SOCIÉTÉ

Les bandits brûlent les parents d’un homme accusé de trahison

0

Le drame survenu à Cité Doudoune illustre la toute-puissance des bandits et leur emprise sur les quartiers

Read this piece in English

« Le couple amoureux ! »

C’était une réputation acquise pour Gilbert Bernard et Roselène Gelin habitants à Cité Doudoune, une localité de la commune de Croix-des-Bouquets complètement sous le contrôle du gang 400 Mawozo.

Le duo allait célébrer 27 ans de vie commune au début de l’année 2023. 27 années de durs labeurs durant lesquelles ils ont construit un toit pour élever leurs cinq enfants, grandis dans la foi chrétienne et le respect des principes.

La famille vivait en retrait des remous de la communauté, témoignent des voisins à AyiboPost.

Le couple assassiné : Roselène Gelin et Gilbert Bernard.

Jusqu’à cette matinée endimanchée du 13 novembre 2022. Le couple revenait d’une célébration religieuse à l’Église la prophétie de Sans Fil lorsqu’un voisin s’approche de Gilbert Bernard pour lui délivrer un avertissement : « Dominique, le chef de gang redouté, recherche activement votre fils, Ernandez Bernard. » Le jeune homme de 24 ans est le seul enfant dans la maison, les autres vivent ailleurs.

Le duo allait célébrer 27 ans de vie commune au début de l’année 2023.

Dominique accuse Ernandez Bernard d’être l’espion ayant informé la police des allers et retours de ses soldats, Jean Alex et « Ti Vwazen », ainsi connus. Ces deux individus, réputés pour leur criminalité, ont été tués lors d’une opération de la police nationale à Tabarre, selon une note sortie par la PNH le 11 novembre 2022.

Ernandez Bernard connait très bien les deux hommes. « En 2019, j’avais arrêté tout contact avec eux parce que j’avais suspecté qu’ils étaient de mèche avec le gang dirigé par Dominique », témoigne l’orphelin à AyiboPost.

Selon Bernard, l’un d’entre eux s’appelle Kervens Casseus. « Il est le fils d’une voisine, à côté de la maison où j’habitais. Je l’appelais “ti vwazen” », explique Ernandez Bernard.

Dominique accuse Ernandez Bernard d’être l’espion ayant informé la police…

C’est aussi ce nom, glissé dans la note Facebook sortie par la PNH pour annoncer la nouvelle, qui a été instrumentalisé par les bandits pour s’en prendre à la famille d’Ernandez Bernard. « Les gens de la zone croient que le nom de Ti Vwazen associé à Kervens Casseus n’aurait pu être communiqué que par moi à la PNH, déclare Ernandez Bernard. Mais je n’ai jamais servi d’antenne à la police. »

Dès la réception de l’avertissement du voisin vers 11 h le dimanche 13 novembre, le père de Ernandez lui demande de quitter la zone « tout de suite » parce que sa vie est en danger.

« Je n’ai pas pu retenir mes larmes lorsqu’il m’a emmené prendre un tap-tap » témoigne Ernandez Bernard.

Ernandez Bernard connait très bien les deux hommes.

Vers une heure de l’après-midi, le jeune garçon reçoit un appel de son père. « Nou nan men nèg yo », déclare l’homme de 53 ans au téléphone.

Ernandez Bernard se rend à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) pour demander de l’aide : il n’en reçoit pas.

Les hommes armés et encagoulés de Dominique ont débarqué à la maison de Gilbert et Roselène. Ils les ont emmenés avec eux, révèle un résident de Cité Doudoune, témoin des faits. Il requiert l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Les amants devaient choisir entre livrer leur fils aux bandits, ou mourir. Ils ont refusé de livrer leur fils. Moins d’une dizaine de minutes après leur capture, ils sont tués puis brulés non loin de la rivière grise à Cité Doudoune, raconte un témoin. Les hommes de Dominique refusent de remettre les cadavres des victimes.

« Nou nan men nèg yo », déclare l’homme de 53 ans au téléphone.

« Gilbert Bernard et Roselène, 47 ans, s’aimaient beaucoup, c’étaient des gens de bien » déclare Pierre Edouard Predelus, un proche de la famille, étudiant en philosophie.

Roselène Gelin vendait des produits cosmétiques dans la zone. Elle ne s’engageait pas dans les débats en cours quant à l’implication des bandits Jean Alex et « Ti Vwazen » dans l’assassinat violent de Josette Fils Desanclos et de ses deux filles Sarahdjie Desanclos et Sherwood Sondjie Desenclos en août 2022.

Le meurtre brutal du couple plonge les résidents de Cité Doudoune encore plus dans la peur. Plusieurs familles ont dû s’enfuir pour échapper à la fureur des gangs. Ceux qui restent sont ceux qui ne savent pas où aller. Ernandez Bernard et le reste de la famille se cachent.

La mort du dénommé « Kolèg », membre influent du gang des 400 Mawozo, abattu le 3 août 2022 lors d’une opération policière à Croix-des-Bouquets, n’a pas mis fin aux activités des bandits dans la commune.

Le meurtre brutal du couple plonge les résidents de Cité Doudoune encore plus dans la peur.

Le niveau de précarité est très élevé à Cité Doudoune, confie un habitant. La majorité des jeunes n’a pas de travail. Pour survivre, certains font équipe avec les bandits.

« Beaucoup de jeunes ont déjà intégrés les gangs », confie Ernandez Bernard.

Parfois les jeunes sont payés pour participer à des réunions politiques, témoigne Bernard. Il dit avoir été invité à prendre part à une de ces réunions sous la direction de la femme de Dominique. « Plusieurs jeunes du quartier étaient présents. Je n’y suis pas allé », dit Ernandez.

Lire aussi : Les bandits brûlent le cadavre de leurs victimes en Haïti

Aujourd’hui, certains parents cherchent à déplacer leurs enfants de la zone afin d’éviter qu’ils soient enrôlés ou attaqués par les gangs, déclare le résident de Cité Doudoune cité plus haut. Certains se réfugient en République Dominicaine, confie le témoin.

De son côté, la république voisine fait la chasse aux haïtiens ces derniers mois.

© Photo de couverture : Devmaryna/Freepik

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

    Comments