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Son mari policier assassiné, elle raconte ses péripéties pour élever deux enfants

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«C’est dur de vivre comme ça, alors que mon mari servait le pays à travers l’institution policière», confie-t-elle, bouleversée, à AyiboPost

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29 juin 2021, à Delmas 32, deux hommes armés circulant à moto criblent de balles la voiture dans laquelle se trouvait le policier de la 28e promotion de la Police nationale d’Haïti (PNH), Guerby Geffrard.

L’annonce de sa mort, quelques heures après son admission d’urgence à l’hôpital Bernard Mevs, a été faite par le Syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH-17), dont il était le délégué.

Au crépuscule d’une longue lutte pour de meilleures conditions de travail au sein de la Police, Guerby Geffrard laisse derrière lui sa femme et deux enfants en bas-âge.

Le policier Guerby Geffrard et son enfant

Si deux années après, l’enquête sur les circonstances entourant l’assassinat du policier est encore au point mort, sa famille ne semble pas encore sortir de l’impasse causée par son départ. «Après sa mort, nous avons rencontré beaucoup de difficultés à joindre les deux bouts», fait remarquer sa femme, Josée Exavier, interviewée par AyiboPost.

Exavier dit avoir fait maintes démarches auprès de la direction générale de la PNH pour recouvrer le chèque de son mari, assassiné. Mais ces démarches n’ont pas abouti, dit-elle.

AyiboPost a contacté Garry Desrosiers, le porte-parole de la PNH, pour commenter ces affirmations et s’enquérir de l’état d’avancement de l’enquête. Après avoir promis des réponses, les appels répétés à l’endroit du porte-parole n’ont pas été décrochés.

Au crépuscule d’une longue lutte pour de meilleures conditions de travail au sein de la Police, Guerby Geffrard laisse derrière lui sa femme et deux enfants en bas-âge.

Dans la foulée du drame, après avoir pris la parole dans une station de radio de la capitale, Josée Exavier n’avait de cesse d’essuyer des menaces de mort de la part d’un ensemble d’appels anonymes dans la deuxième moitié de 2021, raconte-t-elle.

À plusieurs reprises, poursuit la jeune dame, la voix à l’autre bout du fil menaçait d’attenter à sa vie et celles de ses enfants.

«Des inconnus se sont rendus devant l’établissement scolaire de mes enfants pour me menacer», confie-t-elle.

Par peur, Exavier a dû arrêter de se rendre à l’école.

Ces menaces ne cessèrent définitivement qu’en mars 2023, lorsqu’elle quitte la zone métropolitaine pour s’installer ailleurs dans le pays.

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Né à Mare Rouge dans le département du Nord-Ouest le 17 février 1986, Guerby Geffrard intègre la direction de la police administrative en 2018.

En 2020, au sein du SPNH-17, la silhouette du trentenaire va se préciser.

Devenant l’une de ces voix stridentes qui réclamaient, entre autres des avantages salariaux, une carte de débit renflouée régulièrement et des avantages sociaux pour ses frères d’armes, Guerby Geffrard foulait fort souvent l’asphalte goudronné des rues de Port-au-Prince.

«C’était un policier avec une âme guerrière», relate à AyiboPost Synci Domond, son confrère au sein du syndicat.

Dans la foulée du drame, après avoir pris la parole dans une station de radio de la capitale, Josée Exavier n’avait de cesse d’essuyer des menaces de mort de la part d’un ensemble d’appels anonymes dans la deuxième moitié de 2021.

Le 17 mai 2020, le SPNH-17, un groupement de policiers syndiqués a été présenté officiellement à Delmas.

Créée par un parterre de policiers, cette structure syndicale comptait brandir à la face des hauts responsables de la PNH les demandes de près de plus de 10 000 agents de l’institution policière répartis à travers tout le pays.

Le SPNH-17, critiqué et accusé de complicité avec le groupe de policiers connu sous le nom de Fantom 509, voguait vers des horizons opposés avec l’institution policière, ont alors accusé des responsables.

«Le SPNH n’était pas bien vu par les responsables de la police nationale d’Haïti», selon Synci Domond, actuelle porte-parole du syndicat qui comptait Yanick Joseph comme coordonnatrice générale, Abelson Gros-Nègre comme porte-parole, Guerby Geffrard comme délégué adjoint, entre autres.

Délégué, la voix tonitruante de Guerby Geffrard rythmait souvent les manifestations et les sit-in des policiers.

Mais, si son nom était connu lorsqu’il est entré dans la Police, il faut dire que selon ses proches, Guerby Geffrard n’a pas démarré sa vie professionnelle en tant que policier.

«Guerby Geffrard s’est frotté à divers métiers et centres d’intérêt», selon sa femme, Josée Exavier.

Carreleur, Karateka, Geffrard a aussi développé un intérêt pour l’enseignement. Ce qui l’a conduit au Centre de Formation pour l’École fondamentale (CFEF) en septembre 2010.

