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Les relations sulfureuses d’Ernest Muscadin avec un évadé de prison et Hervé Fourcand

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L’ancien policier a été accusé de kidnapping. Le nom de Hervé Fourcand est régulièrement cité dans des exactions comme le trafic illégal d’armes à feu

Il y a environ un mois, le ministère de la Justice avait convoqué le commissaire Jean Ernest Muscadin après la publication d’une capsule vidéo diffusée sur les médias sociaux. Cette vidéo semblait suggérer qu’il aurait exécuté à Fonds-des-Nègres le nommé Elvain Saint-Jacques, alias Zo pwason, un membre présumé du gang de Izo, basé à village de Dieu, à l’entrée sud de la capitale. Sous pression populaire, le ministère a reporté l’invitation. Alors que la Fondation Je Klere (FJKL) exige sa révocation pour ces exactions, le commissaire consolide petit à petit son pouvoir dans les Nippes.

Cependant, son mode opératoire manifestement illégal, la provenance douteuse de ses armes et ses relations avec des individus recherchés par la police, inquiètent des citoyens.

« Muscadin est un tout-puissant grâce à ses relations avec certains politiciens », analyse Anthony Cyrion, un ancien suppléant juge de paix aux Cayes. Selon l’ancien collaborateur du commissaire, « Muscadin est un ami du sénateur Hervé Fourcand. C’est un grand supporteur du sénateur. Ils sont amis depuis longtemps », révèle Cyrion, bien au courant des alliances politiques dans le département du Sud.

« Muscadin est le fils adoré de Hervé Fourcand, poursuit Anthony Cyrion. C’est lui qui l’a propulsé au poste de commissaire du gouvernement. Le commissaire travaille pour le PHTK ».

Lorsque Jean Ernest Muscadin avait arrêté l’ancien sénateur Nenel Cassy dans les Nippes le 21 janvier 2021, c’était pour plaire à l’équipe du PHTK, estime Cyrion.

Muscadin faisait de la propagande pour Fourcand, notamment lorsqu’il était substitut du commissaire du gouvernement des Cayes, ajoute l’avocat.   « Il avait écrit sur une affiche “Sénateur Hervé Fourcand, le fameux sénateur du Sud devant sa maison sur le Boulevard des Quatre Chemins », continue Cyrion. « Chaque matin avant d’aller travailler, Muscadin plaçait l’affiche devant sa maison », précise-t-il.

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Pierre Antoine Léon est activiste politique dans le Sud. Il confirme les dires de Cyrion.   « Muscadin a fait campagne pour Hervé Fourcand lors des dernières élections sénatoriales en 2016 », confie-t-il, considérant la dernière nomination de Muscadin dans le système judiciaire haïtien comme une récompense.

Jean Saurel Douyon est étudiant finissant en sciences juridiques à l’École de Droit et des Sciences économiques des Cayes. Il dit avoir grandi dans les bras du commissaire du Gouvernement. Il déclare que Muscadin et Hervé ont des relations d’amitié. Il dément cependant l’information faisant croire que c’est le sénateur Fourcand qui a fait nommer le représentant du ministère de la Justice de Miragoâne. « Hervé Fourcand n’avait pas fait des démarches pour sa nomination. C’est faux ce qu’on dit », lance-t-il.

Il confirme l’histoire de l’affiche. « Oui, il y avait l’affiche, mais Muscadin n’était pas encore nommé dans le système judiciaire quand il la plantait chez lui », précise l’étudiant.

Des hommes de loi critiquent les méthodes du commissaire. Selon l’ancien ministre de la Justice et de la sécurité publique, Lucmane Delile, Ernest Muscadin pose des actions qui ne sont pas compatibles avec sa mission. « Un commissaire du gouvernement ne peut pas porter d’armes lourdes dans l’exercice de ses fonctions, ce n’est pas autorisé par la loi, c’est de l’anarchie », déclare l’ancien commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince.

