Invitation à découvrir Haïti autrement, l’exposition “Haïti, deux siècles de création artistique” ne cesse de drainer au Grand Palais de nouveaux visiteurs autour de son foyer de couleurs et de créativité. Les oeuvres, toutes disciplines confondues, touchent, inspirent, captivent, dérangent…
Cet aprè
Ce n’est pas croyable, je le sais. Moi, née à
Enfin, je le crois. Car pour nous protéger du froid, ma famille et moi ne sommes pas aussi équipés que nos visiteurs, si admirablement drapés, presque invisibles dans leur manteau et leurs bottes. Pourtant, c’est peut-être nous surtout qui gardons bien au chaud les visiteurs. J’imagine que, pour les piétons des Champs-Élysées, l’exposition « Haïti » doit bien représenter un foyer. Et nous sommes près de cent
Je m’appelle « Zwazo III ». Je suis la fillette du couple « Zwazo » dans la série « Zwazo pa gen fwontyè » de Céleur
Sous l’oeil de Legba
Nous ne sommes pas tous des oiseaux, ni des oeuvres sans titre, numérotées. Certaines créations ont des noms merveilleux, tels « Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique » d’Hervé Télémaque. D’autres portent des titres assez déconcertants comme une des toiles de
Ou encore, plutôt, dans la section des Tête-à-tête. J’aimerais bien moi un tête-à-tête, pas forcement avec une autre volaille. Mais un tête-à-tête avec « Legba ». Dautant que nous sommes tirés des mêmes matières insolites: pneu, bois, métal recyclé. Bien entendu, la pièce d’André Eugène est de loin plus imposante que moi. Du haut de ses cinq mètres, ce bonhomme de fer semble être venu en Europe juste pour affronter le fameux Bonhomme de neige sur son propre terrain.
Cependant, je ne vous cacherai rien, ce qui frappe le plus chez « Legba », c’est son sexe brandi, tout bandé. Souvent, l’engin nu me distrait; et, je ne suis pas la seule! Cet aprè
Après tout, nous ne sommes pas tous muets. D’ailleurs à quelques pas de moi, « Tragédie tropicale », une installation vidéo de Maksaens Denis semble carrément dialoguer avec les téléspectateurs. Un peu plus loin, une autre vidéo, « le Cercle de Freda », de Barbara Prézeau Stephenson, joue tout bas le traditionnel « Wongol ». Pourtant, aucun de ces sons ne me touche autant que ce petit air de rien du tout qui happe les visiteurs dès l’entrée de la salle.
L’air de rien
Cette musique provient d’une autre installation, « Haiti chérie » de Sasha Huber. Comme d’habitude, ce soir, je dois forcer tous mes muscles pour ne pas regarder dans sa direction. Car je pressens bien ce qu’elle évoque, cette vidéo. Je laisse donc mon regard vagabonder à l’autre côté de la salle. Comme ce Jacmélien immigré à Paris, je m’évade dans le « Rara Lakay » de David Boyer. Et comme lui, à travers cette toile tissée de boutons et de métal, je prends goût à la nostalgie. Après, je me laisse aller dans l’univers
Peine perdue. La musique telle une plainte ne s’est toujours pas arrêtée, elle inonde la salle. Mes yeux ont failli succomber à elle. Vite, je me ressaisis. De mon coin, je préfère admirer un jardin illuminé où Erzulie Fréda dans sa robe rose abolit la nuit, dans « L’Embarquement pour l’
En un rien de temps, ce soir, je fais le tour des couleurs, des émotions et de ces deux cents ans de création. Je « marronne » pour échapper aux images que cette musique lancinante et méditative m’invite à découvrir. Pourtant, quand enfin je cède à son appel, je réalise que la vidéo ne montre aucune horreur, aucune blessure, aucun cadavre. Mais, dans ses images, une femme, vêtue du bicolore haïtien, dessine des ailes d’ange avec ses bras dans la neige, ensuite s’immobilise, se multiplie et répète le geste à l’infini. Tout à coup, j’ai compris: c’est un hommage aux milliers de morts du séisme de 2010.
Je le sais, je ne suis qu’un oiseau de ferraille, sans épaule ni cheville. Mais je songe aussi à mes morts, aux milliers d’oeuvres d’art disparues lors de la catastrophe. Cinq ans après, je vois nos édifices d’art encore effondrés, je vois nos rares musées et nos centres de formation toujours en détresse. Et je m’inquiète…
Mise à part l’architecture, aucun inventaire exact n’a été effectué sur les dommages causés par le séisme de 2010 dans le secteur de l’art. Toutefois, on peut globalement parler de 30 000 objets d’art perdus ou endommagés. Et selon un des experts du musée Smithsonian, institution américaine responsable d’un projet de sauvegarde du patrimoine culturel haïtien, l’Art Haïtien aurait besoin après la catastrophe d’au moins de 25 ans de restauration.
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