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Lyonel Trouillot | Je serais un officiel du gouvernement de facto du docteur Ariel Henry

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Mon plus beau sourire viendrait de la demande qui m’est faite de mobiliser les ressources de l’État et ses institutions contre les massacres et le banditisme

Je serais un officiel du gouvernement de facto du docteur Ariel Henry, je sourirais à la lecture de la déclaration de quelques dizaines de personnalités demandant au gouvernement d’agir au service des populations et quartiers victimes de la violence des gangs. J’en prends certes pour ma gueule, on me somme d’agir devant meurtres et massacres. Mais cela m’affecterait beaucoup plus si je considérais avoir une dette et une responsabilité envers la population.

Je sourirais, car on a oublié le terme de facto qui caractérise le groupe, d’aucuns disent le gang, pour lequel je travaille. Je sais que l’intention des signataires n’est pas de légitimer mon pouvoir et qu’ils s’adressent à moi simplement parce que, malgré son absence de légitimité, c’est ce pouvoir auquel j’appartiens qui est là, mais cela me conforte quand même qu’on n’ait pas signalé une fois de plus que, non seulement je ne fais rien au profit de la population, mais en plus je n’ai ni base légale ni support populaire pour occuper les fonctions que j’occupe.

C’est assez qu’on me traite d’incompétent et de feignant, heureusement que cette fois-ci, on ne me traite pas d’usurpateur.

Je sourirais encore parce que l’on dénonce ce que je ne fais pas, protéger et servir la population. Mais on ne parle pas, merci beaucoup, de ce que je fais. Les populations de Carrefour-Feuilles et de Tabarre ne sont pas seulement attaquées par les gangs, elles ont été prises entre deux feux. Mon gouvernement de facto a utilisé la police et l’utilisera de nouveau contre les habitants des quartiers terrorisés dès qu’ils auront la mauvaise idée de vouloir fuir leurs bourreaux. Il faut bien que les policiers me servent à quelque chose. De ce point de vue, je n’ai rien à reprocher à la police haïtienne, j’en ai fait une force de répression contre toute contestation venant des quartiers populaires.

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Mais mon plus beau sourire viendrait de la demande qui m’est faite de mobiliser les ressources de l’État et ses institutions contre les massacres et le banditisme. L’occasion pour moi de rappeler que ces ressources sont insuffisantes, ce pourquoi j’appelle à l’aide d’une force étrangère. Les signataires doivent bien savoir que l’Etat est pauvre, nos moyens trop modestes pour lutter contre les gangs.

Merci de me donner l’occasion de crier que je veux lutter contre les gangs, je fais du mieux que je peux avec le peu que j’ai. Donnez-moi les moyens et j’intensifierai la lutte. Vive le Kenya ou d’autres qui viendraient m’aider à lutter contre les gangs, en réalité me conférer une légitimité par les armes, me permettre d’assurer mon maintien, d’engager le pays vers la tenue d’élections encore truquées, de me défaire de cette emmerdeuse que reste la Constitution.

L’on peut voir la chose de deux façons : demander à un pouvoir de faire ce que l’on sait qu’il ne peut pas faire, c’est faire de lui un interlocuteur légitime, ou alors c’est une façon détournée de dénoncer cette incapacité. «Sa y ap mande gouvènman de fakto a la a ? Yo konnen li pa gen enterè fè sa y ap mande l la ?»

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Je préfère la première interprétation. Toute parole qui dépolitise la question sécuritaire, je la considère comme positive. Je ne commence à avoir peur que lorsque l’on renvoie la question sécuritaire à la question politique. Tant qu’on ne dit pas que la question sécuritaire est liée au problème politique de l’illégitimité, l’impopularité, et de la connivence du pouvoir de facto avec le banditisme, tant qu’on ne dit pas que seule une solution politique haïtienne pour l’établissement d’un vrai pouvoir de transition permettra de mener une politique haïtienne en matière de sécurité, on peut (presque) tout dire.

C’est vrai que quelques-uns retiendront que je ne fais rien pour les populations attaquées par les gangs. Mais même les aveugles ont pu voir cela depuis si longtemps…

Par Lyonel Trouillot

Image de couverture :  | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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