Malary tremblait légèrement en répondant aux questions du consul.
Il s’était dit qu’il se montrerait calme, vu que son dossier était assez étoffé pour convaincre la femme qui le regardait derrière la vitre. Mais pas un instant, elle n’avait baissé les yeux sur le dossier que le jeune homme avait constitué pour sa première demande de visa américain. Elle ne faisait que le mitrailler de questions, ce qui accroissait l’anxiété de Malary qui avait l’impression que les yeux de la femme le transperçaient et voyait au plus profond de lui.
Ce visa, il en rêvait depuis ses 14 ans. Depuis que Emile, son ami d’enfance avait quitté le pays pour rejoindre ses parents aux Bahamas. Cinq ans après, ce dernier lui avait envoyé de ses nouvelles… depuis les Etats-Unis. Il lui avait expliqué que là-bas, si on mettait du cœur à l’ouvrage, on pouvait gagner un millier de dollars par mois.
– Imagines comment tu pourras aider tes parents en Haïti si tu viens me rejoindre !
L’idée avait séduit Malary qui avait toujours juré que la mort ne surprendrait pas son père, penché sur un lopin de terre craquelé par la sécheresse pour en faire sortir des vivres ; ni sa mère en plein marché. Il avait donc fait des économies avec l’argent qu’il gagnait, lorsque sa mère vendait les produits du lopin de terre que son père lui avait confié pour le cultiver. Il avait redoublé d’assiduité dans ses études pour être sûr de décrocher le bac I avant sa vingtième année. Etre un élève-cultivateur n’étaient pas deux rôles faciles à assumer en même, mais Malary qui s’était juré de ne pas laisser Arcahaie pour aller vivoter à Port-au-Prince comme nombre de ses amis d’enfance y voyait son salut.
Il parvint à épargner 117 mille gourdes en quatre ans, puis en vendant son bœuf et trois cabris qui l’appartenaient, il avait pu disposer de la somme de 120 mille gourdes sur son carnet d’épargne, que son père gardait pour lui bien à l’abri dans le buffet familial.
Le bac obtenu, il avait mis ses parents au courant de son projet. Aîné d’une fratrie de 5 enfants et ayant toujours fait montre de responsabilité, ses parents avaient approuvé son choix. Pour eux, un visa américain dans la famille serait une porte ouverte pour les plus petits de quitter un jour le pays. Car Louissel et Marcilia voyaient l’avenir d’un air sombre pour leurs 6 enfants nés dans la Cité du drapeau. Ils avaient donc ajouté leur maigre épargne sur le compte en banque de leur fils pour qu’il puisse épater le consul qui verrait bien que le relevé de compte de Malary était assez bien garni. En outre, Malary avait demandé conseil à Emile pour savoir tout ce qu’il lui fallait dans son dossier et comment préparer son entretien pour la demande de visa. Et il s’était bien préparé !
Mais maintenant, voilà qu’il se retrouvait incapable de cacher son angoisse devant cette femme qui lui faisait passer un véritable examen ! Enfin la femme sembla en avoir marre de le voir devant lui et lui expliqua d’une voix neutre qu’il n’était pas qualifié pour avoir un visa américain en lui glissant un document qu’elle lui demanda de lire.
Malary dépité eut l’impression de recevoir un seau d’eau froide sur la tête. Il resta devant le consul à la fixer. Cette dernière lui répéta qu’il n’était pas qualifié et lui expliqua qu’elle devait recevoir un autre candidat. Malary tourna les talons sans prendre le document que la femme lui avait glissé et se dirigea vers la sortie sans prêter attention aux gens qui le regardait.
Une fois dehors, il fut happé par un type qui semblait l’attendre et qui se mit à le harceler de questions. Il voulait savoir s’il avait eu le visa, quel consul lui avait parlé, si tout s’était bien passé. Malary regarda l’homme qui sentait étrangement bon malgré le fait qu’il semblait passer la journée sous le soleil devant l’ambassade.
– Non, je ne l’ai pas eu, bégaya Malary, encore sous le choc du refus.
Le type devient plus volubile et l’entraîna dans un coin où d’autres comparses qui avaient commencé aussi à harceler Malary de questions ne pouvaient les déranger.
– Ecoute petit, tu pourrais être mon fils, donc je vais t’arranger cela. M ap fè w jwenn viza a ! Je connais le consul. C’était sûrement Mary. Mince, de longs cheveux noirs et le regard perçant, pas vrai ? Je la connais. Je peux arranger ça avec elle.
Malary commençait à avoir la tête qui tournait. Il ignorait si c’était dû au refus ou au parfum de l’homme qui le fixait sans détourner un instant des yeux tout en étant de plus en plus volubile. Le jeune homme se laissa alla contre le mur.
– Petit tu as de l’argent à la banque pas vrai ? On va aller à la banque, tu me donnes 100 mille gourdes et je t’arrange cela avec Mary. Viens petit on va à la banque.
Malary acquiesça et le suivit comme un automate. Il avait son carnet d’épargne avec lui, il l’avait apporté au cas où.
Deux heures plus tard, il retirait 100 mille gourdes sur son compte après que le directeur de la succursale l’eut criblé de questions pour connaître la raison d’une telle transaction. Malary s’énerva de ce deuxième interrogatoire en rappelant à l’homme que son argent lui appartenait et qu’il pouvait en faire ce qu’il voulait !
Quelques minutes après, il confia à l’homme qui l’attendait dehors une enveloppe jaune avec toute l’épargne familiale. Ce dernier le saisit et échangea avec lui une poignée de main en lui donnant rendez-vous le lendemain devant l’ambassade, muni de son passeport pour lui faire obtenir le visa de l’aigle. Puis il sauta sur une moto et disparut.
Malary le regarda partir, les effluves du parfum enivrant de l’homme flottant encore dans l’air.
(A SUIVRE)
Jowànn Elima Chachoute
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