La transformation du fer en art est un métier à part entière. Florence Joseph est passée maître dans l’art de réaliser ces pièces très appréciées en Haïti et à l’étranger.
Jeudi 13 décembre 2018, il est environ midi quand nous arrivons au Centre d’Art, à la rue Roy. Dans une ambiance calme, Florence Joseph nous reçoit tout sourire avec son mentor, Lionel St-Eloi. C’est au Centre d’Art qu’ils travaillent chaque jour.
Son regard vif, plein d’intelligence et de curiosité frappe. « Ma mère est Haïtienne et mon père Français, commence-t-elle. J’ai grandi à Port-au-Prince. À part Jacmel, je n’ai visité aucune autre ville de province. »
Enfant, elle a habité le même quartier que St-Eloi. Son grand frère – décédé – était un apprenti de ce grand maître. Après ce décès qui l’affecta grandement, St-Eloi la prend sous son aile et lui inculque les rudiments de son métier d’artiste. « J’allais à l’atelier de Lionel de temps en temps. Un jour il me dit que je ne pouvais pas rester à regarder, sans rien faire. Il m’a appris à découper l’acier et j’ai réalisé ma première oeuvre : un coeur. » C’est ainsi que « l’artiste qui dormait en elle », selon St-Eloi, s’est réveillée. Elle avait déjà 41 ans.
Travailler avec flexibilité et précision
Florence affirme qu’elle travaille avec des matériaux de toutes sortes. Elle préfère le métal, mais parfois ses créations demandent plus d’imagination. Il faut avoir assez de dextérité pour manier autre chose que l’acier.
Pour réaliser une oeuvre, il faut beaucoup de patience. Les plus petites pièces sont les plus difficiles à réaliser. Chaque détail compte. « Il faut scier le fer, précise-t-elle. Il faut souder les parties les unes aux autres et parfois les attacher par des noeuds. Pour une plus grosse oeuvre c’est différent. Il suffit de tracer les motifs voulus et de commencer le travail. »
Sa plus grosse réalisation, une sirène en métal, lui a pris environ trois mois de travail assidu. Cette pièce majestueuse a participé à plusieurs expositions internationales, dont l’une en Suisse. Elle représente la « maîtresse de l’eau ». C’est un ensemble de pièces d’acier imbriquées les unes dans les autres, recouvertes de minuscules miroirs. Ils reflètent la lumière du soleil qu’ils renvoient dans différentes directions. Cette représentation mesure plus de deux mètres de haut.
Plusieurs oeuvres de Florence représentent des divinités. Elle tient cela de son maître, un spécialiste du genre. Elle réalise aussi d’autres figurines, dont la fameuse « Fille au ballet », exposée sur la cour du Centre d’Art et qui montre une danseuse figée dans l’exécution d’une chorégraphie.
Une passion qui se transmet
L’un des fils de Florence suit ses traces. Il est un autre apprenti de Saint-Eloi. « Il me dépasse », avoue la dame de fer, avec une pointe de fierté dans la voix. « Mais, ajoute-t-elle, c’est surtout une question de jeunesse et de passion. » Ses autres enfants, en particulier ses filles, ne s’intéressent pas au métier.
Florence ne pense pas qu’elle pratique un métier réservé aux hommes. Elle a participé, entre autres, au gabionnage du morne l’hôpital. En 2010, après le séisme, elle a participé dans le déblayage des rues et des décombres. « Les gens s’étonnent toujours quand ils se rendent compte que je n’ai pas peur de travailler. J’ai l’habitude de fournir de gros efforts », explique-t-elle.
La ferronnerie, une identité de l’art haïtien
La ferronnerie d’art est un trait typique de la culture haïtienne, bien que ses origines ne soient pas d’Haïti. Du simple fer forgé ornant les galeries de nos maisons, à la représentation de nos divinités, les « bòs metal » vivent de leur savoir-faire qui est aussi une façon de recycler les métaux. Florence fait encore remarquer que le recyclage des métaux est ancré dans nos habitudes de peuple. Les petits haïtiens s’amusent encore à fabriquer des jouets à partir de boîtes de lait ou des canettes de bière.
Florence Joseph, fière « bòs metal », disciple de Lionel St-Eloi combine le meilleur des deux mondes pour faire parler son art. La dame du fer a investi tardivement le monde de la ferronnerie, mais mieux vaut tard que jamais.
Jameson Francisque
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