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Reconstruction des bâtiments publics : les architectes haïtiens ont été mis de côté après le séisme

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Au lendemain du 12 janvier 2010, alors que la poussière retombe encore à peine sur nos morts et nos ruines, une course affolée débute. De foires de prototypes d’habitats aux visites officielles d’experts et de programmes universitaires, en passant par l’élaboration des grands plans d’aménagement, une nouvelle mission était annoncée et un seul mot était sur toutes les bouches : reconstruire. Mais, les architectes et ingénieurs haïtiens peuvent-ils/elles prétendre, 10 ans plus tard, avoir participé à l’effort de reconstruction d’Haïti ? Étaient-ils/elles même invité(e)s à la table ?

« Après le tremblement de terre, toutes les études et constructions qui ont été faites pour les immeubles publics ont été faites par des firmes étrangères, ça ne fait aucun sens! » s’indigne Gregory Fouchard, architecte.

Loin d’être un fait nouveau, l’arrivée massive de firmes étrangères sur le marché, semble être précédée par la perception publique, après le choc du tremblement de terre, que les professionnels locaux de la construction et de l’architecture avaient échoué.

»  Méfiance mal placée selon l’architecte, vu que de nombreux individus se sont attribué le titre d’ingénieur (sans être reconnus par les autorités compétentes et parfois sans avoir reçu la formation appropriée) et ont construit des édifices hors-normes, qui se sont ensuite effondrés. Cette perte de confiance des donneurs d’ouvrages aura alors permis l’ouverture du marché de la construction aux « conquistadores » étrangers.

Réactions au niveau de la profession

De nombreux projets se sont vus attribués à des firmes étrangères (dominicaines, chinoises etc..) par des contrats de gré à gré, via des appels d’offre auxquels les firmes locales n’ont pas été invitées à soumissionner, estime l’architecte Gregory Fouchard. « La plupart des firmes étrangères qui gagnent ces “bid” c’est parce qu’ils ont été visés (sic) vers eux. »

On a vu également, depuis le tremblement de terre, s’établir des firmes étrangères qui se sont imposées comme les références en matière d’expertise, détenant l’exclusivité et le monopole du domaine. Cette exclusivité est souvent dictée directement par d’importants bailleurs de fonds, excluant ainsi immédiatement et indéfiniment les professionnels haïtiens.

Par exemple, la domination sur le marché local de la réputée firme Miyamoto (firme de génie structurel), dont les évaluations structurelles sont souvent contingentes à l’occupation d’un bâtiment par une ONG et dont les plaques ornent ostensiblement la plupart des nouveaux grands bâtiments (publics et privés), apparaissant ainsi comme la seule valeur sûre en matière de structure, alors que bon nombre d’ingénieurs structurels locaux de grand calibre exercent en Haïti.

De plus, l’attribution de ces contrats d’études ou de construction à des firmes étrangères a non seulement un impact direct sur les firmes locales et leur crédibilité, mais aussi un impact économique, vu que ces compagnies « ne paient pas de taxes et exercent une pression sur le dollar lorsqu’il s’agit de les payer », selon Henri-Claude Muller-Poitevien. Il ne faut pas non plus oublier que nombre de ces projets font appel à une expertise étrangère, empêchant ainsi les bénéfices de profiter à la main-d’œuvre locale.

Le phénomène des consortiums (locaux + étrangers)

L’arrivée de ces nouvelles firmes va également créer un phénomène récurrent : celui de la création d’association ou de consortiums entre les firmes locales et des firmes étrangères. « En fait, l’avis de Sollicitation de Manifestation d’intérêt aux études de projets de Bâtiments publics, de logements et d’infrastructures, lancés par l’UCLBP en 2012, encourageait le partenariat avec des firmes internationales », rappelle Jeanine Millet, architecte.

Les critères de plusieurs appels d’offres ne laissent en effet place à aucun doute : impossible pour une firme d’architecture haïtienne d’y participer seule. Combien de firmes locales ont déjà conçu un Palais National ? Ou encore un édifice de huit (8) étages ?

