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Martial Piard, le médecin haïtien qui sauve des vies grâce à sa bicyclette

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Chevauchant sa bicyclette, matin et soir, Martial Piard se rend à l’hôpital de Chancerelles situé en pleine zone d’affrontements entre gangs. Portrait d’un professionnel atypique

Il y a deux mois de cela, les journées du docteur Martial Piard étaient bien différentes. Il se levait de bonne heure, s’occupait d’emmener ses enfants à l’école et se dirigeait ensuite vers sa clinique dentiste à la rue de la Réunion.

Là, il s’occupait de ses patients jusqu’à une certaine heure. Il avait le temps, pendant la journée, de prêter ses services d’anesthésiste à des hôpitaux privés, avant de rentrer chez lui rejoindre sa famille. Un long fleuve tranquille.

Mais depuis le 1er décembre 2019, sa vie professionnelle a changé du tout au tout. Finies les interventions en salle d’opération privée. Sa clinique au bas de la ville n’ouvre ses portes que sur rendez-vous.

Quant à sa famille, sa femme et ses trois enfants, il a à peine le temps de les voir. Depuis que Martial Piard est bénévole au centre obstétrico-gynécologique Isaïe Jeanty-Léon Audain, tout est différent. Le centre, familièrement appelé la maternité de Chancerelles, monopolise tout son temps.

Il est minuit docteur Piard

Si vous passez à Chancerelles, sur la route de l’aviation, vers six heures du matin, midi, huit heures du soir, vous avez des chances de croiser Martial Piard. Pédalant sa bicyclette noire, il se rend à la maternité de Chancerelles, ou en sort. Insouciant, concentré sur la route, le médecin est une figure connue dans la zone.

Mais, vous ne passerez probablement pas à Chancerelles. Parce que c’est une zone de non-droit. Parce que c’est l’un de ces endroits à Port-au-Prince constamment en ébullition à cause des gangs. Même si l’hôpital est jusque-là épargné, ses environs ne sont pas sans dangers.

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Pourtant Martial Piard s’y rend dès qu’on l’appelle. « Les médecins n’ont pas l’esprit tranquille s’ils n’ont pas un anesthésiste dans la salle d’opération, explique-t-il. Je me mets donc toujours disponible. Dès qu’on m’indique qu’il y a un cas compliqué, j’y vais sans perdre de temps. »

Parfois ces appels ont lieu tard dans la nuit, mais le médecin n’hésite pas.

Le centre obstétrico-gynécologique Isaïe Jeanty-Léon Audain, maternité de Chancerelles, est l’un des plus anciens hôpitaux publics du pays. Photo: Jameson Francisque / Ayibopost

« Un geste humaniste »

« Quand Chancerelles a proposé le bénévolat, je me suis rendu compte de la situation calamiteuse de cet hôpital. Dans le temps, les gens venaient de partout pour y accoucher ou se faire opérer. C’était l’hôpital de référence du pays en gynécologie. Maintenant, Chancerelles est devenu le dernier choix. On n’y vient que si les autres hôpitaux n’ont pas les moyens ou l’expertise pour une opération. C’est triste de voir comme tout a changé. J’ai voulu faire un geste humaniste », dit Martial Piard.

La fréquentation de l’hôpital de Chancerelles a beaucoup diminué en effet. Depuis le dernier épisode de pays lock, la zone de l’aviation est devenue encore plus dangereuse. Des gangs armés s’y affrontent régulièrement.

D’une moyenne de 30 accouchements en 24 heures, Chancerelles n’en connaît plus qu’une dizaine. Mais ce sont autant de gens qui s’attendent à recevoir des soins. Les autres anesthésistes, employés de l’hôpital, refusent d’y aller à cause des tensions. Ils exigent qu’une ambulance ou un bus soit mis à leur disposition. 

