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Le dernier artiste du Bicentenaire à ne pas être parti au Chili

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Wilfrid Desjardins (60 ans) est peintre, il n’a jamais exposé dans une seule galerie d’art en Haïti. Son unique lieu de travail a toujours été la Cité de l’Exposition au Bicentenaire. Depuis quelques temps, la dégradation de la zone a volé tous ses rêves et espoirs.

On est au bicentenaire mais on a curieusement l’impression de se trouver au siège de l’Administration Publique haïtienne. On y trouve la Primature, le Parlement haïtien, l’Autorité portuaire nationale (APN),  la Mairie de Port-au-Prince, la Direction générale des douanes, le Palais de Justice, le Ministère de la défense et  l’Institut haïtien de statistiques et d’informatiques (IHSI). La Cité de l’Exposition n’a presque rien à exposer, à part si on peut les compter, les piles de fatras.

Pourtant, il n’en était pas toujours ainsi. La Cité de l’Exposition a été créée en 1949 par le président Léon Dumarsais Estimé (les travaux de construction avaient commencé depuis 1948). C’était dans le cadre de la commémoration des deux cents ans de la fondation de la ville de Port-au-Prince, d’où le nom « Bicentenaire » attribué à la zone. Le chef de l’État organisa l’Exposition universelle (1er décembre 1949-8 juin 1950) qui allait placer Port-au-Prince au rang des capitales les plus modernes dans l’Amérique après la deuxième guerre mondiale. Cette activité  avait réuni beaucoup d’artistes étrangers notamment deux des plus grandes figures du Jazz dans le monde:  Dizzy Gillepsie et Miles Davis. Lors de cette grande manifestation culturelle, un concours a été organisé et deux médailles (Or et Bronze) ont été décernées à deux peintres haïtiens, Jacques-Enguerrand Gourgue et Gesner Abelard. Depuis, les artistes haïtiens sont restés sur ce lieu qui était devenu une sorte de Mecque des peintres et artisans haïtiens .

Wilfrid Desjardins occupe le lieu depuis 1983. Il  raconte que la place des Nations Unies, la Poste, la place  d’Italie sont entre autres, les réalisations infrastructurelles qui attiraient les touristes au Bicentenaire. Actuellement, le peintre accroche ses oeuvres sur les tôles rouges clôturant l’ancien bâtiment du Ministère des affaires étrangères (qui maintenant se trouve à Delmas 60). Certains de ses toiles sont usés par la poussière. « Je peux passer des semaines sans que personne ne me demande ce que j’ai à vendre ». Tous les jours, il voit défiler des voitures de toutes les couleurs et de toutes les marques faisant des allers et retours dans les institutions publiques de la zone. Il constate depuis quelques années déjà un désintéressement des hommes d’État haïtiens à l’égard de l’art. Il avance d’un ton lassant « Ils ne me voient même pas ici, les haïtiens n’aiment plus la peinture ». En effet, la spécialité de l’artisan sexagénaire a été les anciennes maisons. Il peignait, des gingerbreads que les touristes étrangers adoraient dans le temps. Mais tout cela à changer, les autobus qui débarquaient avec des dizaines de touristes ont fait place aux gros quatre-quatre officiels qui n’offrent que poussière et nuisance sonore. Cela fait plus de huit ans que Wilfrid a arrêté la peinture. « Je passe la journée dans les rues, quand je rentre chez moi je suis fatigué et je ne peux pas travailler, maintenant j’achète les tableaux d’autres peintres pour les revendre. »

Quand l’art servait à quelque chose à la Cité de l’Exposition

« S’il y a aujourd’hui une marchandise aussi rentable que la peinture dans les années 80 à la Cité de l’Exposition, c’est la cocaïne. Et, les peintres étaient nombreux », lance Wilfrid qui est le seul artisan trouvé au bord de la rue en face du Parlement. Tous ses collègues ont abandonné le métier, certains vont au Chili, d’autres vont au Brésil. Pourtant, Wilfrid Desjardins s’en sortait pas mal vingt ans de cela à la Cité.

Il a bâti de ses fonds propre sa résidence à Croix-des-Prés. Desjardins a quatre enfants qui sont respectivement en Sciences Infirmières, Sciences du développement, Hôtellerie et Tourisme et la toute dernière vient de passer son bac terminal. Il a pu payer la scolarité de ses filles grâce à ses toiles exposées depuis plus de trois décennies au Bicentenaire. Il a doté sa femme d’une boutique qui leur permet aujourd’hui de répondre aux besoins quotidiens de la famille, maintenant que l’art ne lui sert presqu’à rien.

La Cité de l’Exposition a perdu tout son prestige

« Même la mausolée qui contenait les restes du Président Estimé n’est plus en bon état », relate l’artisan, qui croit que le centre des activités du pays se trouve maintenant à Pétion-Ville. Il regrette que les étrangers ne visitent plus la Cité de l’Exposition. Ce n’est plus le lieu à faire visiter par les enfants. Les jets d’eau de la place des Nations-Unies lui manquent énormément, les touristes ont disparu, ajouté à cela les récentes turbulences enregistrées au Village de Dieu par le chef de gang Ti Anel. Ces circonstances ne sont pas sans conséquences sur la vie du père de famille.

Du haut de ses 60 ans, Desjardins n’a jamais été aussi incertain sur l’avenir de sa famille. Sa fille qui finit ses études classiques n’est pas sûre de pouvoir rentrer à l’Université. Seul un miracle pourrait le convaincre du contraire. Bien que la peinture ne lui rapporte presque rien, il passe ses journées devant ses oeuvres accrochées dans l’espoir qu’un jour la Cité de l’Exposition ressucitera de ses cendres.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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