Le palais national détruit par le séisme. (AP Photo/Tyler Anderson, File)

« Ceci peut se comprendre, car se posaient plusieurs problèmes, dont ceux des compétences locales insuffisantes et inexpérimentées pour les bâtiments de plusieurs niveaux, l’expertise nécessaire en calcul parasismique et l’ampleur de la tâche de reconstruction. Nous n’étions pas préparés pour répondre à toutes ces demandes » admet Jeanine Millet.

Selon l’architecte, les bureaux techniques experts en matière d’électromécanique, hydraulique ou encore de sécurité, par exemple, n’existent pas vraiment en Haïti, à  l’exception de personnalités qui travaillent dans ces domaines de manière individuelle. Les collaborations entre firmes étrangères et firmes haïtiennes ont donc su s’avérer fructueuses et permettre un « transfert de connaissances » entre firmes locales et étrangères. Il ne faut pas, pour autant, oublier de « protéger les ressources nationales afin de les permettre de grandir », précise-t-elle.

Le Collège National des Ingénieurs et Architectes haïtiens (CNIAH)

Combien de ces firmes étrangères exercent sans l’autorisation de l’autorité compétente désignée en Haïti ?

En effet, il existe une loi qui régit de manière claire et concise les professionnels autorisés à exercer les métiers de la construction et de l’architecture sur le territoire national. Ce décret-loi présidentiel daté du 25 mars 1974 (paru au Moniteur en date du 8 avril 1974), établit le Collège National des Ingénieurs et Architectes haïtiens (CNIAH) comme étant la seule entité regroupant les professionnels « qui ont l’autorisation légale d’exercer dans les diverses branches du génie et de l’Architecture en Haïti suivant les modalités prévues ». (Article 1 du décret-loi).

La loi est claire. Tout signataire de plans et d’études doit être dûment enregistré au CNIAH, ce qui consiste principalement d’une validation de leur diplôme (soit d’une Université locale ou étrangère) par le Conseil de validation ainsi que l’acquittement d’une cotisation annuelle. Autrement, ils/elles exercent dans la plus totale illégalité.

Une loi peu connue

Toutefois, force est de constater que l’existence du décret-loi et même celle du CNIAH restent méconnues de la plupart de la population. Face à ce constat, le CNIAH entreprend une campagne de sensibilisation auprès d’institutions qui financent et confient des travaux de conception et de construction.

L’objectif est d’informer les institutions étatiques, les ONG et organismes étrangers (BID, Banque Mondiale, etc..) ainsi que les institutions privées (notamment bancaires), de l’existence du décret-loi. Plusieurs s’y sont conformés en (1) intégrant à leur appel d’offres le critère selon lequel les signataires de plans et d’études doivent être dûment enregistrés au CNIAH et (2) en inscrivant au CNIAH leurs ingénieurs et architectes exerçant au sein de leurs organismes respectifs. En bref, en respectant leurs obligations vis-à-vis de l’État haïtien, au même titre que le paiement des impôts, l’obtention d’un quitus ou d’une patente par exemple.

Des donneurs d’ouvrages réfractaires

Toutefois, de nombreuses entités privées et publiques mises au fait du décret-loi l’ignorent encore. Ce refus de se plier à la loi annonce ainsi, en dehors de la question de concurrence étrangère que nombreux estiment déloyale, une répétition du lourd bilan humain du 12 janvier 2010. Selon Jeanine Millet : « Malheureusement, nous devons reconnaître que si demain matin, il y a un nouveau 12 janvier, il y aura autant de morts. L’État principalement et la société civile auront de ce point de vue failli à leur mission. »

À la prochaine catastrophe dira-t-on encore qu’Haïti n’a pas d’architectes et d’ingénieurs ?

Imaginez l’effondrement d’un édifice public conçu et construit par une firme dont les compétences n’auront pas été dûment vérifiées et validées par l’autorité compétente, mais dont le contrat d’études et/ou de construction a été approuvé par le gouvernement (ou par un groupe du secteur privé).