Vue partielle de la cour de l’hôpital. Photo: Jameson Francisque/Ayibopost

Difficultés familiales

« Je ne suis pas contre leurs revendications, dit Martial Piard. La zone est vraiment sinistre, ils ont raison. Je fais l’effort d’y aller parce que même si je soutiens leur demande, je dois aussi prendre en considération les malades. S’ils viennent à Chancerelles, c’est qu’ils n’ont vraiment pas d’endroit où aller. Je ne voudrais pas que cet hôpital ferme. »

Et de continuer : « Je pense aussi aux médecins résidents, qui sont encore en formation à l’hôpital. Si l’hôpital ne fonctionne pas, leur formation sera bâclée. Or ils vont s’occuper de ma femme et de mes filles dans une dizaine d’années. Je dois aider. »

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La vie familiale de Marcel Piard subit le contrecoup de son sacrifice. Il a à peine le temps d’être avec sa femme et ses enfants.

« Ma femme comprend et apprécie que je sois bénévole à Chancerelles, dit-il. Mais elle n’accepte pas que j’y aille tard dans la nuit, quand on m’appelle pour une urgence. C’est difficile. Je ne compte pas arrêter d’y aller, mais j’aimerais beaucoup que les responsables fassent en sorte que la situation revienne normale le plus vite possible. »

Des journées longues…

Pourtant les journées à Chancerelles sont parfois ennuyeuses, à cause du manque de cas. « Depuis mon arrivée à Chancerelles, j’ai pris part à environ 90 opérations, affirme Martial Piard. En moyenne il n’y a que deux interventions par jour. C’est très peu pour un anesthésiste, mais cela témoigne du déclin de l’hôpital. »

Les journées se suivent et se ressemblent. Martial Piard commence sa garde vers huit heures du soir. Le lendemain à six heures, il peut rentrer chez lui. Puis il revient rapidement en cours de journée, surtout si on l’appelle pour s’occuper d’un cas urgent. « Parfois je reste un peu plus, surtout les jours où il y a peu de gens, pour attendre de nouveaux cas. Vers cinq heures je rentre manger chez moi. Je reviens dans la soirée », explique-t-il.

Couloir principal de la maternité de Chancerelles. Photo: Jameson Francisque/Ayibopost

La bicyclette noire

Son itinéraire pour se rendre à l’hôpital est pensé d’une manière à arriver le plus rapidement, en sortant de Delmas 33. « Je cherche la vitesse que donnent les routes en pente, dit-il. La route de Delmas est parfaite pour cela quand je vais à Chancerelles. En vingt minutes je suis à l’hôpital. Mais j’évite le carrefour de l’aviation, il est vraiment dangereux. »

Au retour, il passe par la route de l’aéroport, puis Delmas 19. « Je n’ai plus peur maintenant, contrairement aux premiers jours. Je passe parfois au milieu d’hommes armés, mais ils me connaissent. Ils reconnaissent la bicyclette. Toutefois je prie pour ne pas tomber en plein milieu d’un affrontement entre gangs rivaux. Les balles, elles, ne connaissent pas la bicyclette », dit Martial Piard en riant.

Cette bicyclette, il l’a achetée parce que les motocyclistes refusaient de l’emmener dans la zone dangereuse où se situe l’hôpital. « Ils me connaissaient si bien qu’ils n’attendaient même pas que je les arrête, pour me dire qu’ils n’iraient pas à Chancerelles à cette heure », affirme le médecin.

Un parcours atypique

Martial Piard a failli ne pas être médecin. Il a d’abord entamé des études en chimie, à l’école normale supérieure. Il s’oriente alors dans la vie communautaire, pour devenir religieux. Mais rapidement, il ne sent plus la vocation. « C’est une expérience assez difficile, dit-il. Se consacrer entièrement à Dieu demande beaucoup de volonté. J’ai abandonné au bout d’un an. »

Alors il devient dentiste. Mais les années passent si vite qu’il croit qu’il a le temps de devenir médecin se rappelle Martial Piard. Il fait une année d’équivalence puis passe six années en médecine. À la fin de sa formation, il choisit de se spécialiser en anesthésiologie. Sa spécialisation a pris fin en novembre. C’est ainsi que son aventure a commencé au plus ancien hôpital de l’État spécialisé en gynécologie.

Quand son agenda surchargé le lui permet, il se rend à Camp-Perrin, sa ville de naissance, pour voir son père, âgé aujourd’hui de plus de 90 ans. C’est là qu’il a appris à aimer la nature, aux côtés de ses trois frères et deux sœurs.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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