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La surprenante histoire de l’Avenue John Brown de Port-au-Prince

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Brown est la première personne exécutée pour trahison dans l’histoire des États-Unis

De tous les pays au monde, Haïti est le seul à avoir une avenue au nom de John Brown.

Et pourtant, Brown reste peu connu des Haïtiens. « Je fréquente l’avenue John Brown depuis mes neuf ans. Cela a commencé avec mes études classiques à Blaise Pascal », raconte Eddy Fleursaint, professeur de montage vidéo qui, aujourd’hui dans la trentaine, « ignore qui est John Brown et pourquoi l’avenue porte son nom ».

Même les professionnels des temps anciens connaissent peu du personnage. L’historien Georges Michel confie avoir appris l’histoire de John Brown très tard, alors qu’il « était déjà vieux ».

Ne pas manifester d’intérêt pour connaître qui se cache derrière les appellations de certaines rues ou villes du pays vient du fait que « la plupart de ces noms sont ceux d’anciens colons dont plusieurs étaient des criminels », tente d’expliquer Max, un étudiant en Histoire.

Haïti est le seul à avoir une avenue au nom de John Brown.

Qui était donc John Brown et pourquoi son nom baptise une des rues les plus importantes du pays ?

L’épopée prend place au XIXe siècle aux États-Unis. Ce pays indépendant depuis 1776 maintient en esclavage près de quatre millions d’individus.

John Brown, chrétien convaincu et antiesclavagiste, apprend comment, par les armes, les esclaves noirs de Saint-Domingue sont venus à bout des colons blancs et ont réalisé la première grande Révolution de l’Histoire en 1804.

L’homme se dit que la révolte nécessaire pour la libération des esclaves aux États-Unis ne peut se faire par le dialogue. Mu parce qu’il qualifie « d’appel de Dieu », John Brown entreprend dès lors de s’inspirer de l’exemple d’Haïti pour éradiquer l’esclavage du sol américain.

Prince de la violence?

Après que des militants pro-esclavagistes ont attaqué Lawrence, au Kansas, en 1856, Brown et d’autres abolitionnistes lancent une contre-attaque. Ils tuent cinq colons pro-esclavagistes dans ce qui est désormais connu sous le nom de massacre de Potawatomi.

En 1859, John Brown rassemble un groupe d’une vingtaine d’hommes — dont deux sont ses enfants et seulement cinq noirs — pour entamer une ultime bataille. Le plan était de prendre le contrôle d’une armurerie à Virginia afin d’armer les esclaves, et assener un coup de grâce à l’industrie de l’esclavage aux USA.

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Mal préparée et en sous-effectif, l’attaque sera un gros échec. John Brown et la plupart de ses camarades non tués seront pendus, après un procès médiatisé. Brown deviendra la première personne exécutée pour trahison dans l’histoire des États-Unis.

Pour parvenir à saisir John Brown dans toute sa profondeur, « il faut être un expert du personnage en lui-même », estime Emmanuel Milord, historien et professeur à l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti.

Ce sont d’ailleurs des recherches qui ont permis de comprendre combien la Révolution haïtienne a effectivement transformé John Brown. À force de vouloir prendre pour exemple le côté sanglant de la révolution haïtienne, John Brown a fini par épouser l’ensemble des traits de cette dernière.

Malgré l’admiration de ses collègues antiesclavagistes de l’époque, certains historiens l’appellent aujourd’hui le premier terroriste américain, pour sa célébration de la violence. Il est aussi accusé de souffrir du complexe du « sauveur blanc ».

Célébrité de l’époque

Le procès « John Brown » aura un retentissement mondial. « John Brown, abandonné, a combattu, écrit Victor Hugo le 2 décembre 1859. Avec une poignée d’hommes héroïques, il a lutté ; il a été criblé de balles, ses deux jeunes fils, saints martyrs, sont tombés morts à ses côtés, il a été pris. »

John Brown est jugé en même temps que quatre de ses alliés survivants par des jurés possesseurs d’esclaves.

« Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus », lâche encore Victor Hugo à l’endroit des États-Unis.

Le célèbre écrivain avait mis en garde les « Yankees » en leur disant que du « point de vue politique, le meurtre de John Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer […]. Il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie américaine ».

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Deux ans après, la prophétie de Victor Hugo s’accomplit : une guerre de Sécession éclate entre les États esclavagistes du sud et ceux majoritairement non esclavagistes du nord. Cette guerre fera 617 000 morts et s’achèvera quatre ans plus tard avec entre autres l’abolition de l’esclavage.

Les discussions de l’époque ont aussi porté sur Haïti. Victor Hugo est entré en contact avec Exilien Heurtelou, alors rédacteur en chef du journal Le Progrès de Port-au-Prince.

« Haïti est maintenant une lumière, avait écrit le poète français le 1er mars de l’an 1860. Il est beau que parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main d’un nègre. »

Victor Hugo n’a pas tari d’éloges à Haïti. « J’aime votre pays, votre race, votre liberté, votre révolution, votre république. Votre île magnifique et douce plaît à cette heure aux âmes libres ; elle vient de donner un grand exemple ; elle a brisé le despotisme. Elle nous aidera à briser l’esclavage. »

Inspiration des poètes

Jour après jour, les journaux d’Haïti de l’époque rapportaient les péripéties « à la une » de John Brown. Des services funèbres à sa mémoire furent organisés dans les principales villes de la République, rapporte l’écrivain Léon-François Hoffmann.

Une levée de fonds en faveur de la veuve de John Brown, à laquelle le Président Fabre Geffrard fut le premier à contribuer, atteint le chiffre énorme de 25 000 dollars américains.

« Le possesseur d’esclaves qui prétend que la race africaine est naturellement inférieure aux autres ne peut que rester muet. »

Dans sa lettre de remerciement au Président Geffrard, publiée en Haïti dans Le Moniteur et Le Progrès du 14 juillet 1860, le fils de John Brown écrit : « À l’aspect d’Haïti, le possesseur d’esclaves qui prétend que la race africaine est naturellement inférieure aux autres ne peut que rester muet. […] Vous [Haïtiens] réfutez cette affirmation que l’Africain est incapable de se gouverner lui-même. »

Malgré qu’un nombre considérable de poèmes furent composés en l’honneur de John Brown, le personnage n’est pas assez connu en Haïti, regrette Georges Michel pour qui « Brown tombe malheureusement dans l’oubli ».

Et pourtant, continue Georges Michel, « l’histoire de John Brown devrait être enseignée à l’école pour que l’on sache le poids qu’il a eu dans l’abolition de l’esclavage au cours du 19e siècle en s’inspirant de la politique haïtienne ».

Rebecca Bruny

L’epopée John Brown commence au XIXe siècle, et non XXe siècle. La lettre de son fils a été publiée en 1960 et non en 1950. 15.3.2021 15.55

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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