À la prochaine catastrophe dira-t-on encore qu’Haïti n’a pas d’architectes et d’ingénieurs ? Ou rendra-t-on solidairement responsables les membres qualifiés, en règle, du CNIAH de l’effondrement — très probable, d’édifices construits par des individus non accrédités, et ensuite financés et assurés, les yeux fermés, par des institutions bancaires attirées par l’appât du gain ? Pour ensuite, après avoir mis de côté les architectes et ingénieurs haïtiens, se tourner vers la seule et unique valeur « sûre » : l’international ?

Disons plutôt que nous ne faisons ni plus ni moins qu’hypothéquer la profession et la vie des usagers de ces bâtiments, sous le couvert de contrats attribués par commodité ou connivence, et non sur la base de la compétence ou de la légalité.

Des gouvernements irresponsables

Mais la responsabilité ne repose pas uniquement sur le CNIAH, elle repose également sur le gouvernement. « Défendre les intérêts des professionnels haïtiens aurait dû être une préoccupation pour n’importe quel gouvernement soucieux de défendre les intérêts de sa population (…) »,  selon Jeanine Millet.

En effet, comment est-il concevable qu’une municipalité attribue un permis de construire à un individu signataire de plans et études qui ne soient pas enregistrés et membre actif au CNIAH ? Ou encore qu’un ministère quelconque (des Finances, du Commerce ou des Travaux publics) ne se plie à ses obligations en vérifiant, de manière systématique, l’accréditation des ingénieurs et architectes (locaux et internationaux) qu’il commandite ? Selon Henri-Claude Muller-Poitevien : « À la prochaine catastrophe (…) cela se passera avec des avocats. Qui vont attaquer ces gens qui ont des immeubles publics et qui ont des morts à l’intérieur de ces espaces publics là ?

Ministère du commerce et de l’industrie

De l’intérêt d’impliquer les professionnels haïtiens dans l’effort de reconstruction

Quelle importance dira-t-on, que des firmes étrangères « reconstruisent » Port-au-Prince, et plus particulièrement sa cité administrative ? Les firmes locales sont-elles même capables de concevoir de tels types de projets ?

Selon Gregory Fouchard, architecte : « Vu l’envergure de certains projets, il n’y a peut-être pas beaucoup de firmes en Haïti qui puissent en faire l’exécution, mais il y a plein de firmes capables de faire les études. »  Les dépourvoir de ces multiples opportunités aura permis à de nombreux projets non adaptés à la culture et à la réalité haïtienne, ses coutumes et son identité, de voir le jour.

L’architecte Daniel Elie raconte : « J’ai eu l’opportunité de suivre de très près la conception de deux avant-projets dessinés pour un même bâtiment public de la Cité administrative de PAP. Un bâtiment fortement symbolique. (…) L’un de ces projets fut conçu par un architecte étranger, connaissant peu le milieu et l’autre par un architecte haïtien. Tous deux au talent incontestable et éprouvé. Le résultat était évident. Celui de l’architecte étranger, un bâtiment bien dessiné, était d’une désolante abstraction, placé sur un terrain neutre, non signifiant et chargé de peu d’histoire pour son concepteur. Et visiblement les futurs utilisateurs absents du processus de création ».

Depuis le 12 janvier, plusieurs grands projets de reconstruction définissant notre nouveau Centre-Ville ont été attribués à des firmes étrangères : la Cour de cassation, le Palais des Finances, la Cour Supérieure des Comptes, tous des dons de la République de Taiwan, ont été réalisés par des firmes étrangères (études et exécution).

Le ministère de l’intérieur

Les études architecturales du Palais législatif, celles du MICT (Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales) et celles du MCI (Ministère du Commerce et de l’Industrie) ont été confiées à la firme Dominicaine HADOM/ROFI auxquelles il faut ajouter la reconstruction à l’identique de la Villa d’Accueil, étudiée par l’architecte Dominicain Franco Ortega. Toutes ces études ont été réalisées dans le cadre de contrat clé en main avec l’État haïtien, études et exécution comprise, selon l’architecte Daniel Elie [1].

