En 2003, Les Stephan débarquent à l’aéroport Toussaint Louverture pour venir chercher leurs enfants adoptifs dans un orphelinat à Port-au-Prince. Une expérience qui les a marqués à jamais. Une quinzaine d’années plus tard, ils rouvrent ce chapitre et en parlent sans hésitations ni regrets mais plutôt avec bonheur dans les yeux.
Nous utilisons certains mots sans tenir compte de leurs charges spirituelle et émotionnelle. Quand des évènements auxquels on ne s’attend pas arrivent, nous les mettons sur le compte du hasard, de l’inconnu. J’ai envie de croire que le hasard est ce fil rouge invisible qui nous lie, qui nous met les uns sur le chemin des autres pour accomplir une mission plus grande que nous. Rêveur ! Peut-être ! Mais le rêve nous permet d’affronter l’atrocité du monde.
Ma rencontre avec les Stephan s’est faite naturellement, comme un point sur lequel il fallait s’arrêter sur ce long fil rouge. D’une discussion sur les réseaux sociaux avec Pierre Yvenel Augustin Stephan, l’ainé de la fratrie, j’ai rencontré une famille aimante avec Haïti au cœur d’une riche d’histoire d’adoption.
Haiti, terre d’adoption
Haiti comme terre d’adoption pour les Stephan fut un heureux concours de circonstances. Dans leur plan, ils avaient écarté l’idée d’adopter en Europe et avaient pensé plutôt à l’Afrique de l’ouest. Doucement, Haiti est entrée dans la conversation. Dans leur démarche, ils voulaient adopter une fratrie et non un enfant unique. Après avoir obtenu l’agrément les autorisant à adopter les frères, un collègue de travail les informa qu’une association en Haiti cherchait des parents car il y avait 3 fratries en attente d’adoption. Les Stephan se sont dit alors que c’était une opportunité à saisir.
Ils entrent en contact avec l’association Rayon de Soleil, chargée de mettre en place les dossiers d’adoption. Et le processus s’est enclenché très rapidement. Les seuls critères qu’ils avaient étaient d’avoir des enfants de moins de 6 ans, pour qu’il n’y ait pas de complications lorsqu’ils arrivent en France pour commencer leur scolarité. En février 2003, ils reçoivent la photo de deux garçons, deux frères, Pierre et Nonna, l’un âgé de 3 ans et l’autre d’un an et demi, en attente d’adoption dans un orphelinat à Port-au-Prince. Les premières photos ont confirmé leurs attentes et leur demande. Ces deux garçons, aux yeux curieux et rieurs, seront les leurs.
Le voyage en Haïti
Les Stephan arrivent en Haïti en septembre 2003, 5 mois avant le départ de l’ancien président Jean Bertrand Aristide. Ils trouvent un pays en plein chaos, au bord de l’implosion. Une manifestation les accueille à leur sortie de l’aéroport. La personne qui est venu les chercher est armée et l’hôtel, où ils sont descendus à Pétion-Ville, est gardé par des hommes lourdement armés. Un climat assez tendu et inquiétant les ont amenés à se demander s’ils pourront quitter le pays avec leurs enfants.
Comment va se passer cette première rencontre avec les garçons ? Quand vont-ils pouvoir rentrer car ils n’ont pas de billets de retour ? Les autorités vont-ils les laisser quitter le pays avec les enfants ? Tant de questions qui les ont assaillis, entre les murs de leur hôtel à Pétion-Ville.
Quand ils arrivent enfin à l’orphelinat, ils trouvent une dizaine d’enfants, en provenance de Verettes, abandonnés par leurs parents. Les deux garçons, tout habillés, patiemment les attendant, un peu timides et renfermés sur eux-mêmes.
Les premières années en France
Malgré le la situation chaotique, les Stephan laissent Port-au-Prince à destination de la France avec Pierre et Nonna, leurs enfants adoptifs. Changement de style de vie, ils ont vendu leur appartement pour emménager dans une maison en périphérie de Paris. Les premiers mois furent une période de prise de connaissance, de découvertes pour tout le monde. Les enfants de leurs côtés ont appris à connaitre et à s’habituer au climat, à parler la langue, à s’habituer et à apprécier la gastronomie française. C’était une grande période d’adaptation car le rythme de vie en France était totalement différent de ce à quoi ils étaient habitués. « Tout petit quand ils sont arrivés, j’ai eu peur. J’avais peur de ne pas les comprendre, je ne sais pas pourquoi. J’avais peur qu’ils puissent ne pas m’aimer. C’est quelque chose qui vous traverse l’esprit mais qui ne reste pas. » confia Marie-Laure Stephan. Une peur à laquelle est confronté tout parent qui décide d’emprunter le chemin de l’adoption. Par la suite des liens solides se sont tissés entre eux. Les enfants ont grandi à leur rythme, Pierre a fait montre d’une grande curiosité à l’école, toujours en demande d’activités, il apprenait vite et voulait toujours apprendre. Tout lui plaisait.
Pendant toutes ces années, les Stephan n’ont jamais douté de leur amour pour leurs enfants. Ils ne se sont jamais doutés qu’ils élevaient leurs enfants à eux comme s’ils étaient de leur propre sang. Aujourd’hui, leurs relations sont encore très solides.
Aborder l’avenir ensemble avec sérénité
Les Stephan ont toujours fait preuve d’une grande ouverture d’esprit à l’égard de leurs enfants. Ils ne leurs ont jamais caché leur origine ni leur histoire. Ils ne voient aucun inconvénient à ce que Pierre et Nonna veulent remonter à leurs parents biologiques, ils leur promettent pleinement leur soutien au cas où ils voudraient emprunter ce chemin. Le dossier d’adoption est à leur disposition s’ils souhaitent le consulter, explique Alain Stephan. C’est une conversation qu’ils commencent à aborder tous ensemble, la possibilité pour les enfants, de rentrer en Haïti, de retourner à Verettes, leur ville de naissance et de retracer l’histoire de leur famille. Ils ont grandi hors d’Haïti mais le cordon n’a jamais été coupé, ils étaient profondément touchés par le séisme du 12 janvier qui a dévasté le pays. Ils étaient bouleversés par les images qu’ils voyaient à la télévision.
Aujourd’hui Pierre Yvenel Augustin Stephan, l’ainé, est un gymnaste de haut niveau qui représente la France tant au niveau national qu’international. Nonna de son côté avance lentement vers sa vie d’adulte. Quant à la possibilité de retourner sur les traces de sa famille, Pierre affirma « Je ne sais pas ce que ça fait d’être un haïtien qui a vécu en Haïti. Je sais que je viens d’Haïti, mais j’ai passé toute mon enfance et mes premières années d’adulte en France. J’ai la mentalité d’ici. J’attends vraiment de voir l’impact que ça aura sur moi quand mes pieds retoucheront le sol d’Haïti. Peut-être que ça va me ressourcer ou ça va me faire un choc, je ne sais pas. Je conçois ce voyage comme une possibilité de renaitre. Sur le plan du sport, j’aurais aimé représenter Haïti un jour, car ça doit être excitant et cool de représenter son pays d’origine. »
Soucaneau Gabriel
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