Tupac, the notarious BIG, Easy E… voilà quelques-uns de ceux qui ont quitté le grand monde du hip-hop. Chez nous, on a certainement connu la perte du pionnier en la matière : MasterG.
La génération 70, en partie, et surtout celle de 80 se sentaient incomprises dans une société néolibérale qui prenait des couleurs aristocratiques. La société américaine, libérée constitutionnellement de la ségrégation raciale, n’en ressentait pas moins des séquelles jusque dans les années 80. Était nécessaire pour la jeunesse afro-américaine, comme leurs pères, d’affirmer leur négritude. Cette fois-ci, elle ne pouvait se faire avec la génération vieillissante d’Harlem qui clamait à voix haute: « Black is beautiful ».
De Compton à Brooklyn en passant par les ghettos de Detroit, la jeunesse se retrouvait beaucoup plus dans la négritude crachée par les vers de NWA ( Nigga with attitude) et celle criée dans les slogans de Public Enemy que dans l’expression politique du BLACK CAUCUS. Le rêve de Martin Luther King se réalisait à travers le hip-hop sans que les ténors noirs Députés et Sénateurs aient pu s’en rendre compte.
Tel a commencé un mouvement qui gagnera toute la planète. Aujourd’hui on rappe en anglais, japonais, chinois, allemand, arabe mais aussi en créole.
Bel air, Cité Soleil, Bas peu de choses, Carrefour-Feuilles, Carrefour, Petion-ville se voient de nos jours envahis par la culture hip hop. Largement influencé par Wyclef Jean nimbé d’un prestige international, ce mouvement habite la jeunesse des quartiers populaires porteuse de renouveau social.
Voilà maintenant plus d’une trentaine d’années que Jean-René Jérôme, dans son atelier à Carrefour-feuilles rêvait d’extraire chez des jeunes l’expression de la transcendance artistique par le biais de la musique, la sculpture et la peinture. À moins de deux kilomètres de cet atelier, dans le quartier du Bas Peu de Choses, cette expression artistique fleurit encore, après plus d’une dizaine d’années de la disparition du rêveur.
Ce qui se traduisait depuis des siècles par la littérature, le théâtre, la peinture la sculpture… s’exprime dans cette agglomération port-au-princienne, non sur ces supports traditionnels mais sur un beat. C’est une poésie trop franche et trop crue pour être appelée poésie, et c’est une musique trop sèche et trop neuve pour être appelée musique : c’est le rap.
Une dizaine de jeunes hommes ont décidé en 2004 de créer un groupe qui criait douleur, désespoir, tristesse mais qui chantait les rêves, les femmes et la patrie. Avec « Ki jan l’ te ye » son premier hit, Barikad Crew représentait la voix de toute la jeunesse haïtienne emprisonnée dans les méandres d’une crise sociopolitique qui n’en finit pas de perdurer. 2006, le groupe sort une méringue carnavalesque à succès adoptée par les émissions de musique haïtienne.
2007, l’album « Goumen pou sa w kwè » est le plus vendu en Haïti.
2008, Barikad Crew est le premier groupe rap à participer au défilé carnavalesque.
Ce court et intense parcours prometteur d’un lendemain flamboyant est donc interrompu en plein vol.
De l’Olympia en Plaine où le groupe avait enflammé le public il fallait aller vite faire la fête avec Radio Caraïbes au bercail. La jeunesse, bien qu’elle soit pensante porte en elle la folie. Cette nuit du 14 au 15 juin, la voiture allait aussi vite que leur succès. Les règles du showbiz ne sont pas celles de la circulation. Cette fâcheuse méprise a coûté la vie à trois des membres de ce groupe déjà mythique du « rap kreyòl».
On ne savourera plus les cours de philosophie du ghetto de « Papa Katafal ». Notre ouïe ne sera plus caressée par le lyrisme de DéjaVoo, et notre patriotisme ne sera plus éveillé par le martèlement vocal de Dade. En si peu de temps ils ont conquis le coeur de toute une génération. Hier, c’était la gloire, aujourd’hui le deuil. Sachez, chers icônes, dans les bons et les mauvais moments, les « tapajè » (les fans) sont restés attachés à Barikad crew. Dans ce drame, ils le seront encore plus. Certes, la figure de proue, Papa Katafalk, n’y est plus mais on ne peut espérer autre chose qu’une renaissance. « Nou di non », Barikad pap kraze.
Pour exprimer une telle tragédie, il faudrait la force de Katafal, les mots de Déjà vu et la voix de Dade. Comme je ne détiens pas d’aussi grands moyens, je vous décris alors mon songe de ce matin. Je vois Katafalk, Dade et DéjaVoo reçus au « Gangsta paradise » par Tupac et BIG. Pour leur entrée dans ce nouveau monde, ils sont accueillis sur une scène tapissée de roses par Master G et Don Chòv.
Voyez-vous, l’histoire continue là-haut. Ici-bas, le jour se lève encore, et le mouvement avec lui. Je ne prévois donc que de beaux jours et des nuits festives plus jamais dramatiques dans nos rangs.
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