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« La RD survole Haïti avec des drones et intervient au sol avec ses soldats », révèle un cadre de l’État

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Ces violations du territoire national canalisent l’opposition affichée par la république voisine quant à la construction par Haïti d’un canal sur la rivière Massacre

Des militaires de la République Dominicaine ont foulé le sol d’Haïti pour interdire la construction d’un canal par les autorités haïtiennes, le dimanche 2 mai 2021, à la commune de Ouanaminthe.

Selon le directeur départemental de l’agriculture dans le nord-est, Sylvain Sama, les soldats du pays voisin « ont débarqué de manière impressionnante avec une flotte de véhicules, des armes et des drones. Le plus frustrant c’est qu’ils ont osé faire survoler le territoire haïtien avec leurs drones ».

Les eaux de la rivière Massacre servent de frontière dans la partie nord des deux États. Elle se trouve entre les villes de Ouanaminthe côté haïtien et Dajabon sur le territoire dominicain.

D’après l’un des agents exécutifs intérimaires de Ouanaminthe, Occelite Destiné, l’État haïtien envisage de construire le canal pour pouvoir utiliser une partie des trois mètres cubes d’eaux par seconde que déverse cette rivière dans la mer pour  arroser le bas de la plaine Maribao. Cette étendue de douze mille hectares de terre serait apte à la production de denrées alimentaires pour le pays.

Renforcer l’agriculture ?

Sylvain Sama explique que la structure envisagée est conçue pour conduire « une infime partie » de l’eau de la rivière afin de pouvoir arroser trois mille hectares de terre dans la plaine du bas Maribao dans la commune de Ferrier.

Les autorités dominicaines — qui ont déjà huit canaux connectés à la rivière — exigent un accord préalable, avant même le début des travaux, parce que ce canal, soutiennent-ils, va avoir un impact certain sur l’agriculture en RD et les animaux de la rivière.

Après avoir envoyé des militaires fouler le sol haïtien, la gouverneure de Dajabon, Rosalba Pena, avait convoqué les autorités communales de Ouanaminthe et l’ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine pour tenter de trouver une solution après coup.

Lire aussi: Echanges avec l’ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine

Prévue pour le mardi 4 mai 2021, cette réunion a été unilatéralement reportée par la gouverneure qui annonce aux autorités municipales de Ouanaminthe que le dossier est désormais en discussion entre des diplomates des deux pays.

Peu après l’intervention des Dominicains, les travaux ont repris côté haïtien. Les autorités souhaitent achever l’ouvrage avant la saison cyclonique. Cependant, ils ne peuvent plus compter sur les techniciens cubains qui prêtaient leur service à la construction du canal, parce qu’ils « ne peuvent pas s’entremêler dans ce conflit entre deux voisins », regrette Sylvain Sama.

Intérêts nationalistes

Les oppositions dominicaines sont perçues comme une stratégie destinée à bloquer la production nationale en Haïti.

L’agent exécutif intérimaire, Occelite Destiné, croit que l’État haïtien est en droit d’utiliser les eaux de cette rivière frontalière. Pour lui, la République Dominicaine ne souhaite pas voir réaliser des projets en matière d’agriculture en Haïti, afin qu’elle puisse continuer à verser ses produits sur le marché haïtien. Le directeur départemental de l’agriculture soutient lui aussi cette thèse, rappelant qu’avec l’eau de la frontière, les Dominicains parviennent à produire tout le long de l’année sans attendre les saisons pluvieuses.

Edwin Paraison est un ancien ambassadeur d’Haïti en République dominicaine. Actuellement responsable de la fondation « Zile », il souligne que la question de la frontière entre la République d’Haïti et la République Dominicaine est inscrite dans des conventions et des traités signés entre les deux pays.

Paraison dévoile qu’en 1929, les deux voisins avaient signé un accord, reconnaissant le droit de chaque partie de pouvoir utiliser les ressources de la rivière Massacre. Cependant, si ces ressources sont utilisées de manière unilatérale, il est un impératif que l’autre partie soit informée du projet.

En clair, la partie qui ne bénéficiera pas du projet doit en prendre connaissance afin de déterminer si celui-ci n’affectera pas son territoire.

Sur ce point, Port-au-Prince a péché pour n’avoir pas mis son voisin au courant du projet, souligne l’éditorialiste et expert en relation internationale Daly Valet. Il convient de rappeler que la rivière prend naissance en République Dominicaine.

Lire enfin: Les fâcheuses conséquences de la rareté artificielle des visas dominicains

Simultanément, Edwin Paraison souligne que les Dominicains, non plus, n’ont jamais daigné avertir Haïti de leurs projets qui concernent la rivière Massacre. Il rapporte qu’en 1998, sans avertir Haïti, les autorités du pays voisin ont installé des stations pour pomper l’eau de la rivière à l’intérieur de leurs terres. Aujourd’hui, ils ont en tout une dizaine de canaux puisant l’eau pour arroser des terres.

Les tentatives d’AyiboPost pour entrer en contact avec l’ambassadeur d’Haïti en RD se sont révélées vaines. Cependant, une source proche de la diplomatie haïtienne nous confie qu’une réunion de travail entre les diplomates des deux pays s’est tenue à la frontière, le mercredi 12 mai 2021.

Si le projet du premier canal haïtien utilisant l’eau de la rivière Massacre fait autant de remous en République dominicaine alors que ce voisin en a construit plusieurs sans susciter la moindre réaction du côté haïtien, c’est le résultat d’une certaine négligence du dossier dominicain en Haïti, soutient Edwin Paraison. « Les Dominicains eux, sont toujours sur leur garde en ce qui a trait à Haïti. »

Photo de couverture: Solange Paradis 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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