Un projet symbolique qui a toutefois voulu être celui de l’inclusion des architectes et ingénieurs haïtiens est celui du Palais National. Ce dernier, initié par un appel à manifestation d’intérêt lancée en octobre 2017, permettait aux firmes locales « de s’associer à des firmes étrangères, tout en restant chef de file », explique Daniel Elie, membre du Groupe de Travail et de Réflexion pour la Reconstruction du Palais national (GTRRPN). Il adopte également une nouvelle « formule qui devrait servir de modèle pour les projets d’architecture de marchés publics à venir »  : celle du concours d’architecture. [2]

Selon M.Elie, Haïti gagne tout à normaliser les concours d’architecture afin d’éviter le sempiternel appel d’offres : « Le concours d’architecture écarte la médiocrité » souligne-t-il. L’Histoire dira, cependant, si ce premier concours saura donner lieu à un véritable débat national, démocratique et transparent sur les enjeux identitaires et patrimoniaux ; et conjurer ainsi, un élan et un enthousiasme autour de la question architecturale [3].

Une communauté architecturale quasi invisible

Cet élan est nécessaire. Car, la communauté architecturale Haïtienne peine à faire entendre sa voix, et être reconnue en tant que professionnels notoires au même titre que les notaires ou les avocats. Bien que de plus en plus présente sur les réseaux sociaux, elle ne s’engage pas au jeu de publication et de communication autant qu’elle aurait pu le faire.

En effet, de nombreuses firmes étrangères font, depuis le 12 janvier 2010, de leurs projets réalisés en Haïti leurs étendards en les publiant sur les plateformes et magazines architecturaux les plus reconnus (Archdaily, DesignBoom etc…) et en soumettant ces mêmes projets à des prix internationaux. Cherchez des firmes haïtiennes avec des projets de même envergure (et qualité !) publiées sur Internet, et vous retournerez bredouille. Cette visibilité aurait pour effet d’asseoir la crédibilité de nos firmes, tant à l’échelle nationale et internationale.

Une population peu sensible aux enjeux de l’architecture

Les médias haïtiens, quant à eux, face aux multiples nouveaux projets publics, s’attellent, pour la plupart, à la lourde tâche du dénombrement. Combien de mètres carrés ? Combien de bureaux ? Et surtout, combien de dollars verts ? Aucune question sur la vision, l’identité et la qualité architecturale de ces projets. Ou encore sur le professionnalisme des architectes ou entrepreneurs de ces projets.

« Nos commentaires sont le plus souvent des réponses aux questions des journalistes, qui eux posent leurs questions par rapport à ce qu’ils estiment être l’intérêt de leur auditoire », dixit Clement Belizaire, directeur de l’UCLBP (Unité de Construction de Logements et Bâtiments Publics). En bref, les journalistes ne posent pas de questions qu’ils/elles estiment non pertinentes à leur lectorat, mais surtout des questions auxquels ils/elles n’ont pas été sensibilisés ou formés. Et à juste titre. Qui sensibilise le public en général à la question architecturale et patrimoniale ?

Les médias haïtiens ne posent aucune question sur la vision, l’identité et la qualité architecturale de ces projets.

Ce manque d’intérêt pour la question architecturale explique le peu de médiatisation des problématiques soulevées au sujet de projets construits après le 12 janvier par des firmes étrangères. Critiqués par la communauté architecturale, on compte parmi eux : le kiosque Occide Jeanty conçu par la firme Canadienne Lemay, projet phare de l’administration Martelly que beaucoup d’architectes haïtiens estiment avoir défiguré la Place des Héros de l’Indépendance. Ou encore celui du Morne-à-Cabri (Lumane Casimir), projet urbain depuis lors quasi abandonné, construit par la firme Dominicaine HADOM.