Le commissaire peut avoir des agents pour sa sécurité, mais ce sont des policiers affectés au commissariat de sa juridiction, d’après maître Delile. Le commissaire peut demander au ministère de fournir des armes aux policiers qui assurent sa sécurité si la police n’a pas de moyens, mais une fois qu’il est démis de ses fonctions, les armes doivent être retournées au ministère.

Dans une note vocale publiée sur WhatsApp, Jerry Anderson Leconte, ancien policier et ancien chef de la Police municipale de Petit-Goâve a ouvertement pris position pour Muscadin. « Je mets le ministre de la Justice en défi : s’il convoque le commissaire Muscadin, il va voir ce qui va se passer, a dit Leconte. Je vais leur montrer les armes que j’ai et qui je suis vraiment ». Deux journalistes et au moins une personnalité basée à Petit-Goâve ont authentifié la note vocale pour AyiboPost.

« Muscadin utilise une nouvelle formule pour en finir avec la criminalité organisée en Haïti, je fais un seul avec lui au péril de ma vie », a ajouté l’homme.

Jerry Anderson Leconte a été arrêté puis incarcéré en décembre 2008. La police l’accusait d’être l’auteur de cas d’enlèvements. Il s’est évadé lors du tremblement de terre de 2010.

Toutefois, Leconte nie les accusations portées contre lui. Il dit avoir été victime d’un complot à cause de ses prises de position politique.

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En 2013, il a été à nouveau arrêté à Léogâne pour détention illégale d’armes à feu et association de malfaiteurs. Il a été condamné à 33 mois de prison, selon une source haut placée dans le système judiciaire à Petit-Goâve.

En 2017, Leconte a été nommé responsable de la police municipale de Petit-Goâve par le conseil communal dirigé par Jean Samson Limongy. Selon l’actuel maire assistant Corrioland Vickson, à cause des exactions de Leconte à la tête de la structure, elle a été démobilisée par arrêté communal en 2020 pour faire place à la Brigade communale. Le chef de la police municipale a été du coup révoqué.

En mars 2022, le chef du parquet de Petit-Goâve, Pierre Elioth Paul, a lancé un mandat à l’encontre d’Anderson Leconte pour menaces de mort. Les dernières déclarations de Leconte concernant son soutien à Muscadin soulèvent beaucoup de questions à Petit-Goâve. Elioth Paul n’a pas voulu répondre aux questions d’AyiboPost dans le cadre de cet article. Le commissaire Jean Ernest Muscadin n’a pas voulu réagir non plus. « Je prends une pause. Je ne veux pas parler dans la presse pour l’instant », a répondu le magistrat.

Anthony Cyrion présente Muscadin comme un homme fougueux. Souvent la fougue le pousse à poser des actions avec précipitation, dit Cyrion. « Il arrête et libère facilement [les suspects] », déclare Cyrion.

En tant qu’étudiant, Ernst Muscadin avait de très bonnes relations avec maître Raymond Morpeau qui était à l’époque responsable de l’École de Droit et des Sciences économiques des Cayes. Il habitait tout près de l’école. « Après ses études en droit, il a fait ses débuts comme avocat au barreau d’Aquin », affirme Cyrion.

« C’est moi qui l’ai aidé à intégrer le barreau d’Aquin » fait savoir le vice-doyen de l’EDSEC, Kenndy Berandoive, qui a été le directeur de mémoire de licence de Muscadin. L’homme fort de Miragoane a réalisé son mémoire de sortie sur « L’importance de la peine de mort dans la législation haïtienne ».

Toutefois, Berandoive confie qu’il y avait un problème au moment de la soutenance du travail. « Muscadin a fait un malaise lors de la présentation de son mémoire. La soutenance a été interrompue pendant quelques minutes. Mais on avait repris la séance tout de suite », raconte Berandoive, qui dit n’être pas en mesure d’expliquer ce qui était arrivé au commissaire. « Je ne suis pas médecin, je ne peux pas vous dire quel a été réellement son problème », a répondu le vice-doyen.

Molière Adely pratique le journalisme depuis 2018. Il a déjà collaboré avec plusieurs médias. Étudiant en sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (FE/UEH), Adely s’intéresse à la politique, la culture et aux sujets de société.

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