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À l’Asile, un aperçu du désastre économique après le séisme

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« 95 % des maisons de la commune se sont effondrées », témoigne le maire. Les rescapés dorment à la belle étoile, en marge d’un désastre humain et économique

La petite maison en bloc, recouverte de tôles rouillées, était déjà fragile bien avant le tremblement de terre de samedi dernier. Quand la terre s’est mise à trembler, le logis détérioré s’est effondré avec fracas sur la femme et les deux enfants de Joseph Jovin dans la commune de l’Asile, dans le département des Nippes.

Les rescapés sont blessés. Mais Jovin se réjouit. « Aucun mort n’est à déplorer dans ma famille. »

L’homme parle avec émotion, cependant. Il exerce le métier de ferronnier, mais une bonne partie de ses revenus viennent de l’élevage. « Trois de mes bœufs ont été engloutis dans des éboulements. »

La maison de Joseph Jovin

Le séisme a saccagé la ville de 52 000 habitants. « 95 % des maisons se sont effondrées, témoigne à AyiboPost le maire de l’Asile, Martinor Gerardin. 50 personnes au moins sont mortes et 500 autres sont blessées, alors que la mairie se trouve livrée à elle-même sans intervention aucune de la part des autorités ou des ONGs. »

Parmi les pertes, il faut rajouter 250 grands bétails engloutis sous les éboulements.

Les décomptes les plus récents listent 1 419 morts et des milliers de maisons endommagées par le « goudougoudou » pour le pays entier. Mais ces chiffres ne disent rien de l’ampleur de la catastrophe. Des milliers de familles, déjà en situation difficile, seront décapitalisées parce qu’elles ont tout perdu.

« Le tremblement de terre vient de donner un coup fatal à une économie régionale déjà à genoux depuis environ deux ans et demi », analyse l’économiste Etzer Emile.

Maison impactée à l’Asile. Photo : Martinor Gerardin

Maison impactée à l’Asile. Photo : Martinor Gerardin

« Le problème de l’insécurité sur la route du Sud avait déjà paralysé depuis quelque temps une bonne partie des activités économiques du grand Sud comme le tourisme, la vente des produits agricoles et le commerce, continue Émile. Ce séisme vient décapitaliser les familles, détruire les infrastructures et les sites de production agricole et industrielle. »

Les pronostics ne sont pas bons. « C’est un grave problème, avec le chômage aggravé, se plaint le maire de l’Asile. Les paysans s’appuient sur leur bétail et sur leur jardin pour prendre soin de leurs familles. Avec l’école qui va s’ouvrir, les problèmes économiques vont s’aggraver. »

Pour l’heure, l’urgence reste la survie. Le cyclone Grace s’en vient et la météo ne présage rien de bon. « Nous avons besoin en urgence de tentes pour abriter les gens dans l’immédiat, continue Martinor Gerardin. Les gens ont besoin de s’hydrater. L’eau des sources est sale à cause du tremblement. »

L’église de la sœur de Valex Jeudy s’est effondrée. La femme du musicien qui se trouvait à l’intérieur de l’édifice compte parmi les blessés. Au moins un croyant a trouvé la mort et plusieurs autres sont blessés.

Le logis de Jeudy Valex

Si Jeudy prie le ciel, ce n’est pas pour remercier Dieu pour la vie. « J’espère que le cyclone ne viendra pas avec des vents forts, dit-il. J’ai planté quelques poteaux que j’ai recouverts avec des matières en plastique pour parer la pluie. Avec du vent, le logis de fortune ne résistera pas parce que le plastique est amarré avec des cordes. »

La désolation plane à l’Asile. Hermann Honoré, 54 ans, vit de l’élevage et cultive son jardin. Le séisme a ravagé ses plantations et détruit sa maison. « Je vis à la belle étoile », dit l’homme.

Famille et voisins rapportent des pertes énormes, également. « Un voisin a perdu trois bœufs, et un autre six. Certains sont enterrés vivants. Il est donc impossible de récupérer même la viande. »

Maison impactée à l’Asile. Photo : Martinor Gerardin

Maison impactée à l’Asile. Photo : Martinor Gerardin

Des jours difficiles s’annoncent. « La Grand’Anse et les Nippes font partie des départements géographiques les plus pauvres du pays (un taux de pauvreté estimé à 80 % pour la Grand’Anse et 66 % pour les Nippes), déclare l’économiste Enomy Germain. Pour le Sud, le taux est de 65 % contre 67,8 % au niveau national selon les données de l’ONPES et du MPCE. Donc, ces trois départements, pris ensemble, sont plus pauvres que la moyenne nationale. »

Avec le séisme, qui détruit le bétail, les biens mobiliers et les activités économiques, il est clair que de plus en plus de ménages de cette région vont  basculer dans la pauvreté.  «Ce sera peut-être la région la plus pauvre du pays si de sérieuses mesures d’accompagnement ne sont pas prises », conclut Germain.

Maisons impacteée à l’Asile. Photo : Martinor Gerardin

Des tendances déjà ancrées vont s’amplifier. « La dépendance vis-à-vis des transferts de la diaspora et de l’assistance des ONG risque de se renforcer, prédit l’économiste Etzer Émile. On devra s’attendre à une accélération du chômage, de la migration et de l’insécurité alimentaire. »

Insécurité alimentaire ou pas, la nuit s’approche et avec elle, l’incertitude d’être encore vivant au lendemain. Joseph Jovin s’en remet à la providence. « Il pleut à l’instant même, et nous n’avons pas d’argent pour nous rendre au marché. Nous nous en remettons à Dieu. »

Photo de couverture : Maison de Marcelin Guerline, une habitante de l’Asile. 

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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