Lyonel Trouillot | Le triste personnel au service de la logique de continuité

La solitude haïtienne est aussi grande aujourd’hui qu’au lendemain de l’Indépendance. Elle prend d’autres formes, et le mépris dont nous sommes victimes alterne l’autoritarisme et la condescendance

L’orgueil imbécile d’une petite bourgeoise qui n’aura été qu’une figure secondaire et anachronique et rêve de laisser une marque dans l’histoire des Constitutions sans comprendre que cette histoire n’est pas affaire de technocrates, mais expression de la volonté des peuples.

L’orgueil non moins imbécile, mais sans doute plus cupide de ratés de leurs professions, promus à des fonctions et des revenus qu’ils n’auraient jamais occupés au sein d’un pouvoir légitime.

Le quant-à-moi et les conditions de la reproduction sociale de technocrates de seconde zone, plus fiers de leurs diplômes et de fricoter avec les «blancs» que d’être vraiment utiles à leur pays, prêts à applaudir à toutes les propositions des experts et consultants, tenir le rôle de subalternes dans tous les programmes et projets des décideurs étrangers. Ceux-là sont les plus vils, les plus lâches. Ils savent bien que leurs foutus programmes ne marchent pas, mais c’est bien d’être payé en devise, de participer aux colloques et séminaires d’où il ne sort rien de concret.

Le quant-à-moi et les conditions de la reproduction sociale de technocrates de seconde zone, plus fiers de leurs diplômes et de fricoter avec les «blancs» que d’être vraiment utiles à leur pays.

La folie de tel qui croit être doté d’une mission à lui confiée de jouer à l’apprenti sorcier dans tel domaine de la vie nationale.

Le vulgaire appât du gain de petits-bourgeois désireux d’accumuler et de changer de statut social aux frais de la république.

L’aliénation chronique de politiciens pour lesquels on ne peut rien faire face «au blanc» sinon qu’obéir à ses ordres et suivre sa logique, et n’ayant pas la moindre confiance dans la capacité du pays, donc du peuple haïtien, de gérer ses affaires et conduire une politique en fonction de ses intérêts.

Des affairistes de la bourgeoisie traditionnelle et des nouveaux riches, tous préoccupés par le gain immédiat.

Des membres «lumpenisés» des classes moyennes qui se chargent de la propagande, organisent de fausses manifs, créent de faux partis, crient vive Ariel Henry, sont payés pour chaque action menée, chaque horreur énoncée.

Le triste personnel au service de la logique de continuité, qui s’oppose à la volonté populaire d’une orientation nouvelle et d’une transition vers une vraie démocratie.

L’aliénation chronique de politiciens pour lesquels on ne peut rien faire face «au blanc» sinon qu’obéir à ses ordres et suivre sa logique.

Pour l’international, la cause semble être entendue : c’est aux La Lime, complices et successeurs de décider d’Haïti. Il s’avance sans douter, aidé par ses multiples subalternes.

La solitude haïtienne est aussi grande aujourd’hui qu’au lendemain de l’Indépendance. Elle prend d’autres formes, et le mépris dont nous sommes victimes alterne l’autoritarisme et la condescendance. Notre honte à nous, c’est qu’au lendemain de l’Indépendance, ceux pour qui Haïti constituait une impossibilité en tant qu’état souverain ne disposaient pas du personnel de soutien dont ils disposent aujourd’hui.

Clercs coloniaux et commandeurs… La comparaison est inévitable : Tout ce monde nommé plus haut, ni plus ni moins que des versions en dégradé du personnage joué par Samuel Jackson dans Django unchained. Sans avoir son talent d’acteur. Aussi aliénés, vils, méprisables. Sans avoir son talent d’acteur.

Par Lyonel Trouillot

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