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Opinion | Le faux courage des procéduriers haïtiens

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« Ils mettent les principes au service de l’ignominie »

Il existe une tactique légale, bien connue des habitués de la basoche. Cette tactique, puisqu’elle n’en est qu’une, consiste à s’appuyer sur la procédure et les grands principes légaux pour défendre un client qui fort souvent ne peut possiblement courir le risque d’un procès sur le fond.

La procédure est à la justice ce qu’une bonne diction et une plume incisive représentent pour les journalistes. Il s’agit de la forme, du décorum, des règles de bases mis en place pour formaliser l’exercice et faciliter la délivrance du service public de la justice.

La procédure, ce sont la rédaction des actes, les délais stricts comptés en jours francs, les multiples timbres à apposer aux documents et même la façon de se tenir dans les tribunaux et de s’adresser aux juges.

OP-ED: Le faux procès fait aux avocats haïtiens

La procédure prend appui sur de grands principes, ô combien importants, que sont l’égalité de tous devant la loi, les mêmes règles pour tous, la confiance dans l’institution de la justice pour diluer les conflits sociaux et parer la violence, la garantie d’un avocat pour chacun, la présomption d’innocence pour les mis en cause et la promesse de réparation pour les victimes.

La procédure peut être salvatrice. Elle intervient pour mettre un terme aux conflits interminables quand la dernière juridiction s’est prononcée. Elle pénalise ceux qui s’arrogent le droit de mépriser l’institution judiciaire en refusant de se présenter devant les tribunaux, elle contraint les puissants souvent, elle délivre les nécessiteux, parfois.

Tout comme un verbe fleuri n’éclot pas nécessairement un bon journaliste, un usage excessif de la procédure et l’appui constant sur les grands principes juridiques n’aboutissent pas nécessairement au triomphe de la fonction morale de la « JUSTICE ». Cette fonction s’assure que chacun reçoive ce qui lui est dû, que les fautifs soient punis et les victimes réparées, que la loi, dans son esprit comme dans sa lettre ait droit de cité, que l’éthique, la paix sociale, l’harmonie règne.

Justicia omnibus.

Trop souvent pourtant, la forme remplace le fond en Haïti. Le bruit ou le beau parler masque la vacuité d’une offre journalistique inutile. La procédure et les grands principes sont instrumentalisés pour défendre dans l’opinion publique et devant une institution judiciaire infâme des actes immoraux, des individus immoraux, des institutions indéfendables au regard des forfaits et preuves présentées.

Il convient de le rappeler : un avocat futé, mais peu respectueux de l’éthique, qui met son talent au service des corrompus avérés et des bandits s’assure que chacun ait droit à une défense. C’est noble. Certes. Mais simultanément, il fait librement un choix moral, celui de retarder l’avènement d’une société juste. Il ne peut y avoir d’équivalence morale avec ceux qui décident exclusivement de défendre les causes justes, de prendre parti pour la veuve et l’orphelin.

Évidemment, le réel ne peut être manichéen. Il est des accusés innocents, des fortunés pour qui la possession constitue un moyen vers le bien et non une fin en soi, des avocats haïtiens qui connaissent la loi et non les juges.

Il est aussi des avocats qui, bien au fait du réel économique du métier, cherchent leur confort personnel sans se compromettre et participer aux œuvres qui détruisent le bien commun. Il y a même un certain panache moral à promouvoir une conception de la justice qui aménage une place pour le pardon, qui reconnaît la potentialité de chacun à faire le mal, qui refuse qu’un moment définisse la vie, qu’une erreur remplace l’humanité.

Mais il faut savoir les distinguer.

Dans ce pays, la force brute seule tient lieu de droit. Au mépris de la loi, des malfrats peuvent s’associer à leurs propres juges, s’accompagner d’un corps d’hommes violents, et s’arroger le droit de frapper avec une masse après avoir sauvagement ligoté un citoyen paisible lors de l’exécution d’un jugement qui devait donner lieu à l’abattage d’un mur. Propulsés par cette espèce de parodie indécente, ces malfrats peuvent tranquillement s’approprier, avec l’aide des institutions légales, ce qui appartient à une famille depuis des générations. Face aux indignations, le juge complice répondra : « Wa gentan konnen! » Aucune société saine ne devrait rester passif face à pareille insulte.

L’on peut gagner ici un procès médiatisé en faveur d’un ancien ministre accusé de viols sur deux jeunes garçons parce que le pays ne peut offrir un certificat médical adéquat, parce que les partisans de ce haut cadre font pression sur la justice et perturbent les tribunaux, parce que ce ministre a transformé des jeunes en manifestants, parce que les officiers de justice sont corrompus et tremblotant. L’on peut être ancien député, agresser sexuellement l’enfant de onze ans sans défense de sa maitresse, et n’obtenir que quelques années de bagne quand les circonstances et la loi commandent une peine longtemps plus sévère. Gagner un procès dans ces conditions revient à remporter une victoire sur la justice et non pour elle.

L’on peut aussi circuler librement en Haïti quand son nom se retrouve dans tous les rapports sur le scandale Petrocaribe, quand on a dilapidé au vu et au su de tous les fonds publics, quand on a échafaudé des stratagèmes pour capter indûment ce qui devait revenir au plus grand nombre. Circuler librement dans ces circonstances, pérégriner de par le monde et s’afficher fièrement sur les médias sociaux ne constitue guère la preuve du talent de ses avocats. Il s’agit d’une évidence supplémentaire attestant l’effondrement des institutions régaliennes de ce pays, la justice en première.

À chaque fois qu’un individu connu fait face à des accusations de corruption, de vol et de viol en Haïti, une armée de procéduriers se jette dans la mêlée pour pérorer, la main sur le cœur, leur foi inébranlable dans la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et exiger hic et nunc la conduite d’un procès impartial où les droits de l’accusé sont scrupuleusement respectés.

Il faut mettre de côté le silence souvent fait sur le droit des victimes présumées, des sans voix, sans noms, sans carnet d’adresses, sans compte en banque garni, sans entreprises, sans capacités à offrir des jobs, bref, des insignifiants sans pouvoirs aucun.

Ces obstacles évacués, il convient de demander à ces défenseurs zélés de répondre à cette question simple : avez-vous confiance en cette justice où les officiers intègres constituent une exception ? Pensez-vous sincèrement que si les victimes, comme celles qui accusent Yves Jean-Bart, sortent de leur anonymat et portent plainte, la société écoutera d’une oreille empathique et critique, la justice mènera une enquête indépendante, les témoins se sentiront à l’aise pour témoigner sans mettre en cause leurs vies et leurs carrières, le procès sera équitable ?

Les réponses divergeront. Mais dans lot, l’on trouvera des délinquants qui par projection, défendent l’ignominie, des idéalistes, « attachés » aux grands principes et ignorant parfois sciemment le réel macabre de la justice haïtienne, des désabusés et des indifférents.

Seuls les réalistes font avancer la justice. Le reste n’est que pleutrerie et complicité.

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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