastreuses sur les oiseaux. « Ils sont devenus des prédateurs non naturels de certaines populations d’oiseaux », explique Anderson Jean.

Ainsi, le pétrel diablotin dont la population mondiale s’estime entre 1 600 et 2 000 individus est particulièrement à la merci de ces prédateurs. « Les rats mangent leurs œufs, les mangoustes ou les chats sauvages mangent leurs petits », regrette l’ingénieur agroforestier.

Tout cela se passe dans une relative indifférence de la population, voire des autorités. Selon René Durocher, il faut beaucoup de passion pour s’investir dans la lutte pour la survie de ces espèces. « Dans un pays qui n’a jamais connu un moment de stabilité, il faut de la passion pour s’extirper du train-train quotidien, de la zone de confort, et s’engager dans cette voie. »

Photo de couverture : Kanson Wouj  / René Durocher

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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