«Malgré son statut de policier, il se rendait toujours au lycée Horacius Laventure pour travailler avec les enfants», se remémore sa femme.

Si deux années après, l’enquête sur les circonstances entourant l’assassinat du policier est encore au point mort, sa famille ne semble pas encore sortir de l’impasse causée par son départ.

Abelson Gros-Nègre, de son côté, retient l’image d’un professionnel responsable, fidèle à ses tâches.

«C’était un jeune homme qui cultivait le sens de responsabilité, qui avait cru dans le travail et qui se dévouait corps et âme pour le bien-être de ses proches et des policiers», relate celui qui faisait partie lui aussi des premiers fondateurs du SPNH-17 et qui, à cause de son verbe audacieux et critique contre l’ancien ministre de la Justice Me Lucmane Delille, allait — selon lui — être battu par des agents de l’Unité de Sécurité générale du Palais national (USGPN), écroué et évincé de l’institution policière en septembre 2020.

De nombreuses difficultés parsèment le travail quotidien des agents de l’ordre. En plus des salaires rachitiques, les policiers déplorent régulièrement les mauvaises conditions de travail et exigent, entre autres, des avantages sociaux, l’augmentation de la ligne de crédit, la mise à disposition d’équipements adéquats et la palliation des problèmes logistiques.

Le 23 mars 2021, à la suite de la mort en pleine rue du policier Pierre Richard Mistal dans un affrontement entre les agents de la PNH et le groupe Fantom-509, les noms de plusieurs policiers syndiqués, dont celui de Guerby Geffrard, ont circulé dans un mandat d’amener.

C’était un jeune homme qui cultivait le sens de responsabilité, qui avait cru dans le travail et qui se dévouait corps et âme pour le bien-être de ses proches et des policiers.

Considérés comme des «dissidents» au sein de l’institution, les mobiles du mandat contre ces agents de l’ordre tournaient autour de tentative d’assassinat, destruction de biens publics et association de malfaiteurs.

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Une interdiction de départ était aussi de la partie, estampillée par le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince d’alors, Me Bed-Ford Claude.

Le 29 juin 2021, Guerby Geffrard s’était rendu à Delmas 32, sa zone natale, pour honorer de sa présence une activité qui commémorait la mort, auparavant, de l’un de ses amis policiers, lorsque deux hommes à bord de moto ont tiré sur la voiture dans laquelle il se trouvait.

Il laisse derrière lui trois enfants, respectivement âgés de sept et six ans, dont deux avec sa femme Josée Exavier.

Décidée à prendre son mal en patience, Josée Exavier s’activa dans le commerce de riz à Port-au-Prince, activité qu’elle tenait bien avant la mort de son mari.

Mais le blocage des axes routiers de Canaan mettra à mal ses activités et rajoutera une couche sur sa précarité de mère veuve qui doit absolument nourrir ses enfants orphelins.

«C’est dur de vivre comme ça, alors que mon mari servait le pays à travers l’institution policière», confie-t-elle, bouleversée, à AyiboPost.

Il laisse derrière lui trois enfants, respectivement âgés de sept et six ans, dont deux avec sa femme Josée Exavier.

Sa situation n’est pas unique.

Après la mort des policiers, leurs familles rencontrent de grandes difficultés pour joindre les deux bouts.

Le décret du 20 juillet 2022 consacre une indemnisation spéciale de risque au bénéfice des policiers victimes dans des opérations spéciales de l’institution. Dans le cas où il y a mort d’hommes, l’argent sera versé au conjoint.e survivant.e ou au concubin.e dûment enregistré.e dans le certificat de déclaration de concubinage notoire et à ses enfants mineurs. Et les obsèques seront à la solde de l’État.

Garry Jean-Baptiste, porte-parole du SPNH-17, relate que l’indemnisation oscille entre cinq cent mille et un million de gourdes, selon l’accident ou le grade du limier. «Et le reste du fonds collecté sur son assurance, après avoir servi à organiser ses funérailles, devrait être versé à sa famille», renchérit Jean-Baptiste qui souligne un véritable «casse-tête» pour les familles des policiers qui cherchent à recevoir ces frais.

Certaines conjointes de policiers morts en service butent souvent aussi sur les écueils du chantage sexuel quand elles tentent d’obtenir le chèque de leur mari, selon une enquête sortie par AyiboPost. Elles sont parfois violées, harcelées ou agressées sexuellement par des employés de l’institution.

Lire aussi : Le harcèlement sexuel des veuves de policiers gangrène la PNH

Le 29 juin 2023 ramène les deux ans de la mort de Guerby Geffrard.

Deux ans après, le crédo sacré «l’enquête se poursuit» ne semble même pas s’appliquer à Guerby Geffrard, explique Synci Domond.

«Nous n’avons aucune connaissance de l’état d’avancement de l’enquête, s’il n’y en a jamais eu», commente le syndicaliste Synci Domond à AyiboPost.

Par Junior Legrand

© Image de couverture : freepik


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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