Pour pallier le problème d’infection, les neurochirurgiens, parmi eux, Michael Y. Wang, ont dû inventer une nouvelle technique. « Nous avons procédé à des opérations chirurgicales sans ouvrir le patient », révèle-t-il
Deux semaines après le passage du tremblement de terre du 12 janvier 2010, le Dr Michael Y. Wang, neurochirurgien, est venu en Haïti porter secours aux victimes. Le médecin est spécialisé dans la chirurgie de la colonne vertébrale. C’est lui qui dirigeait ce département à l’Hôpital Universitaire de Miami. Il était accompagné de sa femme, la Dre Amy Wang, ergothérapeute, qui s’occupe de personnes souffrant de handicaps moteurs ou psychomoteurs.
Le Dr Michael Y. Wang et sa femme sont rentrés à bord de l’un des petits jets qui faisaient le trajet entre Miami et Port-au-Prince, pour apporter fournitures médicales et provisions pour le projet Medishare. C’est une initiative non gouvernementale des professeurs de l’Université de Miami, qui sont présents en Haïti depuis 1994.
Le nombre de patients qui avaient des plaies ouvertes complexes, des fractures pelviennes et vertébrales, des blessures par écrasement était considérable. Au camp de Medishare, les patients nécessitant une neurochirurgie représentaient « 15 % chez les adultes, avec des appels quotidiens pour les transferts de nouveaux patients paraplégiques et tétraplégiques », a écrit le Dr Michael Y. Wang.
Il n’y avait pas beaucoup de médecins haïtiens, formés en neurochirurgie, capables de les prendre en charge. Aujourd’hui encore, onze ans après le tremblement de terre, il n’y a pas dix neurochirurgiens pour près de onze millions d’Haïtiens.
Un travail considérable
Le Dr Barth A. Green, codirecteur du projet, est arrivé avec une équipe de médecins volontaires, juste quelques heures après le tremblement de terre.
Il s’est occupé de tous les préparatifs pour que les médecins comme Michael Y. Wang puissent rentrer. Par rotation, des groupes d’infirmières, de docteurs, de thérapeutes et d’ingénieurs médicaux ont aidé durant les six mois que dura le projet.
D’après le Dr Michael Y. Wang presque tous les médecins du département de Neurochirurgie de l’hôpital Universitaire de Miami sont venus en Haïti. Ils faisaient des allers-retours, restaient deux ou trois jours, et rentraient à Miami.
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Au début, ce camp fonctionnait sous deux tentes de stockage, dans l’aéroport de Port-au-Prince. Au bout de 9 jours, ce centre médical de fortune s’est avéré inadapté pour procéder à des interventions chirurgicales de pointe. Il a été réassemblé, de façon à accueillir 300 lits, dont 17 en soins intensifs, et trois salles d’opération.
« C’était vraiment un effort d’équipe. Beaucoup de gens se sont impliqués, raconte Michael Y. Wang. Je pense que c’était le principal hôpital qui offrait des soins de santé à Port-au-Prince. C’était l’hôpital le plus sophistiqué, même si c’était un hôpital qui était construit sous une tente. »
Le travail était rude. Ils n’avaient pas vraiment le temps de se reposer, parce qu’ils pouvaient faire jusqu’à dix opérations de neurochirurgie par jour.
Beaucoup d’amputations
Le centre médical du projet Medishare avait tous les équipements nécessaires aux interventions. Mais l’environnement n’était pas aussi protégé et aseptisé que les salles d’opération de l’hôpital universitaire de Miami.
Pour cette raison, les patients présentaient un taux d’infection très élevé. Comme les médecins avaient peur que leurs patients développent rapidement des gangrènes et d’autres complications suite à leurs blessures, ils les amputaient. À cause du tremblement de terre plus de 4 000 personnes ont été amputées, selon l’ONG Humanité et Inclusion. Les chiffres varient selon les sources.
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Michael Y. Wang a réalisé des opérations sur des colonnes vertébrales brisées. Dans de nombreux cas, regrette-t-il, les personnes sont restées paralysées. Il n’a pas procédé à des amputations, mais il assure que les premiers jours étaient catastrophiques.
« Les médecins étrangers qui sont venus ont anticipé le fait qu’ils auraient besoin de faire beaucoup d’amputations, pour soigner les victimes, affirme le médecin. Et si c’est une infection dans la colonne vertébrale, en Haïti, ce serait tout simplement dévastateur. Pire qu’une amputation. »
Nouvelle technique
Pour pallier ce problème d’infection, les neurochirurgiens, parmi eux, Michael Y. Wang, ont dû inventer une nouvelle technique lorsqu’ils sont arrivés sur place. « Nous avons procédé à des opérations chirurgicales sans ouvrir le patient », révèle-t-il.
Ils ont opté pour une technique mini-invasive de fixation vertébrale, en utilisant des vis pédiculaires percutanées en forme de tiges, explique le neurochirurgien. Et ceci a réduit le taux d’infection à un niveau acceptable au camp Medishare.
Le Dr Wang déplore que les médecins qu’ils ont formés ne restent pas pour desservir la population haïtienne
« C’était tellement une belle avancée qu’on s’est dit que si on avait un gros tremblement de terre en Californie, on utiliserait probablement la même méthode utilisée en Haïti », informe le neurochirurgien.
Les opérations en neurochirurgies avant 2010, et même des années après, étaient jusqu’alors de grandes incisions, pour que les médecins puissent voir ce qu’ils faisaient. Ces interventions chirurgicales dites invasives se sont révélées risquées. Elles causaient infections, saignements et autres complications. De plus, les douleurs postopératoires peuvent être graves pour les patients.
Fuite de competences
Amy Wang, la femme de Michael Wang, revient souvent en Haïti. Cette ergothérapeute y va pour travailler dans un orphelinat avec une ONG. Amy Wang était au pays en pleine pandémie de coronavirus, il y a quelques semaines.
Michel Wang n’est pas venu. Il avoue ne pas aimer voyager, mais promet de se mobiliser s’il devait revenir aider. Cependant, même s’il est loin, il participe au programme de formation en neurochirurgie de l’Hôpital Universitaire de Miami, en faveur d’Haïti. Ce programme est un partenariat avec l’Université d’État d’Haïti, le ministère de la Santé publique et de la Population et l’hôpital Bernard Mevs.
Des neurochirurgiens haïtiens sont formés pour travailler en Haïti, mais peuvent partir parfaire leur formation à l’étranger. Cependant, ce programme qui existe depuis plus d’une dizaine d’années n’a pas réussi à augmenter considérablement le nombre de neurochirurgiens dans le pays.
Le Dr Wang déplore que les médecins qu’ils ont formés ne restent pas pour desservir la population haïtienne. Pour le moment, il n’y a qu’un seul neurochirurgien qui a accepté de rester dans le pays. C’est le Dr Yudy Lafortune, de l’hôpital Bernard Mevs.
« Nous comprenons pourquoi ils veulent venir en Amérique, dit Michael Wang. Sans faire de politique, je sais très bien qu’en Haïti il y a des gens qui ont les moyens de se faire soigner. Mais, les autres personnes, qui vont les soigner lorsqu’ils ont une tumeur au cerveau, ou bien une colonne vertébrale brisée ? »
Hervia Dorsinville
Photo couverture: MSF
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