L’architecte Daniel Elie rajoute à cette liste : « Sans hésiter, loin, en tête de peloton : la Cour de cassation au Champ-de-Mars… », un don du gouvernement Taïwanais à l’État haïtien. Les projets décriés semblent se discuter parfois en petit comité, ou en aparté de peur de se faire marquer d’une croix au fer rouge par le potentiel futur donneur d’ouvrage. Lorsque discutés publiquement, ils peinent à obtenir un suivi concret, en raison, entre autres, du manque d’influence du CNIAH [4].

La nouvelle cour de Cassation

Ces projets sont aussi souvent très politisés, et servent d’étendards au pouvoir, peu importe leur qualité architecturale, insertion urbaine ou encore intégration des coutumes et modes de vie propres aux Haïtiens.

Rappelons aussi que la grande majorité de ces nouveaux projets sont situés dans des lieux historiques d’une ville vieille de 271 ans. Entre architecture vernaculaire, néo-classique et coloniale, ces lieux sont témoins d’un siècle et demi d’histoire et possèdent un patrimoine trop souvent sous-estimé et mis de côté.

Protéger notre patrimoine

Car notre patrimoine architectural a malheureusement été l’une des grandes victimes du séisme de 2010. Au lendemain de la catastrophe, les compagnies de démolition s’activent, afin de démolir les bâtiments gravement endommagés. L’Institut de Sauvegarde du Patrimoine architectural national (ISPAN) travaille,  en parallèle, à identifier les bâtiments ayant une valeur patrimoniale qui mériteraient une restauration et un sauvetage [5] dans le centre historique de la ville de Port-au-Prince.

Malgré cela, une destruction « aveugle » fait en sorte que plusieurs bâtiments identifiés sont détruits. « Des bâtiments pratiquement intacts ou peu endommagés, identifiés au mois d’octobre 2010, sont retrouvés rasés au mois de mars 2011 » déplore l’architecte Jeanine Millet. Faute d’un plan de désastre (ainsi que d’un plan de sauvegarde du Patrimoine), et en raison de décisions hâtives et sans concertation par les responsables, sans compter le laisser-aller général ayant permis le vandalisme, deux siècles et demi d’histoire sont alors en danger de disparition.

Dans le 17e Bulletin [6] de l’ISPAN, en date du 1er octobre 2010, l’institution révèle et défend la richesse culturelle et architecturale du centre historique afin de faire « face à la campagne de démolition qui devra précéder la rénovation urbaine projetée pour ce centre-ville, détruit par le séisme. »[7]

L’ISPAN avait alors prévu la course affolée de la « reconstruction » et tenté de mettre en garde de toute intervention faisant fi de notre patrimoine sacré. Toutefois, l’architecte Daniel Elie, et ancien directeur de l’ISPAN, rappelle que la législation de protection des sites et monuments historiques est désuète (elle date de 1940) et surtout que « les institutions sont faibles, les réglementations à créer, à renforcer, à développer et à faire appliquer ».

Il devient alors d’autant plus difficile d’éduquer et de sensibiliser les décideurs et fonctionnaires publics sur les enjeux du patrimoine ; surtout dans l’urgence non planifiée et lorsque les travaux sont financés par des fonds étrangers.

Redorer le blason des architectes et ingénieurs

Aujourd’hui, le CNIAH compte 579 membres actifs (architectes et ingénieurs confondus). Une nette amélioration par rapport aux années précédentes (211 membres enregistrés entre 2011 et 2017), mais une statistique aberrante lorsqu’on sait que le pays compte, a minima, 8 millions d’habitants (selon le dernier recensement de 2003 !)[8]. Sans masse critique, le CNIAH peine à remplir ses caisses afin de fonctionner normalement ; la cotisation annuelle étant fixée, depuis 1974, a un maximum de 40 dollars (selon l’Article 88 des Statuts), somme désormais dérisoire. Il devient donc tributaire de fonds accordés par des organismes étrangers [9].

