« Protéger et servir », c’est la mission des 15 000 membres que compte la Police nationale d’Haïti (PNH). Qu’advient-il quand ces protecteurs viennent à manquer eux-mêmes de protection ? Témoignages
La carrière du policier Berson Angran a basculé un après-midi de juillet 2019. À la tête d’une équipe de quatre policiers, il a été posté à l’angle de la rue Joseph Janvier et du boulevard Harry Truman. Il devait guetter une sortie éventuelle des bandits du Village de Dieu qui d’habitude pointent leur nez à l’angle de la rue Chareron, en face des locaux de l’Électricité d’Haïti.
Avec 2 Galils, un M14 et un fusil Type 65 dans une petite voiture de marque Terios, le policier dit avoir vite compris que lui et ses collègues ne pourront faire face à la trentaine d’hommes lourdement armés qui progressaient sur le boulevard en partance du Village de Dieu.
Surpassés en nombre et peu équipés, le policier et ses collègues ont pris la décision de battre en retraite et d’aller se réfugier quelques mètres plus loin, devant le parquet de Port-au-Prince, en attendant l’arrivée des renforts qu’ils ont appelés.
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Après des heures passées à attendre, le chef d’équipe a levé l’ancre et s’est rendu à son commissariat, afin de protéger sa vie et celle de ses collègues. Surprise. Son arme de service a été confisquée en guise de punition. Aujourd’hui, Berson Angran est transféré dans le nord-ouest du pays, loin de sa femme et de ses trois enfants.
Le policier qui considère ce transfert comme un abus dit avoir protesté sans succès. Il souligne : « J’ai été transféré du département de l’Ouest au Nord-Ouest, donc d’un département à un autre. Ce genre de transfert doit être signé par le directeur général de la PNH. Or, le mien est signé par un simple directeur départemental ».
Questionné sur ce point, le porte-parole de la PNH Michel-Ange Louis Jeune estime que ce dossier de transfert est « flou ». Il exige la présentation de «l’ordre de transfert » du policier « pour pouvoir vérifier la véracité des faits ». Ce qu’Ayibopost a refusé puisque nous avons garanti l’anonymat au policier. Interrogé sur les procédures de transfert au sein de la PNH, le commissaire a refusé de répondre.
Un agent malade dans une zone de conflit
Fin d’octobre dernier, deux chefs de gangs s’étaient donné rendez-vous à Martissant pour se mesurer en vue du contrôle de cette zone stratégique. Pierre Delin, âgé d’une cinquantaine d’années, et souffrant à la fois de l’hypertension et de l’hyperglycémie a été placé dans un point fixe dans cette zone de conflit.
Le policier et ses collègues ont été contraints, malgré eux, à passer toute la journée dans un véhicule non blindé, bien identifié avec seulement leurs armes de poing, sans casques ni gilets pare-balles.
Sur ce point, le porte-parole de la PNH indique que l’institution tient compte de l’état de santé de ses membres avant de leur confier une tâche. Il suffirait d’avoir des documents prouvant son incapacité pour qu’un agent de police puisse bénéficier de la clémence de son supérieur hiérarchique.
Pierre Delin confirme avoir mis ses supérieurs au courant de son état de santé et soumis les documents exigés. Son dossier reste à ce jour classé sans suite.
Des policiers livrés à eux-mêmes
A 52 ans, Pierre Delin compte environ 15 ans de carrière au sein de la PNH. Aujourd’hui, ses deux maladies chroniques, fruits de l’âge et aussi du stress de la profession, contraignent le policier à se rendre chaque mois dans une commune hors de la région métropolitaine, en quête de soins de santé dans un hôpital dirigé par une institution caritative.
Comme tous les policiers, Pierre Delin détient une assurance de santé, mais celle-ci ne couvre pas adéquatement ses besoins.
Comme tous les policiers, Pierre Delin détient une assurance de santé, mais celle-ci ne couvre pas adéquatement ses besoins. Même s’il doit parcourir plusieurs kilomètres, il estime payer moins dans cette commune pour un bien meilleur service.
Des équipements vendus au marché noir
Pierre Delin dénonce l’indifférence des responsables de son commissariat. Malgré tout, le policier affirme se démener pour garder une apparence correcte. Il confie que l’uniforme qu’il portait avant n’était qu’un bricolage de morceaux de tissus qu’il a rassemblés çà et là.
Pour remplacer ses anciennes bottes qui lui donnaient des cors, le policier s’est rendu à la rue Lamarre, non loin de l’ancienne PROMOBANK. Dans cette zone devenue dorénavant « la shop » des policiers, il a extrait 3050 gourdes de ses maigres économies pour se procurer une nouvelle paire de chaussures.
C’est aussi dans l’informel que Delin a obtenu son pantalon. Un particulier ayant des contacts au sein de la PNH lui a vendu le pantalon de police. Ses multiples tentatives pour en trouver un auprès de de la direction générale de l’institution se sont soldées par des échecs.
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Quant à sa chemise, Pierre Delin a été une fois de plus, contraint de mettre la main dans sa poche. Il a acheté « 2 zòn twal » et a payé un tailleur pour la couture afin de remplacer son ancienne chemise qui commençait à céder.
Mais un nouveau défi se présente : trouver les accessoires pour la chemise neuve demeure un véritable casse-tête dans cette institution où « même la distribution des cartouches » se fait en « zanmitay ». Encore, en bon débrouillard, Delin s’est appliqué à décoller les initiales blasées de l’ancienne chemise de police afin de les porter carrément sur la nouvelle.
Dans cette institution, « même la distribution des cartouches » se fait en « zanmitay »
Le policier a effectué toute cette gymnastique alors que normalement, il devait se procurer son nouvel uniforme au sein même de la PNH.
De fréquentes ruptures de stock
Pour obtenir des munitions, il lui fallait un simple « ordre de route » du commissariat où il est attaché. Il a demandé et obtenu ce document de son supérieur hiérarchique, mais arrivé à la direction de logistique de la police, il était surpris d’apprendre que l’institution ne disposait pas des matériels, alors qu’ils sont vendus au marché noir.
De son côté, le porte-parole de la PNH, Michel-Ange Louis Jeune, admet l’existence de ce problème au sein de la police. Selon lui, la PNH a la responsabilité d’équiper les policiers. Mais, « il peut arriver que l’institution fasse face à une rupture de stock au moment d’une demande ». Dans ces situations, il est fort possible que le policier fasse lui-même les dépenses pour se doter d’un nouvel uniforme.
Il convient de rappeler qu’en octobre dernier, des milliers de policiers haïtiens ont défilé dans les rues de la capitale, malgré l’interdiction et les menaces du haut commandement de la PNH. Ils exigeaient entre autres le droit de former un syndicat, une augmentation salariale, un vrai programme d’assurance santé et la prise en charge des agents handicapés dans l’exercice de leurs fonctions.
Les deux policiers interrogés ont requis l’anonymat pour éviter les représailles.
Photo couverture: Des officiers de la PNH à Cité Soleil en formation avec la MINUSTAH. Image: Logan Abassi
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