Le colorisme désigne les rapports de couleurs au sein d’un même groupe racial. Noté dans le contexte haïtien, la population est noire, mais au sein de la société il y a des distinctions de couleurs, la principale est entre les mulâtres (Noir-e-s à peau claire) et les Noirs (Noirs à peau foncée)” Il y a aussi d’autres catégories (en fonction de la couleur et de la texture de cheveux) mais pour les besoins de ce texte, nous ne rentrerons pas dans ces détails. Contrairement à d’autres pays de la Caraïbe il n’y pas en Haïti des Blancs descendants d’esclavagistes.
En tant que personnes ayant grandi en France, je suis plus impactée et au fait du racisme que par le colorisme, même si celui-ci joue dans les rapports au sein de la famille et amoureux au sein des communautés noires en France.
Je vais en Haïti quasiment tous les ans depuis que j’ai 15 ans, les rapports de couleurs ne m’étaient pas clairs lorsque j’étais plus jeune. Venant dans le cadre familial, il était plus évident de noter les rapports entre nous, les diasporas, les Haïtiens et tous les rapports d’inclusion et d’exclusion qui se jouaient.
Depuis quelques années, je comprends mieux la place particulière, intermittente, en transit, qu’occupent les diasporas dans les rapports de couleurs et de classe en Haïti.
La position de diaspora se vit hiérarchisée, cette hiérarchie se fait sur plusieurs critères, en ce qui concerne la première génération d’immigrants :
- Le pays d’immigration : les Etats-Unis, le Canada et la France occupant une place de choix, alors que la République Dominicaine, les Bahamas, Cuba et maintenant le Chili sont en queue de classement. On retrouve au milieu le Brésil et Taïwan.
- Statut d’immigration : résidence ou nationalité. Les personnes sans statut sont dans un flou vu qu’elles ne peuvent faire l’expérience de diaspora, ne pouvant revenir en Haïti. Les personnes déportées sont quant à elles quasi déchues de ce statut, surtout celles ayant passé de nombreuses années à l’étranger. Elles sont dans la catégorie spécifique des déportés.
- La fonction occupée à l’arrivée : Au sein du groupes de primo-arrivants (première génération d’immigrant) à l’âge adulte, des distinctions entre ceux qui occupent des postes demandant peu ou pas de qualification et ceux dans les professions intermédiaires, intellectuelles et supérieures, pour lesquelles ils ont été formés en Haïti ou sur place.
La catégorie à laquelle j’appartiens, les enfants des primo-arrivants, dispose de la nationalité étrangère. De fait ayant grandi dans un pays étranger, notre façon d’être, les codes vestimentaires, notre accent (quand nous parlons kreyòl) ne laissent pas de doute sur notre statut.
D’abord, il y a la fréquence et la densité des liens que nous entretenons (ou pas) avec Haïti. Contrairement à nos parents, il faut être dans une démarche proactive pour entretenir des liens avec Haïti une fois arrivés à l’âge adulte.
Ce qui m’intéresse ici, c’est une frange bien particulière: ceux d’entre nous qui ont connu une trajectoire de mobilité sociale importante via les études et dont les parents viennent de milieux modestes.
C’est en partant de cette catégorie que je me demande de quelles couleurs sont les diasporas. Lorsque vous êtes noir foncé d’une famille modeste, ayant grandi dans des quartiers populaires à l’étranger, mais que vous avez la nationalité américaine, canadienne ou française et que vous êtes diplômé de l’enseignement supérieur, la mobilité sociale ne se fait pas seulement dans le pays de votre nationalité mais aussi en Haïti; que vous ayez décidé d’y entretenir des liens en investissement économique, social et/ou culturel.
Avec une amie diplômée d’une prestigieuse université britannique, nous parlons souvent de la façon dont nous bénéficions d’une bienveillance de la part des personnes claires de peau, au vu de nos diplômes ainsi que des postes que nous occupons, mais en étant très lucide sur le fait que si nos parents n’avaient pas migré, jamais ces personnes ne nous auraient même adressé la parole. Se complaire dans cette situation serait malhonnête, car il est évident que si nous sommes bienvenus, d’autres ne le sont pas, et parmi ces autres: nos propres parents, qui ont gardé des marqueurs de classe stigmatisés; Mais aussi les Haïtiens qu’ils soient foncés de peau ou de classe populaire, même ayant fait des études, doivent prouver sans cesse leur capacité à maîtriser certains codes pour pouvoir espérer des opportunités dans une société où elles sont rares.
Ces interactions ne sont pas les mêmes dans les pays occidentaux (où se mêlent rapports de race et de classe) ou ici même sans diplôme. Le fait d’avoir un passeport qui accorde la liberté de circulation dans un monde régi par le contrôle de frontières, nous place dans une situation de privilège certain. De plus même si nous sommes la marge culturelle de l’Occident, nous en sommes un produit, dans un contexte mondial qui valorise tout ce qui est produit par cet espace.
De l’autre côté en tant que diaspora de deuxième génération, ayant connu la mobilité sociale, nous sommes à notre corps défendant une publicité vivante pour les discours occidentaux sur l’immigration comme possibilité d’épanouissement. Ces discours mentionnent rarement les mentions légales : la ghettoïsation dans les quartiers populaires, les violences et crimes policiers, la criminalisation des individus/communautés et la prison, le chômage de masse, le mal-logement, le non-accès aux soins.
Nous essayons d’investir ce pays, qui nous habite comme on habite la marge: un pays où l’on peut aller et venir, quand une grande partie de la population ne cherche qu’à aller en sacrifiant leur économie et leur vie.
Nous avons accès à des espaces dans lesquels nous aurions 0,000002% de chances d’être accueillis avec autant de chaleur si, dans une vie parallèle, si nous avions grandi ici.
Un proverbe haïtien dit : « nèg rich se milat, milat pòv se nèg »
Au final cette catégorie spécifique de diasporas, à laquelle les deuxièmes et troisièmes générations d’Haïtiens qui ne vivent pas toute l’année en Haïti appartiennent, est de la couleur de leur passeport, une fois passée l’immigration haïtienne.
Fania Noël
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