Pourtant, au lendemain du 12 janvier 2010, plusieurs architectes concernés comprennent la nécessité urgente de réhabiliter l’ordre, mis en veilleuse durant 20 ans : 105 architectes et ingénieurs relancent ainsi le CNIAH en 2011. « Dans cette conjoncture, la remise sur pied du CNIAH nous paraissait une étape extrêmement importante.

Si le gouvernement est censé établir et promouvoir des politiques publiques, le rôle des associations professionnelles et surtout du Collège est de réglementer la profession, de défendre les intérêts de ses membres, mais surtout de promouvoir la connaissance et la recherche dans l’intérêt général. C’est aussi l’interlocuteur le mieux préparé pour discuter avec le gouvernement des politiques à mettre en place, de prévoir des garde-fous comme celui de faire des propositions intéressant directement ou indirectement les disciplines liées a la construction » indique Jeanine Millet.

Ce qui ne se dit pas, tout du moins à haute voix, ce sont les inimitiés internes qu’a connu le CNIAH au sein de ses comités de direction, retardant les tentatives d’avancées et qui, de soleil exacerbé de nouveaux arrivés, fraîchement inscrits, ressemblent étrangement aux guéguerres politiques qui secouent notre nation depuis… 1804.

Sans des institutions fortes, financièrement autonomes, qui défendent les intérêts de notre société, nous sommes voués à répéter les mêmes erreurs du passé : nous nous retrouverons donc avec un centre-ville décousu et dépouillé de son identité, nos professionnels lésés, notre patrimoine culturel balayé d’un revers de main (étrangère !) ; et les plus zélés, ces fous « libres de détruire le patrimoine architectural » comme l’a dit M.Elie, sans un diplôme ou une accréditation formelle, érigeront des tonnes de béton chancelantes au-dessus des têtes de nos enfants. Alors là, nos prières ne suffiront plus.

Par Isabelle Alice Jolicoeur, architecte

[1] Malheureusement, le département de communication de l’UCLBP n’a pas pu répondre à notre demande d’informations sur un échantillon de 12 bâtiments publics dont l’institution est en charge depuis sa création.

[2] Un concours est un processus démocratique selon lequel plusieurs firmes (ou consortiums) soumettent leur proposition de concept sur un même projet et un site donnés ; ces firmes se plient ensuite au jugement éclairé, expérimenté et impartial d’un jury d’experts afin de désigner un gagnant, uniquement sur la base du mérite et de l’excellence.

[3] Le dévoilement du gagnant du concours a eu lieu le 7 janvier 2020.

[4] Le CNIAH publie, par exemple, une note de presse en date du 11 juin 2014 exprimant ses préoccupations concernant le projet de réaménagement de la Place du Champs-de-Mars, dont la présentation par l’UCLBP avait provoqué de vives réactions.

[5] En juillet 2010, l’ISPAN mandate la firme JB Millet Architecte afin d’établir un inventaire des sites et bâtiments présentant un intérêt pour la société, et ainsi tenter de préserver ce qui reste du patrimoine bâti affecté.

[6] Publication mensuelle de l’ISPAN destinée à vulgariser la connaissance des biens immobiliers à valeur culturelle et historique de la République d’Haïti, à promouvoir leur protection et leur mise en valeur ». Source : Bulletin de l’ISPAN.

[7] Bulletin de l’ISPAN No.17, octobre 2010.

[8] Nous notons un ratio de 1 architecte pour 14 462 habitants. À titre de référence, nos voisins les Martiniquais possèdent un ratio de 1 architecte pour 2760 habitants.

[9] La plus récente et importante subvention étant celle du Projet USAID-LEVE signée en Mai 2015 avec une enveloppe de 143 249,00 $.

Isabelle Alice Jolicoeur est une architecte pratiquant en Haïti. Elle est détentrice d’une Maîtrise en Architecture de l'Université de Montréal. A travers l’enseignement ou encore la création, en 2015, de la plateforme Aetypik (vitrine virtuelle et incubateur d'initiatives formatrices et inspirantes pour professionnels et grand public), elle a une mission: faire valoir l'architecture, et la créativité en général, comme outil indispensable au façonnement d'une société durable.

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